Pour faire face à la pénurie de personnels dans les EHPAD ardéchois, l'Agence Régionale de Santé leur a proposé de faire appel à des personnes condamnées à des TIG. La proposition est loin de faire l'unanimité chez les responsables des établissements, même si les besoins sont bien réels.
"On est en manque de personnels, on fait des nuits seuls, on travaille à deux au lieu de quatre. Les intérims ne veulent plus venir car au niveau planning, on n'est pas attractif. Et niveau salaire, pas du tout (attractif)," explique une aide-soignante de l'EHPAD "Les Lavandes" à Cruas, en Ardèche. Elle a souhaité rester anonyme. Depuis plusieurs semaines, le personnel de cette maison de retraite médicalisée a entamé un bras de fer avec la direction pour obtenir de meilleures conditions de travail et des hausses de salaire.
Dans cet EHPAD, comme dans la majorité des structures, la pénurie de personnels a de lourdes conséquences sur les soignants encore au travail. Ces derniers ne le cachent pas : ils sont épuisés et démoralisés. Cette situation a aussi des conséquences graves sur les pensionnaires. "Les résidents nous voient courir, ils voient qu'on est fatigué et épuisé, qu'on ne peut pas les prendre en soin comme on le voudrait... il y a des répercussions sur les résidents, forcément !" explique un autre soignant. Le risque : un basculement vers de la maltraitance passive et involontaire.
Faire appel à des Travaux d'Intérêts Généraux : l'idée de l'ARS retoquée
La pénurie de personnels dans les EHPAD n'est pas un phénomène nouveau. Ces structures pour personnes âgées dépendantes ont toutes les peines du monde à recruter. Et le problème s'est accentué avec l'obligation vaccinale. La situation est telle que l'Agence Régionale de Santé Auvergne Rhône-Alpes a suggéré aux chefs d'établissements de recourir aux Travaux d'Intérêt Général (TIG) pour pallier le manque d'effectifs. C'est l'une des solutions proposées mais pas la seule...
Une fausse bonne idée? Cette proposition de l'ARS ne fait manifestement pas l’unanimité chez les directeurs d’établissements concernés qui sont confrontés à une pénurie en personnel récurrente depuis des années. Thibault Gandon, directeur d'un Ehpad à Charmes-sur-Rhône et président de l'AGADRES (Association Gérontologique Ardéchoise des Directeurs et Responsables de Service) ne cache pas son scepticisme et sa surprise face à une telle proposition :
"Ça nous a un peu interloqué sur le moment. On s'est dit, nous, on a besoin de compétences, de gens formés, des infirmières, des aides-soignantes. Ces personnes-là ne connaissent pas forcément notre secteur d'activité. Comment on va faire pour les accueillir ? Et ça ne va pas répondre à notre besoin".
Mais le responsable temporise et ne ferme pas la porte à cette idée : "le dispositif n'est pas inintéressant mais pas dans la temporalité actuelle alors que les établissements sont en difficulté et ont besoin de gens formés. Mettre en place ce dispositif de réinsertion sociale, pourquoi pas MAIS quand nos effectifs sont au complet. Et lorsqu'on sera formé nous aussi pour les accueillir comme il se doit," explique-t-il. Il s'agit aussi de définir des missions claires, "en concertation avec les résidents et les familles".
Concernant les personnes condamnées à des travaux d'intérêt général, elles doivent en effet être accompagnées d'un tuteur ou d'un référent au sein de la structure qui les accueille. Son accompagnement quotidien doit être assuré. Or aujourd'hui, dans les établissements pour personnes âgées dépendantes, les effectifs n'ont pas de temps à dégager pour les encadrer. "Une personne (en TIG) va arriver et être lâchée dans un EHPAD, ça va être un échec pour nous et pour elle aussi !" Et il conclut : "ce dispositif, pourquoi pas mais pas à l'instant T!".
Un grand plan de communication... avant tout
Selon Thibault Gandon, le manque d'attractivité de ces métiers d'aide à la personne, peu valorisés, est au coeur du problème. Il faut développer des stratégies pour attirer des candidats. "On souhaiterait voir un plan de communication se mettre en place au niveau national, un peu à l'instar de ce qui se fait pour l'Armée. Un plan pour recruter et valoriser nos secteurs et montrer une image positive de nos EHPAD. Il y a de beaux métiers, il y a du sens parce qu'il y a de l'humain et des échanges intéressants."
Autre proposition des responsables d'établissements de l'AGADRES : l'apprentissage. "On croit beaucoup à l'apprentissage. Les filières d'aides-soignantes et infirmières, aujourd'hui on ne peut pas les faire en apprentissage". Ce qui permettrait notamment d'attirer des jeunes qui n'ont pas les moyens de faire des études dans ce secteur et qui pourraient être payés durant leur formation, selon Thibault Gandon.
La solution au problème de recrutement pourrait aussi passer par Pôle Emploi. On mise sur des forums des métiers pour susciter des vocations peut-être, mais surtout des reconversions. "L'objectif n'est pas uniquement de mettre en relation des personnes qualifiées avec des employeurs. Mais il a surtout pour objectif d'inciter des demandeurs d'emplois à venir sur ces métiers et les découvrir..." assure David Chabal, Directeur du pôle emploi de Privas.
Malgré les récentes hausses salariales et le Ségur de la Santé, les métiers de la santé peinent toujours à attirer. "Malgré le dispositif du Ségur, on ne sent pas d'appel d'air au niveau des candidatures," déplore Thibault Gandon. En Ardèche, ils représentent près d'un tiers des offres d'emplois à pourvoir.