Avec le Coronavirus, la collapsologie convainc de plus en plus de monde

Elle prédit "l'effondrement" depuis des années. Longtemps marginale et très critiquée, la théorie collapsologue gagne aujourd'hui de plus en plus du crédit. Simples partisans ou véritables militants, ils partagent l'idée que la crise sanitaire révèle les limites de notre société.

 

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"On vous l'avait bien dit"

Les collapsologues auraient pu s'en targuer sur toutes les ondes. Une pandémie qui prouve les limites notre société, ces théoriciens de l'effondrement l'avaient prédit depuis longtemps. Et pourtant, le triomphe modeste, ils n'ont même pas eu besoin de s'en vanter à voix haute pour susciter un intérêt grandissant. Pour de nombreuses personnes, le coronavirus a été un "déclic". Pour d'autres, déjà convaincues, elle précipite la quête de l'autonomie et de l'autosuffisance.

Popularisée en France par Pablo Servigne, drômois d'adoption, la collapsologie étudie la fragilité de notre société et en explore les risques systémiques pouvant précipiter son effondrement (changement climatique, crise financière ou sanitaire, épuisement des ressources...). "Il y a des signaux qui nous arrivent, des faits scientifiques. On a fait la compilation de toutes ces alertes, de toutes ces catastrophes qui ont déjà eu lieu et de ce qui pourrait avoir lieu. Et quand on interconnecte toutes les crises : énergie, biodiversité, climat, inégalités, on voit qu'il y a un effet domino, c'est à dire qu'une crise peut en déclencher une autre", expliquait l'ingénieur et chercheur indépendant sur France 3 Rhône-Alpes.

 

Le coronavirus : un accélérateur de la prise de conscience

Les pandémies sont donc un excellent candidat au collapse. Et si la crise actuelle ne peut pas être qualifiée d'effondrement, elle pourrait néanmoins, selon ces théories, être le premier domino d'un enchaînement pouvant accélérer la fin de notre société.
"Le vrai collapse, c'est quand les services de base de l'Etat ne sont plus assurés. Nous ne sommes pas là-dedans. Mais il s'agit d'une répétition générale. Une sorte de stress-test qui permet de tester la robustesse et de pointer les limites de notre système. Et qui doit nous faire réfléchir à la nécessité de promouvoir une société plus résiliente", explique Loïc Steffan, co-auteur de "N'ayez pas peur du collapse".

Si, pour les plus convaincus, la crise du Covid est donc la preuve d’un monde qui s’effrite, pour d’autres, moins familiers avec le concept, l'évènement a été l'occasion de plonger dans le monde de la collapsologie et d'en découvrir toutes les subtilités. Sur "La collapso heureuse", principal groupe Facebook dédié au mouvement, 4000 nouveaux membres se sont inscrits depuis le début du confinement, pour atteindre plus de 28 000 abonnés.

"Les demandes ont explosé. Et malgré un refus qui est toujours au minimum de 75%, car nous souhaitons garder un groupe à taille humaine, nous avons presque doublé le nombre de membres. En deux mois nous avons fait autant qu'en deux ans..." s'étonne l'un des fondateurs du groupe "Transition 2030 pour les Nuls".

C'est le cas de Camille Simon, étudiante à Sciences Po Grenoble, collapsonaute heureuse en herbe. Déjà sensibilisée à l’écologie, la jeune femme a profité du confinement pour se renseigner sur Internet. "J’avais déjà entendu parler de la collapsologie auparavant. Mais avec la crise du Covid et le bouleversement de multiples systèmes, je me suis à nouveau intéressée à ces idées. Dans ce contexte de crise, j’ai trouvé que ces théories étaient bien plus pertinentes qu’avant", raconte Camille, inscrite sur le groupe Facebook depuis la mi-avril. Pour elle, l'angoisse a été l'un des éléments déclencheurs. "Le contexte du Covid a confirmé plusieurs de mes inquiétudes, notamment sur l’absence totale de résilience de notre société. Mais je reste optimiste pour notre avenir et je trouve ce concept de «collapsologie heureuse» très intéressant et positif".

Même cheminement pour Aurélie, 35 ans, responsable administration des ventes dans une industrie de nouvelles technologies. "Ce confinement m’a permis de me poser et d’ouvrir enfin les yeux sur ce qui se joue vraiment". Après avoir lu le livre fondateur de la collapsologie, “Comment tout peut s’effondrer”, de Pablo Servigne, Aurélie s'est rendu compte qu'elle n'était pas seule à sentir le monde s'effriter.
Une prise de conscience salvatrice mais néanmoins brutale. "La crise du Covid a comme "mis sous notre nez la merde que l’on refusait de voir". Elle m’a forcée à accepter ce futur gris qu’annonce le système actuel".

