Le parquet de Versailles annonce qu'un nouveau témoignage a relancé l’enquête sur les causes du décès suspect de l’ancien ministre du Travail et député-maire de Libourne, retrouvé mort en octobre 1979 dans un étang. Sa fille, Fabienne Boulin-Burgeat n'a jamais cru à la thèse du suicide de son père. Elle se réjouit que la justice ait relancé les investigations près de 45 ans après les faits.
"Je suis très heureuse que ce témoignage relance l'enquête, d'autant que la justice avait enclenché une procédure de non-lieu". Fabienne Boulin-Burgeat vient de fêter ses 73 ans dans sa maison de Ramatuelle dans le sud de la France. Sa détermination à faire la lumière dans la mort de son père est intacte.
Instruction toujours en cours
Le 30 octobre 1979 au matin, le corps de Robert Boulin, ministre du Travail et maire de Libourne, en Gironde est retrouvé dans un étang près de Rambouillet dans la région parisienne. Une heure plus tard, sans attendre les conclusions de l'enquête, les autorités annoncent qu'il s'est suicidé en se noyant.
"L'enquête n'a jamais progressé depuis 45 ans, regrette Fabienne Boulin-Burgeat. Il y a un manque de volonté de connaître la vérité. Nous nous battons beaucoup avec mon avocate et notre recherche de vérité gène toujours".
Un nouveau témoin, d'un âge avancé, s'est spontanément présenté devant des gendarmes en 2022. Il a depuis été plusieurs fois auditionné et entendu par le juge d'instruction en 2023, comme l'ont relaté nos confrères de Sud Ouest.
Les déclarations de ce témoin sont claires et précises apparemment.
Fabienne Boulin-Burgeat,fille de Robert Boulin
Ce témoin, dont elle ne connaît pas l'identité, aurait mentionné plusieurs personnes impliquées à divers degrés dans l’assassinat de Robert Boulin, 59 ans, alors membre du RPR et ministre du gouvernement de Raymond Barre, selon l'AFP qui a pu questionner une source proche dossier. Près de 45 ans plus tard, l'affaire est donc relancée par ce témoin visiblement "jugé crédible" par la justice, et l'instruction est toujours en cours.
Le témoin cite deux hommes politiques de l’époque qu’il dénonce comme donneurs d’ordre d'un passage à tabac : Pierre Debizet, patron du Service d’action civique (SAC), le service d’ordre du parti gaulliste, et Charles Pasqua, l’un des premiers dirigeants du SAC fondé en 1958. Toujours selon la source, cette opération a alors mal tourné, et Robert Boulin a été tué, son corps disposé de manière à simuler une noyade.
45 ans de combat pour la vérité
La fille de Robert Boulin se réjouit de ce sursaut dans l'enquête, tout en regrettant d'avoir appris l'existence de ce nouveau témoin par les réseaux sociaux. "Je suis en colère de l'avoir appris ainsi, il y a seulement trois mois. La juge n'a rien dit alors que cela fait huit mois qu'elle a auditionné ce témoin. C'est une honte, car on a toujours le jeu, malgré le vol des scellés, les mensonges, et les témoins mis de côté, s'agace Fabienne Boulin-Burgeat, on nous traite mal".
Déjà en 2013, deux nouveaux témoins, dont le médecin réanimateur de Rambouillet qui s'était rendu sur place lors de la découverte du corps, avaient relancé la thèse de l'assassinat en affirmant que les blessures n'étaient pas compatibles avec un suicide. "Comme la justice refusait de faire une reconstitution, j'en ai fait une en 2019", explique Fabienne Boulin-Burgeat, qui détaille la scène. "Selon le médecin qui était présent le jour de la découverte, le corps de mon père flottait, le bras droit en l'air et la tête sortie de l'eau au trois-quarts,. Il présentait de multiples blessures".
Un corps noyé ne flotte pas, mon père a été jeté à l'eau peu de temps avant. Il a été assassiné.
Fabienne Boulin-Burgeat,fille de Robert Boulin
"On ne veut pas de la vérité : durant 20 ans, le nom du médecin réanimateur, présent sur les lieux, n'était pas versé au dossier alors qu'il était là !", déplore la fille de la victime.
Entendre les autres témoins
Fabienne Boulin-Burgeat voudrait que la justice en profite pour auditionner d'autres témoins, dont les deux gendarmes qui étaient, eux aussi, présents sur les lieux en 1979. "Il faut cette fois une enquête sérieuse. Ce dossier reste ouvert, il existe et c'est une prouesse 45 ans après. Il y a des gens qui ont vu que quelque chose n'était pas carré."
En dépit des années,sa détermination reste intacte : "Je ne lâche rien. Fille de gaulliste, j'ai été élevée dans l'idée de la justice et de la république. Mon père a été résistant chef de réseau donc moi, je me dois d'être exigeante".
La mort de mon père gêne encore la droite comme la gauche, des réseaux mafieux, des hommes politiques et certains services secrets.
Fabienne Boulin-Burgeat,Fille de Robert Boulin
Le ministre qui en savait trop
Dans un livre paru en 2011 aux éditions Don Quichotte, "Le dormeur du Val, Robert Boulin, ministre en exercice, est mort assassiné", Fabienne Boulin-Burgeat démontait déjà l'hypothèse du suicide.
"Avant même que l'enquête ne commence, les autorités concluent à un suicide par noyade. Dans un premier temps, la famille Boulin leur fait confiance, mais elle s'interroge bientôt devant les incohérences accumulées : le cadavre gisant dans cinquante centimètres d'eau, les traces de lien aux poignets, le visage tuméfié, cabossé, et l'énorme hématome derrière le crâne", écrivait-elle avant de s'interroger.
"Les preuves du déplacement du corps après la mort, sans compter la lettre " posthume " qui a toutes les apparences d'une grossière contrefaçon. Crime d'État ? Tout porte à croire, en effet, que le ministre, qui en savait trop, devenait une menace pour certains milieux politiques. L'affaire Boulin, qui révèle la corruption de nos mœurs politiques, cache l'un des plus grands scandales de la Vᵉ République".