C’est l’histoire d’un coup de foudre. Celui d'un scientifique passionné par l'orage avec le département du Cantal. C'est dans l’immensité du plateau du Cézallier, non loin des massifs du Sancy, que Raymond Piccoli a choisi d'étudier les éclairs...à sa façon. Rencontre avec un chercheur enflammé par l'amour de la foudre.
Pendant que beaucoup se calfeutrent à la maison ou se cachent sous les draps au grondement de l’orage, Raymond Piccoli, lui, va au plus près de la foudre. Ce scientifique en a fait sa spécialité. Cet expert de la foudre est le directeur du laboratoire de recherche sur la foudre basé à Champs-sur-Tarentaine-Marchal dans le Cantal. Ce chercheur a décidé de se consacrer, il y a 30 ans, à ce phénomène atmosphérique impressionnant. Pour cela, il a choisi le Cantal, et ce n’est pas par hasard...
Le choix du site, plus qu’un coup de foudre…
C’est dans les locaux d’une ancienne caserne de gendarmerie au pied du plus grand volcan d'Europe que Raymond Piccoli et son équipe ont décidé de poser leurs valises et de lever les yeux au ciel. Ce sont en partie les “cieux préservés ” du département qui ont attiré ce chercheur. “Nous sommes dans un endroit merveilleusement tranquille pour pouvoir travailler, s'enthousiasme-t-il. Le Cantal est un endroit où il y a très peu d’industries, très peu de pollution, peu d’agriculture intensive. Tout cela fait que l’on a un ciel d’une très grande transparence. Dans le Cantal, on a des cieux plus purs que certains départements alpins de haute altitude n’ont pas”. Leurs terrains de recherche s’étendent bien au-delà des massifs du Sancy ou du Cantal. Ils couvrent également les départements de l’Ardèche, des Alpes-de-Haute-Provence et des Alpes-Maritimes, sans oublier les missions à l’étranger.
Un laboratoire à ciel ouvert
Avec une équipe forte de 16 chercheurs, ingénieurs et techniciens, Raymond Piccoli vit au rythme des orages. Il revendique une méthodologie “à l’ancienne”. Il a préféré aux algorithmes et à la modélisation 3D, le terrain et la "réalité". Des méthodes uniques en France : “On travaille au cœur des orages, en conditions réelles. On est l’une des dernières unités de recherche, au niveau international, à travailler ainsi. On ne fait pas de numérisation, ni de modèles informatiques. On est au cœur des orages, au plus proche de la zone de foudroiement. Dès qu’une activité orageuse est prévue, on forme les équipes, on prend nos instruments et on y va. Et ça peut être à n’importe quel moment du jour ou de l’année. On travaille au rythme des orages”. Impossible pour Raymond Piccoli de se passer de ces conditions réelles de recherche. “Imaginez que vous êtes zoologiste et spécialiste des lions, image-t-il. Voilà 20 ans que vous étudiez cet animal mais les seuls lions que vous avez vus sont ceux rapportés par des écrits et en photos. N’aimeriez-vous pas aller les voir ? Pour nous, c’est pareil”.
Une pratique très rare dans le petit monde de la recherche sur la foudre. Si rare que le laboratoire auvergnat attire des chercheurs du monde entier. “Nous ne sommes que 3 Français parmi l’équipe de 16 chercheurs, souligne-t-il. Le reste, ce sont des Américains, des Allemands ou des Italiens”. Aller au plus près des orages et de la foudre, c'est forcément dangereux. Raymond Piccoli en est conscient : “Il se peut que l’on se trouve parfois, c'est très rare et ce n’est pas le but, à moins de 20 mètres d'un impact de foudre. Nous sommes parfaitement conscients des risques. Quand le danger est trop important pour nous, on rebrousse chemin".