Pour Doris Clidière aussi, le choc a été frontal, avant de laisser place à une ambition déterminée, celle de changer de vie. "Le stress a augmenté de façon exponentielle avec le Covid. On découvre qu'on ne maîtrise plus sa vie. On constate que s’il y a une catastrophe, nous sommes dépendants. Vouloir reprendre mon avenir en main est devenu une obsession", raconte l'électricienne dans le bâtiment.
 

La métanoïa : où le changement de regard sur le monde


La collapsologie convoque souvent l'image d'une "courbe du deuil" pour décrire cet état de choc initial, première étape d'un processus qui aboutirait, après des phases de déni, de colère ou de peur, à une forme d’acceptation sereine de la fin de notre monde.

Pour Loïc Steffan, co-fondateur de l’Observatoire des vécus du collapse, c'est une réaction assez classique. Le chercheur étudie les comportements et les stratégies psychologiques déployées par les gens pour faire face à l'idée du collapse. "Pour disons, 70% des gens, l'adhésion à la théorie collapsologue est liée à un gros choc, souvent émotionnel". L'angoisse, la peur, la crainte de la mort peuvent être des déclencheurs. Mais pas seulement. "Ce qu'il se passe avec le coronavirus, c'est la démonstration par l'absurde", affirme le chercheur qui vient de lancer une enquête sur la façon dont les gens ont réagi au coronavirus.

Pour beaucoup, le coronavirus peur agir comme révélateur . "Beaucoup de gens étaient dans le déni, c'était leur stratégie pour faire face à ce qu'ils savent déjà. Avec le Covid, le constat que nos sociétés sont fragiles s'impose brutalement. Un petit virus est capable de mettre le monde à terre, l'hyper-connectivité du monde pose problème. Donc tout ce que l'on ne voulait pas voir, on se le prend dans la gueule, et cela fait forcément réfléchir. Les stratégies de protection mentale s'effritent".

C'est ce qu'on appelle la métanoïa. Une notion que la psychologie a empruntée à la théologie pour décrire une transformation de la vision du monde. "La métanoïa est une conversion du regard qui fait que l'on croit enfin ce que l'on savait déjà. On ne peut plus se réfugier dans le déni. Elle peut être provoquée par n'importe quoi. Pour Greta Thunberg, ça a été les ours polaires. Pour d'autres, ce sera la disparition des abeilles. Evidemment le Covid19 est un bon candidat pour reconfigurer les visions du monde", détaille Loïc Steffan. Le concept obéit donc à deux phases, la première, celle du rejet, du déni. La deuxième, celle de la recomposition du réel. "C'est ce qui se passe pour beaucoup de gens en ce moment : le coronavirus a provoqué une brèche, une scission mentale. On se rend compte que le système ne va pas du tout. Et le seul discours qui prévoit depuis longtemps que notre société va se casser la figure, c'est le discours collapsologue", argumente le chercheur pour expliquer l'attrait exponentiel du mouvement ces derniers mois.

Le rêve de l'exode urbain

En France, 65 % des gens croient à la thèse d’un effondrement de notre civilisation dans les prochaines années. C'est ce que démontre une enquête IFOP pour la Fondation Jean Jaurès, réalisée en 2019.

Et, pour ceux qui en ont déjà franchi l'étape de l'acceptation, la perspective du collapse incarnée par le coronavirus peut être un puissant stimulant à l’action. L'occasion de tourner définitivement la page du capitalisme. Le moment où jamais pour imaginer un avenir fait de résilience et d'autonomie, piliers de l'avenir imaginé par les collapsologues.

Doris Clidière, qui habite avec ses trois enfants dans un logement social, rêve depuis longtemps d'une maison à la campagne. Changer de vie, quitter son appartement, être autonome. "La crise du Covid a largement contribué à l’accélération de mon projet", assure-t-elle. L’électricienne a vécu dix-huit ans en région parisienne, où elle raconte avoir beaucoup souffert. Aujourd'hui, elle veut offrir à ses enfants un nouveau havre de paix. "Lorsqu’on pense effondrement, on parle souvent de besoin matériel ou de nourriture mais on oublie le mental. On en a la preuve avec le Covid. Etre nfermé dans un appartement avec une vue sur des bâtiments est destructeur. Pourquoi les parisiens se sont enfuis ? Je pense qu’à la campagne, il y a plus de liberté".

Si tous les collapsologues ne rêvent pas de fuir la ville, l'exode urbain est une aspiration qui revient souvent. Et avec elle, celle de l'autonomie alimentaire, une question de sécurité nationale. "En campagne nous pouvons encore produire pour combler nos propres besoins. En campagne les ressources naturelles ne manquent pas, il y en a pour tout le monde. En campagne la vie suit son rythme et nous pouvons l’écouter et parfois le suivre", ajoute Doris Clidière.
 

