Quarante-cinq ans après la mort de Robert Boulin, retrouvé dans un étang de la forêt de Rambouillet, une historienne affirme détenir des preuves d'un "secret d'État" entourant cette affaire, relançant le débat sur les circonstances de sa disparition.
Première publication de cet article le 30/10/2024
Un nom. C’était ce qu’avait découvert, il y a quinze ans, Florence Mothe. Cette écrivaine et journaliste girondine révélait en avril 2007 l’identité de l'un des assassins de Robert Boulin. “Il n’était pas difficile de le trouver puisqu'il se vantait depuis une vingtaine d’années d’être son assassin et que cela lui avait permis d’autres missions”, indique l’écrivaine girondine, qui s’est entretenue avec l’homme en question. Sa photo est alors publiée dans la Gazette du Pays avec son nom : Jacques Pécheur, un homme de main.
Le 30 octobre 1979, Robert Boulin est découvert mort, dans l’étang Rompu, situé dans la forêt de Rambouillet. Si au départ la piste du suicide par noyade est privilégiée, avec la découverte de deux lettres mentionnant sa volonté de mettre fin à ses jours, l’autopsie révèle un visage tuméfié, un coup à l’arrière de la tête ainsi que des traces de strangulation et la présence de barbituriques dans le sang.
Mise en scène de sa mort
Tout démarre en 1974, lors de la publication d'un article du Canard Enchaîné. Ce dernier accuse Robert Boulin d'être impliqué dans une affaire d’escroquerie immobilière à Ramatuelle, dans le Var. Des révélations qui auraient poussé l'homme à mettre fin à ses jours, selon des lettres de suicide retrouvées après sa mort. D'autres, y voient plutôt le début d'un chantage qui aurait mal tourné : l'accusation ne va en effet pas plaire au ministre qui décide de rédiger un droit de réponse, et menace de révéler des informations au sujet du RPR, le parti politique fondé par Jacques Chirac.
Pour l’ancienne journaliste, l'assassinat du député-maire de Libourne et ministre du Travail s’est organisé autour de trois équipes : deux Parisiennes et une Bordelaise “que Boulin avait fait venir lui-même pour sa sécurité sans avoir qu’elle avait été retournée". Cette dernière aurait également eu vocation à “mouiller Jacques Chaban-Delmas, alors qu’il n’avait strictement aucun lien”.
L’historienne aurait notamment obtenu ces informations auprès d’Eric Carlsberg, alors membre du conseil de Bordeaux. “Lorsque Chaban-Delmas reçoit la deuxième lettre posthume à la mairie de Bordeaux, son visage se serait révulsé et il aurait expliqué qu’il était extrêmement dangereux de grattouiller cette affaire. Il aurait aussi dit que les gens qui ont tué Boulin sont ceux qui l’ont empêché d’accéder à la magistrature suprême, en donnant les noms de Chirac, de Likowski, Journiac, Giscard d'Estaing ou encore Pasqua”, détaille Florence Mothe.
45 ans d'enquête
Ces révélations, qui s’égrènent au fil des années, ne semblent pourtant pas permettre de faire avancer l’enquête, depuis 45 ans, jour pour jour. “Je pense qu’on peut connaître la vérité peut-être 200 ans après. Aujourd'hui la question est de savoir pourquoi, par qui et comment. Même si l’autopsie nous a déjà informés sur le comment”, explique Florence Mothe. “Et puis, il faut également reconstituer l’itinéraire de Robert Boulin”.
Nous savons qu’il était convoqué chez René Journiac, mais qu’il n’est jamais arrivé à destination. D’ailleurs, Journiac est mort trois mois plus tard.
Florence Mothe,Ecrivaine et ancienne journaliste
Après des années d'attente, en 1983, la famille Boulin décide de déposer plainte contre X, convaincue que Robert Boulin ne s’est pas suicidé. L’enquête s’achèvera sur un non-lieu, en 1992. Cinq ans après le vol de scellés en 2010 et suite à une nouvelle plainte avec constitution de partie civile de Fabienne Boulin-Burgeat, une nouvelle information judiciaire s’ouvre, cette fois, pour "arrestation, enlèvement et séquestration suivie de mort ou assassinat".