Le rôle des massifs volcaniques
Au cours de ses trois décennies de recherche, Raymond Piccoli a fait quelques découvertes surprenantes. Les observations ont notamment révélé l’influence des massifs volcaniques du Cantal sur le déroulement des orages. “Les massifs volcaniques modifient la dynamique de l’orage, explique le scientifique. Et les conséquences peuvent être très différentes. C’est aléatoire : soit l’activité orageuse perd de son intensité voire est stoppée net parfois; soit les orages vont reprendre une activité et devenir plus intenses". Grâce à l’observation de terrain, les chercheurs ont constaté d'autres phénomènes particuliers liés aux massifs volcaniques : "On ne sait pas si c’est propre à ces massifs mais la structure des éclairs change. Ils deviennent très sinueux, avec des formes très anarchiques, vont faire des trajets étonnants avant de frapper au sol, parfois à plusieurs kilomètres de distances latéralement. Dernièrement, il nous est arrivé d'observer une cellule orageuse située à 4 ou 5 kilomètres du Puy Mary. On voyait des éclairs qui partaient quasiment à l’horizontal pour venir frapper les pans du massif. C’est quelque chose de très inhabituel. C'est intrigant ces conditions locales car dès que l'on dépasse les massifs volcaniques du Mont du Cantal et que l’on revient sur le plateau du Limon, les éclairs reprennent une structure plus habituelle”.
Le mystère des farfadets
Même si Raymond Piccoli est un fin connaisseur de la foudre, il reste néanmoins de nombreuses questions sans réponse. Une en particulier qui intrigue les chercheurs : les farfadets. Non pas les petites créatures des croyances populaires mais des phénomènes lumineux provoqués par la foudre, en l’occurrence de puissants éclairs, dans la haute atmosphère et qui se présentent sous la forme de colonnes verticales, le plus souvent d’aspect rougeâtre, plus rarement bleu.. “C’est fascinant. C’est l’interaction entre les orages, la haute atmosphère et les limites vers l’espace.. C’est grandiose, s'extasie le scientifique. Et on n’est qu’au balbutiement de la recherche sur ces phénomènes fascinants”. Son laboratoire est d’ailleurs le concepteur du réseau farfadet qui, avec 8 autres stations automatisées réparties en France, et bientôt deux à l’étranger, traque ces fugaces phénomènes. Et selon le chercheur, les deux stations captant le plus de farfadets sont celles des Alpes de Haute Provence… et du Cantal. Raymond Piccoli estime à 200 le nombre de farfadets capturés chaque année par le réseau. Fugaces et si rapides, il est très difficile de les apercevoir à l’œil nu, mais pas impossible. Le chercheur avoue en avoir observé, à l'œil nu, "seulement à deux reprises en 20 ans". “C’est grisant et fascinant à la fois, s’émerveille le scientifique. C’est un privilège de voir ces fabuleux phénomènes de la nature”. Sur la chaîne YouTube du laboratoire, les scientifiques partagent régulièrement les images des stations du réseau Farfadet. Comme sur cette vidéo filmée dans le Cantal :
En ce qui concerne les recherches sur la foudre, mais aussi sur les farfadets, il reste tant à faire…. “C’est un domaine qui n’intéresse pas grand monde et c’est dommage, déplore Raymond Piccoli. Or, on ne connaît que très peu de choses au final sur la foudre et les phénomènes qui gravitent autour". Il rappelle l’importance de la recherche sur la foudre : “Il faut comprendre que si demain il n’y avait plus de foudre sur la planète, toute forme de vie disparaîtrait. C’est la foudre qui régule l’activité électrique et électrostatique terrestre. Elle permet de les garder à des taux acceptables pour toute forme de vie. On a pour cela 2 000 à 2 500 orages actifs en permanence autour de la planète. Et ils vont émettre de 8 à 12 millions d’éclairs par jour."
Se frotter à l’inconnu. C'est ce qui enflamme ce spécialiste de la foudre. Les mystères font partie de son quotidien. Il est membre du Collège d’experts du GEIPAN, un service du Centre National d’Études Spatiales qui traite les phénomènes aérospatiaux non identifiés, autrement dit les OVNI. "Pour le GEIPAN, mon avis consiste à dire si ce que les personnes ont vu est compatible avec une hypothèse de foudre en boule ou de plasma atmosphérique ou pas, précise-t-il. Et parfois, ces dossiers rejoignent la longue liste des cas non résolus. Il y a une consanguinité importante entre les phénomènes liés à la foudre globulaire et certaines observations d’OVNI”.
En tout cas, une chose est sûre : l’étincelle dans les yeux de Raymond Piccoli est toujours là quand il s’agit de foudre.