Du choc à l'action : la quête d'autonomie

Frédérique Porquet partage la même conviction. En juillet, elle doit quitter le Val d'Oise et s'installer en Savoie, avec son mari et ses filles, pour "s'indépendantiser". Plus que jamais, elle a désormais la certitude d'avoir fait le bon choix en migrant vers la campagne.
Et au delà de l'envie d'air pur, c'est la volonté de trouver une certaine autonomie qui la motive. Avoir un potager. Diminuer au maximum la consommation d'eau et d'électricité. Installer une éolienne. "Et trouver des solutions pour "être prêts" et ne pas dépendre des supermarchés si un jour il se passe ce qui s'est passé pendant un mois au début de l'épidémie. Parce que ce qui est certain, on a pu le constater, c'est que c'est chacun pour soi... Ça m'a mis un coup au moral de voir tous ces gens se jeter sur les produits en tout genre, sans penser une minute au partage", témoigne-t-elle.

Un retour à la terre qui fait rêver Aurélie, convertie très récemment à la collapsologie, mais pour qui la prise de conscience a été si brutale que la nécessité de changer de vie est devenue impérieuse. "Avant le Covid, nous étions encore dans le moule du capitalisme, nous voulions investir dans l'immobilier locatif, investir dans des business modèles qui rapportent, voyager loin, loin, loin...
Depuis notre prise de conscience, nos envies sont toutes autres et celles d’avant nous semblent ridicules et tellement égoïstes... ".


Après en avoir longuement discuté avec son mari pendant le confinement, le couple a décidé de quitter au plus vite la banlieue grenobloise pour la "vraie campagne" dans le massif de la Chartreuse. "Nous voulons un vrai retour aux sources, à la nature. Nous voulons pouvoir être à son contact et œuvrer pour elle en harmonie. Nous voulons un terrain nous permettant de cultiver en permaculture, nous former en apiculture, en herboristerie. Faire en sorte d’être plus autonomes, plus respectueux de l’environnement, plus résilients, plus solidaires aussi. En bref, ce virus a fait naître chez nous beaucoup de positif plutôt que du négatif", résume-t-elle, consciente cependant que cela pourra prendre du temps.
 

Une société résiliente et solidaire

Une vision positive et solidaire du futur, ce sont les pierres angulaires de la collaspologie. "C'est ce qui la différencie du survivalisme", explique Loïc Steffan. "Le constat est le même, mais pas la réponse. Le collapsologue veut sauver la société, le survivaliste est individualiste" ajoute-t-il.

Selon le chercheur, il y a deux façons de réagir à l'acceptation de l'effondrement. Optimisme ou pessimisme. "Le pessimisme donne lieu à des comportements survivalistes et misanthropes. L'optimisme, surtout lorsqu'il est actif, engendre un univers mental plus propice à la coopération".

C'est d'ailleurs pour cette raison que, selon les études de Loïc Steffan et de son collègue le psychologue Pierre-Eric Sutter, les collapsologues ont "mieux géré l'épisode de crise". Moins stressés par la perspective de la mort, ils ont eu plus de facilité à s'adapter. "Ils ont tous déjà fait leur métanoia et acceptent mieux la crise. Par conséquent, ils sont moins dans le retrait et beaucoup plus dans l'entraide".

"Au niveau individuel, on ne peut faire que du bricolage, pour faire face à ses propres angoisses, mais la seule vraie solution pour se préparer à l'effondrement, c'est le collectif. Pour survivre, on a besoin de l'autre", confirme Marie-Laure Mayoud, qui a décidé de passer à l'acte en s'engageant politiquement. Avec d'autres citoyens engagés, elle a monté une liste citoyenne pour les municipales de Sassenage.
"Il faut anticiper, ne pas attendre d'avoir le nez dedans, comme avec ce qu'on vient de vivre justement", argumente-elle. Pour exemple, elle cite le groupe d'entraide qu'elle et ses colistiers ont créé pendant la crise sanitaire. Un groupe pour favoriser l'approvisionnement de denrées alimentaires en circuit court. Un collectif qui est profitable aux producteurs, pour qui la crise a été rude, et au consommateur à la fois.

Optimiste et engagée, Marie-Laure n'est pourtant pas convaincue que le monde changera du jour au lendemain, comme l'espèrent certains collapsologues après la crise. Elle reconnaît cependant le rôle du Covid : les consciences s'éveillent. Lentement mais surement. "Il est certain qu'il se passe quelque chose. Mais les forces que l'on a en face, notamment dans le secteur économique, sont terriblement puissantes. Les affrontements vont devenir de plus en plus forts".

Dans cette perspective, la crise actuelle apparaît comme une fenêtre de tir à ne pas louper : "Il faut rester mobilisé. Il ne faut surtout pas lâcher. Il peut y avoir une bascule qui s'opère, c'est l'occasion d'infléchir le mouvement", conclut la militante, qui est par ailleurs soignante et espère une convergence des luttes.

 

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