Même si "octobre rose" est terminé, le cancer du sein c'est toute l'année. Je le sais parce que j'ai donné. Deux fois et jamais en octobre. La première fois, l'année de mes quarante ans, la seconde dix-sept ans plus tard. Récit à la première personne. Je suis journaliste et conseillère de programmes à France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Alors, parce que ça n'arrive pas qu'aux autres, j'ai voulu témoigner.
"J'ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. Je commence par laquelle ?". C'est Nathalie, mon médecin traitant qui, deux jours avant Noël, tard dans la soirée m'appelle sur mon portable. Je lui dis que je ne sais pas, qu'il va falloir que j'entende les deux donc allons-y : " Les résultats de la scintigraphie osseuse ne sont pas bons. La mauvaise nouvelle, c'est qu'il y a quelque chose sur le sternum. La bonne, c'est que ce n'est que sur le sternum. Je vous ai pris rendez-vous avec votre oncologue."
J'encaisse. Mal, mais j'encaisse. Et je ne dis rien. À personne. Le jour de Noël, nous sommes en famille. Une de mes nièces est enceinte, un de mes fils prépare son mariage. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de ce Noël-là, sauf qu'il faisait très beau. "Noël au balcon, Pâques au cimetière" disait Desproges. J'aime bien ce genre d'humour qui tient un peu les choses à distance, mais ça ne me fait pas rire : je suis métastasée. Ça me bouffe le sternum et la tête. Je décide de ne rien dire, histoire de ne pas plomber l'ambiance. Je le ferai quand j'en saurai plus.
Je n'ai pas eu à attendre longtemps. Après une biopsie du sternum, les résultats sont formels : "C'est une récidive de votre cancer du sein. Métastasée cette fois. Non, Françoise, je ne sais pas pourquoi. On attaque avec de la radiothérapie stéréotaxique et, selon les résultats, un traitement oral et des piqûres d'hormones à vie". Merci Olivier. C’est mon cancérologue. On se connaît depuis longtemps. Disons, depuis 17 ans...
J'encaisse. Beaucoup moins bien que la première fois. Ça sent l'injustice. Pourquoi encore moi, alors qu'il y a tant d'organismes disponibles ? Je sais que ce n'est pas charitable, mais je m'en fous. Je suis en colère et j'ai peur. Peur qu'une métastase se transforme en "métastases party", comme disait une amie partie trop tôt.
Et puis il va bien falloir le dire. Aux amis, ce n'est pas le plus compliqué, à la famille et surtout à mes fils. Mes sœurs sont rapidement dans la confidence. Je leur demande de ne pas s'inquiéter. Quant à mes fils, ce ne sont plus des petits garçons. Ça ne rend pas les choses plus faciles. Je leur annonce alors que j'ai commencé mon traitement. Ils encaissent. Mal. Et me confient que petits, même, si quand j'étais chauve, ils m'appelaient "Mars attacks", ils ont eu peur eux aussi. Peur de perdre leur mère. Je leur promets que ça n'arrivera pas. Je leur dis que s'ils le souhaitent, ils peuvent m'accompagner chez l'oncologue. Ils viendront et c'est Olivier qui va les rassurer à sa manière, qui heureusement est un peu la nôtre aussi : "Maman va mourir ?". Réponse du cancéro : "Oui. Mais pas de ça".
C'était en 2021. Cette fois, j'échappe à l'opération, à la chimiothérapie qui rend chauve et pas très en forme, aux 35 séances de radiothérapie et aux cinq ans d'hormonothérapie qui font doubler de volume.
Aujourd'hui, je vais mieux. La radiothérapie stéréotaxique au Centre Léon Bérard à Lyon, (cinq puissantes séances qui ciblent au millimètre près la tumeur) est venue à bout de cette métastase. Depuis trois ans, trois semaines par mois, j'avale deux cachets de thérapie ciblée. Tous les 28 jours, j'ai deux intramusculaires d'hormones, et tous les quatre mois un pet-scan. Entre chaque, des prises de sang et autres examens… Et des effets secondaires : trous de mémoire, articulations fragilisées, peau sèche, foie en vrac. J'en passe et pas des meilleurs. Et puis cette fatigue, souvent. Trop souvent. Un traitement "à vie" m'a dit l'oncologue. OK.
Ça ne m'empêche pas de travailler, avec une invalidité qui permet d'aménager mon planning. Et les deux sont importants : le travail et le planning aménagé. Et les collègues aussi, bien sûr.
Mais j'ai mes deux seins dont un avec cicatrices. Mais ils sont là. Et si je les ai toujours, c'est parce que je les montre, les fais tâter, radiographier et échographier tous les ans.
Si aujourd'hui, je vais bien, j'y pense tout le temps ou presque. Chaque douleur me fait craindre une nouvelle attaque du crabe. Ça change la vie un crabe, surtout quand il se réinvite dans votre organisme.
On entend souvent, "il y a l'avant et l'après cancer". C'est vrai. Je ne suis plus la même. Mon rapport au temps a changé. Il y a comme une urgence à faire les choses... Depuis bien longtemps, je ne fais plus de projet à long terme. Je me suis adoucie aussi (j'en vois sourire !) et j'ai appris la patience…
Voilà, c'est ma vie de cancéreuse en rémission. Comme des milliers d'autres femmes. Et pour nous les cancéreuses en rémission ou pas, ce n’est pas toujours rose. Sauf en octobre où tant de gens se mobilisent. Et franchement merci. Du fond du cœur.
En 2023, en France métropolitaine, il y a eu 61 213 nouveaux cas de cancer du sein. Une femme sur huit développe un cancer du sein au cours de sa vie. Selon le Centre International de Recherche sur le Cancer, la France occupe la première place mondiale pour l'incidence du cancer du sein. Encore une médaille... Alors les filles, ne soyez pas timides : montrez vos seins !