Coronavirus & BTP : "Avez-vous eu la diarrhée avec 3 selles molles", le questionnaire santé qui fait douter

Difficile d'avoir des chiffres mais les entreprises du Bâtiment & des Travaux Publics ne sont pas si nombreuses à avoir repris le travail. Le guide de préconisations, validé par le gouvernement, n'arrive pas à convaincre une profession qui voit mal comment appliquer certaines règles sanitaires.

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"Vous me voyez demander à mon gars s'il a eu de la diarrhée avec au moins 3 selles molles ces dernières 24 heures? C'est pourtant ce qui est écrit dans le guide, ça fait partie du questionnaire de santé qu'on devrait pratiquer chaque matin avant la prise de service.

Y'a de quoi rire quand même, j'suis pas médecin! Et s'il avait les symptômes du coronavirus, ça voudrait dire qu'il aurait déjà potentiellement contaminé d'autres collègues. Et c'est sur moi que ça retomberait. C'est pas sérieux"
, lance un entrepreneur du Bâtiment d'Auvergne-Rhône-Alpes, qui refuse pour l'instant de faire courir un risque à ses salariés. L'homme, qui veut préserver son anonymat, a donc décidé de ne pas reprendre ses chantiers partout en France, malgré, selon lui, la pression de certains donneurs d'ordre. 
 

"Pour chaque chantier on est obligés de faire part de nos engagements sanitaires aux clients, c'est un énorme travail administratif avec en plus des trucs impossibles à tenir comme le lavage des mains toutes les heures", ajoute le patron, "donner un marteau à collègue ça devient compliqué. Je le désinfecte, je lui donne, il le désinfecte, il me le redonne... faut vraiment rien connaître à notre métier pour pondre ces mesures. Et puis, moi je m'engage mais qui me dit que les autres intervenants du chantier vont faire pareil. Y'a trop de risques. Pour le moment, mes salariés restent chez eux." 
 

>>> Guide de préconisations de sécurité sanitaire - BTP

 

Si les plus gros du secteur se questionnent encore avant de reprendre, des artisans ont retrouvé le chemin des chantiers et tentent de respecter le fameux guide.

Dans le Nord Isère, une équipe de France 3 Rhône-Alpes a pu suivre Bernard Marron alors que ses salariés, en nombre limité, posaient du placo.
 

"Aujourd'hui on est obligés d'assurer une rotation des entreprises qui interviennent sur un chantier, on se coordonne pour ne jamais être ensemble. Forcément, ça complique le travail. C'est à dire qu'on peut intervenir 2 jours, on repart une journée pour laisser la place à un autre, et on revient après", explique le dirigeant de la société "Marron frères".


"On sait aussi que ça va être de plus en plus dur de bosser, faute de matière première. On va par exemple dépendre de la fabrication de placoplatre. Pour l'instant, on vit sur les stocks de nos fournisseurs."
 

 

Un guide pour contrer le "défaitisme"

Depuis l'annonce du confinement, les entreprises jugeaient intenable de poursuivre les chantiers. Mais le gouvernement y voyait une activité essentielle à l'économie. Des voix accusaient même certains représentants du BTP de "défaitisme", comme Muriel Pénicaud, la ministre du Travail.

Un début d'accord a donc été trouvé le 21 mars, subordonnant la reprise de l'activité à l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques. Il s'est fait attendre une dizaine de jours. Désormais publié, ce guide doit servir de base à la reprise. 

C'est toutefois à l'entreprise que revient la décision de reprendre son activité ou de se tourner vers le chômage partiel financé par l'État.

Le guide "détaille les conditions sanitaires satisfaisantes et les procédures précises à adopter pour garantir la santé et la sécurité des salariés et des employeurs", indiquent la Fédération française du bâtiment (FFB), la Capeb (l'organisation qui domine l'artisanat du bâtiment), la FNTP (centrée sur les travaux publics) et la fédération des SCOP (sociétés coopératives) du BTP.
 

Ces organisations "recommandent aux entreprises que les apprentis n'interviennent pas sur les chantiers et ateliers" et une "attention particulière" aux "salariés les plus fragiles et notamment ceux en affection de longue durée".

    
De son côté, avant même la diffusion de ces règles sanitaires, le gouvernement insistait sur la nécessité de reprendre certains chantiers. 
 

"On a besoin de ces activités, notamment pour la maintenance de nos réseaux, de nos centrales nucléaires, de nos éoliennes", a déclaré Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologique, lors d'une audition dématérialisée au Sénat. "On est sur des activités qui sont très importantes", évoquant par exemple des axes ferroviaires et routiers interrompus qui nécessitent des réparations.
 

Les syndicats majoritairement opposés à la reprise

Les règles publiées n'ont en revanche pas satisfait les syndicats, dont la CGT, première organisation du secteur. Le guide "ne traite pas que des travaux d'urgence, or nous nous opposons à une reprise de l'activité totale", déclarait Bruno Bothua, secrétaire général de la CGT-Construction, à l'Agence France Presse, le 2 avril dernier. 
 

"Le bâtiment n'est pas prioritaire pour [recevoir] les équipements de protection", dont manque déjà le personnel soignant, avait-il ajouté, en jugeant ce guide "inutilisable".


"Qui va désinfecter les toilettes sur les chantiers?", mesure pourtant prescrite par le guide, s'interrogeait notamment Bruno Bothua.

FO, la CFTC et la CFE-CGC ont rejoint la CGT sur cette ligne. "L'objectif de ce document est bien de faire reprendre l'activité en protégeant juridiquement les employeurs, en utilisant des formules comme 'il est recommandé', 'dans la mesure du possible', 'selon disponibilité' ou en jetant un doute sur la personne à qui incombe les obligations."
 

"Nous aurions souhaité que ce guide permette la continuité des activités portant sur les travaux d'urgence et qu'un autre soit édité pour l'après-confinement. Nous n'avons pas été entendus", regrettent les quatre syndicats, en appelant les salariés à "utiliser leur droit de retrait (...) s'ils se sentent en danger".


De son côté, la CFDT Construction a décidé de valider ce guide, dont le respect permettra selon elle "d'assurer a minima aux salariés du BTP leur sécurité sanitaire dans le cadre de leur activité". La CFDT se dit également attentive à ce que "les employeurs passent du dire au faire, pour qu'ils assurent leurs responsabilités en matière de santé et de sécurité des salariés et à celle de leur entourage".

Même les politiques s'en mêlent désormais. Le Parti communiste estime que le guide encourage la reprise des chantiers au "mépris de la santé des 2 millions de salariés" du secteur. Dans un communiqué daté du 5 avril, le PC interroge:
 

"Comment imaginer que les salariés puissent respecter strictement la distance minimale d'un mètre? Comment imaginer qu'ils puissent disposer tous de masques chirurgicaux pour les protéger alors que le manque est déjà criant pour toutes les activités indispensables?"


Le PCF accuse le gouvernement de vouloir "réaliser des économies sur les montants de chômage partiel à accorder". Il préconise "une fois l'épidémie passée" d'engager "un plan de relance massif pour le BTP, d'au moins 40 milliards d'euros, en priorisant tous les investissements utiles pour la transition énergétique".

 
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