En Loire-Atlantique, ils sont au moins cinquante à rendre régulièrement visite à des personnes incarcérées. Une action bénévole, fondée sur la confiance, essentielle pour amorcer le travail de réinsertion des détenus. Rencontre avec Jean-Paul, visiteur de prison à Nantes.
Lorsqu'on le rejoint, Jean-Paul tient encore un dépliant de l'Association Nationale des Visiteurs de Personnes sous main de justice (ANVP) entre ses doigts. "Une parole libre dans un espace clos", est-il écrit sur le papier, en lettres capitales.
Il revient tout juste du centre de détention de Nantes où il en a distribué quelques-uns a de nouveau détenus. En ce mardi 24 décembre, veille de Noël, ils sont cinq à être venus écouter ce que le retraité avait à leur dire.
Les personnes détenues sont toujours très respectueuses de l'action que l'on mène.
Jean-PaulVisiteur de prison à Nantes
Trois d'entre eux avaient une petite vingtaine et les deux autres affichaient la quarantaine passée. "Je ne sais pas s'ils feront la demande. Mais je leur ai présenté le rôle de visiteur, je leur ai dit que c'était un de leurs droits", relate Jean-Paul.
Jean-Paul est visiteur de prison depuis trois ans. Mais la première fois qu'il a entendu parler de ce rôle-là, c'était dans les années 70 : "J'avais douze ou treize ans, j'écoutais une interview du comédien Denis Manuel dans laquelle il racontait faire ça en dehors de ses heures au théâtre. J'ai trouvé ça génial et c'est resté dans un coin de ma tête."
Il n'a jamais oublié cette bribe d'entretien entendu à la volée. Alors, quand il est parti à la retraite, en 2020, il s'est tout de suite inscrit sur le site de l'ANVP pour devenir visiteur de prison.
Pour endosser ce rôle, les critères sont simples : il faut être majeur et avoir un casier judiciaire vierge. Mais avant d'obtenir l'agrément, la procédure prend du temps.
On n'est pas obligé de faire partie de l'ANPV pour être visiteur de prison, le tout est d'être validé par le Spip
Jean-PaulVisiteur de prison à Nantes
Un entretien avec la Direction interrégionale des services pénitentiaires puis le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) ainsi qu’une enquête de moralité conduite par la préfecture sont effectivement nécessaires.
"Et, après tout ça, on reçoit une attestation valable six mois, à l’issue desquels on repasse un entretien pour ensuite obtenir notre carte de visiteur de prison", détaille Jean-Paul. Un sésame à renouveler tous les deux ans et qui n’est valable que pour un seul établissement pénitentiaire.
Créer une relation de confiance
La première fois qu'il a rendu visite à un détenu, Jean-Paul admet ne pas avoir fait le fier. "J'avais hâte, mais je ressentais aussi une forme d'appréhension", retrace-t-il. Aujourd'hui, pour l'homme de 64 ans, se rendre au parloir fait partie de sa routine.
Tous les quinze jours, le retraité a ainsi rendez-vous avec trois personnes à la maison d'arrêt de Nantes. Là-bas, sont incarcérées celles en attente de jugement, donc présumées innocentes, et celles condamnées à des peines de moins de deux ans.
Il les voit une par une, durant toute une demi-journée, à raison de discussions s'étalant sur 45 minutes à une heure.
"On parle de sport, de musique, d'actualité. Qu'importe tant que ça les fait sortir de la solitude un moment", estime Jean-Paul. Il raconte par ailleurs beaucoup rire avec les détenus pendant ces échanges.
Avant de rencontrer les détenus derrière le parloir, le retraité assure ne rien savoir sur eux : "Je ne connais que leur nom, leur prénom et leur numéro d'écrou."
Tout le reste, leur passé, ce qu'ils ont fait, ce sont eux qui choisissent de le raconter ou non. "Nous, en échange, on s'engage à les écouter sans les juger. Sinon, c'est évidemment impossible de créer une relation de confiance", assure le visiteur.
Pour apprendre à être cette oreille attentive exempte de toute forme de jugement, ANVP propose régulièrement des formations à ces bénévoles. Une façon, par exemple, de leur apprendre comment bien se tenir physiquement face aux personnes pour ne pas envoyer de mauvais signaux corporels.
Un lien avec l'extérieur
Parfois, quand il part en vacances, Jean-Paul envoie des cartes postales aux détenus qu'il côtoie. "Une lettre, ça fait toujours du bien. Puis, ils peuvent la garder, la relire, l'afficher..." considère le Nantais.
Incontestablement impliqué dans sa mission, le retraité s'impose tout de même quelques limites claires : pas question de faire des détenus ses amis. "J'en ai déjà plein et puis le parloir n'est pas un lieu pour tisser des liens amicaux", fixe-t-il.
La sortie de prison peut être violente pour certains détenus. C'est pourquoi c'est important de leur faire garder un lien avec l'extérieur
Jean-PaulVisiteur de prison
Pour lui, un visiteur de prison n'est qu'un lien entre les personnes emprisonnées et le monde extérieur à un moment donné. Parfois, ces bénévoles sont d'ailleurs les seuls à venir les voir au parloir, parce que leurs proches sont loin ou bien parce qu'ils ont coupé les ponts.
"Ainsi, notre objectif, c'est de rompre leur sentiment de solitude, mais aussi de leur parler de ce qui se passe dehors, leur donner à votre autre chose que ce qu'ils peuvent voir à la télévision", raconte Jean-Paul.
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Mais, quand les détenus qu'il suit retrouvent leur liberté, le retraité ne cherche pas nécessairement à garder un lien avec eux : "Quoi qu'il en soit, on est une parenthèse pour ces personnes. Dans leurs esprits, on est rattaché à la case prison et c'est rarement un bon souvenir..."
Des prisons toujours plus surchargées
Parfois, au détour d'une discussion, il arrive également que les détenus se confient à Jean-Paul sur leurs conditions d'emprisonnement.
"Et je peux vous garantir que c'est loin d'être le club Med", souligne le retraité, en référence, notamment, des propos qui avait été tenu au sujet de la prison de Fresnes après la diffusion d'une course de karting dans son enceinte en 2022.
D'après ce qui a été rapporté au visiteur nantais, les détenus de la maison d'arrêt de Nantes vivraient à trois dans des cellules de 9m2. "Vous imaginez un peu ? Ils se marchent dessus...", déplore Jean-Paul.
Certains détenus restent enfermés toute la journée. Ils ne sortent pas lors de "promenades" par peur de se faire tabasser ou racketter
Jean-PaulVisiteur de prison
Une réalité qui n'est autre que la manifestation locale d'un problème nationale. En effet, ces dernières années, les prisons françaises ne cessent d'exploser de tristes records en matière de surpopulation carcérale.
Et un pic a encore été atteint le 1er novembre dernier. À cette date, 80 130 personnes étaient incarcérées dans les prisons françaises, qui affichaient une capacité de 62 357 places, selon des chiffres du ministère de la Justice publiés le vendredi 29 novembre.
Résultat, les personnes sont entassées et les esprits s'échauffent. "Forcément, ça génère des tensions", nous avait confié William Cozic, responsable Force ouvrière (FO) Justice de Nantes en août dernier à ce propos.
Pour Jean-Paul cette problématique ouvre la voie à des réflexions plus larges et plus politiques. "Toutes les peinent doivent-elles être purgées en prisons, en laissant des êtres humains déjà en difficulté coupés du reste du monde et sans accompagnement ?", s'interroge-t-il.
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