À lire aussi : Nouvelles révélations dans l'affaire Robert Boulin, le ministre qui en savait trop : "45 ans après, la vérité dérange toujours"
Témoignage clé
Mais il faudra attendre 2024 pour entendre un premier coup de tonnerre : le témoignage d’un homme, "voiturier" au Roi René, un établissement libertin des Yvelines, qui aurait assisté à un échange entre les assassins. “Les assassins de Robert Boulin s’y seraient retrouvés après leur petite affaire et auraient confessé devant le voiturier, au commanditaire, l'étendue de leur maladresse et remis les documents qu'ils auraient réussi à récupérer”, relate Florence Mothe, à l’issue de la lecture de son témoignage.
Cette société était connue pour faire du racket ostensible pour le RPR.
Florence Mothe,Ecrivaine et ancienne journaliste
Pour la spécialiste de cette affaire, si cette scène semble “acrobatique”, elle va dans le sens de ses recherches. “Je ne crois pas que Pierre Debizet ait pu prendre le risque de diner dans cet établissement couru pour remercier ces braves gens d’avoir assassiné un ministre en exercice”, ironise-t-elle, croyant plutôt que la scène s’est déroulée dans une “dépendance de l’établissement”. “En revanche, je me demande si le témoin ne veut pas nous aiguiller vers Charles Pasqua et Jacques Chirac. Le propriétaire du Roi René a en effet été condamné dans l’affaire de la mairie de Paris et son directeur est très rapidement parti aux Émirats arabes unis”, lance l’écrivaine, qui propose de “fouiller dans les archives du tribunal de commerce de Paris".
Dans ce témoignage, Pierre Debizet, chef du Service d’action civique (SAC), une milice gaulliste, est directement visé et par extension Charles Pasqua, qui aurait été mentionné comme le commanditaire de cette expédition, qui se voulait à l’origine une violente agression du député-maire, sans le tuer. En plus de celui de Jacques Pécheur, un deuxième nom sort : celui d’Henri Geliot, un autre malfaiteur de l’époque, confondu par sa plaque d’immatriculation relevée par le voiturier.
Secret d'État
Pour la fille de Robert Boulin, qui se bat depuis toujours pour faire éclater la vérité autour de la mort de son père, ce témoignage était une bouée de sauvetage. "Je suis très heureuse que ce témoignage relance l'enquête, d'autant que la justice avait enclenché une procédure de non-lieu", indiquait-elle, en septembre dernier. "L'enquête n'a jamais progressé depuis 45 ans, regrette Fabienne Boulin-Burgeat.
Il y a un manque de volonté de connaître la vérité. Nous nous battons beaucoup avec mon avocate et notre recherche de vérité gène toujours.
Fabienne Boulin-Burgeat,fille de Robert Boulin
L’immobilisme de la justice est également décrié par la journaliste. “On a changé de magistrat un nombre incalculable de fois. Le dossier Boulin est un dossier énorme, c’est un secret d’État qui dure encore. Et qui est en lien avec ce qu’avait Robert Boulin sur des dossiers du RPR”, explique Florence Mothe.
L’écrivaine évoque ainsi le dossier Eurodif, une société spécialisée dans l’enrichissement d’uranium en lien avec l’Iran. D’autres dossiers sont par ailleurs évoqués comme des pistes compromettantes : “Elf Aquitaine”, la Coprege ou encore “Dassault”.
Quant à la thèse du poste de premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing, l'écrivaine ne croit pas à un geste de rivalité. “Valéry Giscard d'Estaing n’a jamais eu l’intention sincère de nommer Robert Boulin, mais il a en effet pu agiter ça pour s’imposer dans le parti”, indique Florence Mothe.
Ce mardi 29 octobre, Fabienne Boulin-Burgeat était de nouveau en rendez-vous avec la juge d’instruction en charge de l'enquête. Pour l’heure, aucune information sur la teneur de ces échanges n’a été révélée.