Témoignage. "Ma mère m'avait dit, surtout ne dis pas que tu es juif", 80 ans après l'ouverture de la Maison d'Izieu, Samuel se souvient

Samuel Pintel a 6 ans lorsqu'il est amené à la maison d'Izieu. C'était en novembre 1943.
Episode 2 : la vie quotidienne dans la colonie ©France Télévisions
Publié le Écrit par Dolores MazzolaSylvie Cozzolino et Arnaud Jacques

Dans l'Ain, de mai 1943 à avril 1944, la maison d'Izieu a accueilli plus d'une centaine d'enfants juifs. Au matin du 6 avril 1944, les 44 enfants et 7 éducateurs présents sont raflés et déportés sur ordre de Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon. Ceux qui sont passés par Izieu, voilà 80 ans, racontent leur quotidien au sein de la colonie.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Le 6 avril 1944, ce sont 44 enfants juifs et 7 adultes qui ont été raflés à Izieu et expédiés vers les camps de la mort. Avant le drame, d'autres enfants ont vécu dans la grande maison aux volets bleus et ont survécu à la guerre. Que leur reste-t-il de leur passage à Izieu ? Leurs souvenirs sont aujourd'hui bien fragiles. 

Famille d'accueil, famille de coeur

Diane Fenster avait 3 ans en 1943. Elle vit depuis de nombreuses années Outre-Atlantique. Elle est l'une des enfants sauvés par Sabine Zlatin. Pour la préserver d'une rafle et de la déportation, sa mère la confie à la directrice de la colonie d'Izieu, une parfaite inconnue. Après avoir trouvé refuge à Montpellier, ses parents avaient été internés dans le camp d'Agde et avaient été séparés.

"C'est non seulement Madame Zlatin qui m'a sauvé la vie - sinon je ne serais pas ici - mais elle m'a confiée à la famille Pallarès à Montpellier qui était vraiment formidable." explique-t-elle. La famille était voisine de Sabine Zlatin à Montpellier. "Madame Pallarès, je l'appelais maman, je pensais que c'était ma maman. J'adorais toute la famille, Renée, Paulette, Guy et maman. Pour moi, ma famille c'était les Pallarès". 

Diane a passé l'été 1943 à Izieu, avec sa famille d'accueil venue aider la directrice et son mari. De la guerre et de la colonie, elle garde surtout des souvenirs d'enfant ballotée, ignorante des événements mais choyée et préservée par sa famille d'accueil. 

"Je n'ai pas tellement de souvenirs d'Izieu. La seule chose que je me rappelle : j'étais avec Renée, Paulette et Guy et Madame Zlatin."

J'étais trop jeune, mais je me rappelle d'être avec d'autres enfants, je me rappelle de Paulette qui racontait des histoires avant d'aller au lit. Il y avait une fontaine, on jouait autour... Il me semble que j'étais la plus jeune.

Diane Fenster

La colonie, la vieille dame s'en souvient comme d'un lieu "amusant". "Izieu, j'ai appris plus tard ce que c'était. Je ne savais pas ce qui se passait avec mes parents", ajoute-t-elle. Les parents de Diane ont été envoyés à Auschwitz.  En 1949, la fillette a retrouvé son père. Sa mère biologique n'a pas survécu, elle n'en a aucun souvenir. Mais Diane n'a jamais oublié sa mère de cœur, "maman Pallarès".

Elle est encore reconnaissante à Sabine Zlatin de l'avoir confiée à cette famille aimante. "Quand je pense à ce que ces gens ont fait pour garder des enfants, les cacher. Quand je pense à tout ce qu'ils ont fait, c'est incroyable", conclut Diane qui ne peut retenir ses larmes. 

La "rude" vie de la colonie 

"On finit par s'intégrer. Mais j'attendais de partir très vite, de quitter cette maison même si c'était un lieu de sauvetage, et quel lieu !" Samuel Pintel a quitté la colonie d'Izieu fin janvier, deux mois et demi avant la rafle. Âgé de 6 ans en 1943, il confie ne pas avoir gardé un bon souvenir de la maison d'Izieu, trop marqué par la séparation familiale. "Je n'ai pas eu beaucoup de tendresse ou de choses agréables. Par contre, c'est une maison qui accueillait des enfants, la toute dernière encore en mesure d'abriter certains enfants en sécurité, entourés par des adultes qui se dévouent. Elle m'a pris en charge entièrement", raconte-t-il. 

Ma mère m'avait dit : si un jour nous sommes séparés, ne dis surtout pas que tu es juif. A Izieu, j'étais persuadé que j'étais le seul enfant juif de la colo alors qu'ils étaient tous juifs.

