Ana Pich' dessine le quotidien des tribunaux. Sur Instagram ou dans son livre, elle explique les rouages d'un système judiciaire à géométrie variable, dont les principales victimes sont souvent les plus précaires.
Illustrer l'injustice, c'est un peu le quotidien d'Ana Pich'. La jeune Nantaise de 29 ans, a publié en octobre 2023 sa première bande dessinée, Chronique de l'injustice ordinaire, et publie régulièrement sur son compte Instagram les récits de procès.
Après avoir écumé les bancs des tribunaux de Strasbourg à Nantes en passant par Paris, elle retranscrit, en dessin, le quotidien de la justice.
Comprendre la justice
Si aujourd'hui, la lutte contre les violences judiciaires lui tient tant à cœur, c'est parce qu'elle a vu une injustice systémique jour après jour, procès après procès.
Très jeune déjà, Ana est confrontée au système judiciaire dans le cadre d'une affaire de violence sexuelle. "Mon premier rapport à la justice, c'était à mes 18 ans. Je suis allée voir la police pour porter plainte, mais il y a eu un refus volontaire de vraiment enquêter" explique-t-elle. Si elle n'aime pas en parler, elle souligne que son expérience est malheureusement bien commune.
J'ai découvert un monde parallèle
Ana Pich'Autrice et illustratrice
Après avoir été confrontée à ce milieu opaque dont elle ne connaissait rien, Ana a voulu comprendre. Comprendre comment la justice et le droit fonctionnent, comment l'institution juge et punit. Elle se lance dans des études de droit à Nantes, puis à Strasbourg pour un master en criminologie. Pour son mémoire, elle commence à suivre des procès quotidiennement.
"Ce que j'ai expérimenté personnellement, c'est minime par rapport à la réalité des violences judiciaires, personne n'est épargné" estime Ana. Elle se revoit encore, au début de son mémoire, loin de s'imaginer ce à quoi elle allait assister jour après jour. Car, plus elle voit ces procès, plus elle réalise l'ampleur du dysfonctionnement judiciaire. "Plus je suis allée au tribunal et plus j'étais en colère" remarque la jeune femme.
"Ça me prend aux tripes"
Pour son mémoire, elle se questionne sur les biais qui impactent les décisions de justice. "C'est important de reconnaître qu'on ne peut pas avoir une objectivité totale, et c'est ce que je reproche aux magistrats" explique Ana avant d'ajouter, "on ne peut pas accepter d'avoir une telle justice à deux vitesses."
En quatre ans, elle a été témoin de nombreux procès, bien souvent, ce sont les personnes les plus précaires qui se voient enfoncées par un système judiciaire "insensible". "Il y a des gens qui sont cassés, harcelés par la justice et c'est sans fin. On ne leur donne jamais aucune possibilité de s'en sortir" déplore l'autrice avant d'ajouter, " c'est la différence de traitement qui est violente".
L'institution judiciaire ne fait que propager la colère
Ana Pich'Autrice illustratrice
Au terme de son mémoire, après avoir été témoin de décision de justice inégalitaire et discriminante, elle se rend compte qu'elle n'en a pas fini avec l'institution. "Cette recherche, c'était personnel. Ça me prend aux tripes, je ne peux pas faire abstraction. Quand j'ai eu mon master, j'ai senti que ce n’était pas suffisant."
"J'écris et je dessine pour me soulager"
Si pendant ses recherches, Ana utilisait le dessin comme outils de prise de notes, pour enrichir sa grille d'observation, quand elle retourne assister à des procès, elle se met naturellement à dessiner. "De semaine en semaine, j'ai écrit des bulles, puis des scènes, et puis finalement, je me suis mise à retranscrire tout un procès" raconte l'illustratrice. En 2023, elle a assisté à plus de 120 procès.
Régulièrement, sur sa page Instagram, elle publie le récit d'un procès. Le mépris de classe et la violence des décisions judiciaires s'accumulent procès après procès sur son compte qui est maintenant bien rempli. "Par le biais des réseaux sociaux, je peux diffuser mes dessins et montrer que c'est systémique. C'est l'accumulation qui rend compte de l'ampleur du problème" analyse Ana.
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"Avec ce compte Insta, je voulais rendre public ce qui se passe tous les jours au tribunal, mais je voulais aussi faire prendre conscience des biais de la justice et de l'ampleur de la violence quotidienne" explique-t-elle. Pour la jeune femme, on ne parle pas assez de la justice alors "que ça a un impact énorme sur nos sociétés".
J'ai toujours dessiné, mais je n'avais pas compris qu'on pouvait utiliser le dessin pour parler de justice et de sociologie
Ana Pich'Autrice illustratrice
Après son mémoire, Ana se sentait impuissante, elle a donc continué à dessiner. Après la sortie de son livre, elle se sent toujours démunie. "J'écris et je dessine pour me soulager, ça répond à un besoin personnel, confie la jeune nantaise, mais j'y pense tout le temps, ce sont des questionnements qui, maintenant, ne me quittent plus".
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Malgré les limites de son action, la jeune autrice et militante continue de retranscrire le quotidien des tribunaux. Avec son éditeur, ils viennent tout juste de se lancer dans un nouveau projet. Une bande dessinée qui devrait aborder la culture du silence, celle qui précède le tribunal, celle des violences sexistes et sexuelles.
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