Samuel Pintel

ancien enfant de la colonie d'Izieu

Sur la vie quotidienne, le regard de Samuel Pintel est sévère. "C'était assez rude aussi. Nous étions un peu livrés à nous-mêmes. C'était très dissipé. Heureusement qu'au début j'étais avec un petit copain. On se réconfortait l'un l'autre. Mais il est parti au bout de trois semaines", ajoute-t-il. Samuel Pintel précise que les filles étaient moins nombreuses que les garçons dans la colonie. Il se souvient surtout du confort rudimentaire de la colonie : "Dans la maison, (il y avait) les chambres pour les filles, la classe et le réfectoire. Les garçons dormaient dans un bâtiment qui est juste proche, à l'étage c'était une grange désaffectée. Une terrasse, un bassin... La toilette c'était dans l'eau du bassin. Il n'y avait pas d'eau courante dans la maison". Le petit Samuel était arrivé à la fin de l'automne et a passé une grande partie de l'hiver à Izieu : "la classe débutait à 8h, le lever c'était à 7h. Quand il faut aller se débarbouiller au petit matin, dans l'eau froide avec parfois une pellicule de glace... On ne se lavait pas beaucoup. L'hygiène, ce n'était pas terrible".  

A Izieu, les journées des enfants étaient rythmées. La classe, à l'étage de la maison, était encadrée par Mademoiselle Perier. Les plus jeunes écoliers ont 6 ou 7 ans. Mais la plus grande activité à laquelle tous participent, c'est le dessin, comme en témoigne Samuel Pintel. "Il y a 30 gamins à gérer et pas beaucoup de temps pour s'occuper de chacun individuellement. Il ne fallait pas chahuter mais c'était difficile car le temps était long. D'où la raison de la production de dessins dans la maison. Les enfants s'occupaient comme ils le pouvaient. (...) Je ne me souviens pas avoir dessiné". Pour l'anniversaire de Sabine Zlatin, le 13 janvier 1944, les enfants avaient envoyé des lettres à la directrice, agrémentées de dessins, se souvient Samuel Pintel. "Mon petit voisin Isidore Kargeman avait dessiné le professeur Nimbus. Cette lettre nous l'avons retrouvée 50 ans plus tard dans les documents conservés par Sabine Zlatin. Isidore faisait partie du groupe des 44 enfants déportés", rapporte-t-il. 

"Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine"

"La toilette dans la fontaine avec de l'eau froide", Roger Wolman, âgé de 5 ans lors de son arrivée à Izieu s'en souvient aussi, avec un sourire aux lèvres. Le tableau de la colonie décrit par Roger Wolman est bien différent des souvenirs d'enfants de Samuel Pintel. 

Tout se passe bien. On est bien. On mange bien. On est gâté de friandises. Pour de petits enfants comme moi, c'est magnifique. On y était très bien. Mais Madame Zlatin était une personne très sévère avec les enfants.

Roger Wolman

ancien enfant de la colonie d'Izieu

Mais tout n'est pas rose à Izieu. Malgré l'atmosphère joyeuse de la journée, Roger Wolman se souvient aussi des pleurs des enfants la nuit. "Nous étions des enfants qui fuyaient, sans la protection des parents, d'une maman".

Avec les autres enfants, trop petits pour aller à l'école, Roger crayonne, se promène, apprend des chansons. "On chante, on apprend des chansons. Récemment je me suis dit, j'ai appris Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine... C'est à Izieu, je ne peux pas l'avoir apprise ailleurs. Monsieur et Madame Zlatin venaient de Lorraine !". D'après Roger Wolman, c'est aussi la chanson que les enfants ont chanté dans les camions les conduisant à Lyon après la rafle. 

Les deux frères Wolman, venus de Nice et leur cousin retrouvé à Izieu vont rapidement quitter la colonie. Ils n'y passent finalement que trois semaines, entre le 18 octobre et le 6 novembre 1943. Ils quittent la Maison d'Izieu cinq mois jour pour jour avant la rafle

"Pourtant on y est bien, grand air, paysage magnifique", assure Roger Wolman, "mais très vite mon frère dit qu'il faut partir : il trouve que ce n'est pas un lieu sûr, il y a trop d'enfants, trop de va-et-vient. Mon frère, en nous faisant quitter la maison d'Izieu, nous a sauvés", estime-t-il.

Qu’avez-vous pensé de ce témoignage ?
Cela pourrait vous intéresser :
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information