Alors que l'épidémie de coronavirus a mis à l'arrêt une grande partie du pays, la justice continue à fonctionner... au ralenti. Audiences en visioconférence, comparutions avec un masque, aménagements de peine pour cause d'épidémie, au tribunal de Chambéry, chacun a dû s'adapter.
La cour intérieure du tribunal de Chambéry (Savoie) est d'habitude un ballet de robes, d'uniformes et de véhicules. Depuis le confinement, le silence y règne. Mais la Justice continue son oeuvre... au ralenti.
Dans les étages, les bureaux sont largement désertés. La plupart des fonctionnaires télétravaillent. La juridiction tient au quotidien sur les épaules de quelques-uns. "Le coronavirus, c'est anxiogène pour moi. J'ai très peur". Cette quadragénaire, le juge des libertés Cyrille Tréhudic ne la verra pas. En temps normal, il aurait échangé avec elle dans la salle d'audience de l'hôpital psychiatrique de Bassens, où elle a été admise quelques jours plus tôt. Pas cette fois, pour cause de confinement.
Par téléphone, dans un bureau aménagé en salle d'audience, il s'assure du bien-fondé de son hospitalisation d'office. L'avocate est présente, la greffière aussi, comme d'habitude. Mais rien n'est normal. Chacun garde ses distances. Des plaques en verre acrylique ont été installées devant le juge et devant l'avocate. Les sept patients entendus ce jour-là évoquent presque tous le Covid-19.
Le COVID a pris le pas sur tout
En plein débats, le procureur quitte l'audience: c'est l'heure de la réunion quotidienne de la cellule de crise. Au tribunal judiciaire de Chambéry comme à la cour d'appel, le Covid-19 a pris le pas sur tout : les procédures, les habitudes, le calendrier, les inquiétudes, les discussions et les rares débats contradictoires encore possibles.
A l'audience des comparutions immédiates, la greffière Stéphanie Guine se sent comme "un couteau-suisse": chargée de l'exécution des peines habituellement, elle s'occupe cette semaine des audiences correctionnelles. Comparaissent ce jour-là quatre prévenus dans un même dossier. Deux sont libres ; l'un comparaît détenu dans le box avec un masque, contrairement aux deux policiers de son escorte ; le dernier comparaît par visioconférence depuis le centre pénitentiaire d'Aiton (Savoie), sans masque, contrairement au surveillant près de lui.
A l'écran, le détenu demande le renvoi de son affaire. Son avocat s'était présenté par erreur dans une autre juridiction le matin, pour le même client mais pour un autre dossier. "On ne va pas en maison d'arrêt pour faire le point avec nos clients parce que la distance sociale dans un parloir, c'est du pipeau", intervient Me Olivier Connille,en défendant son confrère et sa profession en période de confinement. "On ne peut pas non plus appeler nos clients. Il faut attendre qu'ils nous appellent. La Poste, ça ne marche pas. Alors sur le plan des principes, c'est vraiment compliqué", ajoute-t-il.
"On rame, mais tous dans le même sens "
Au tribunal pour enfants, la conciliation des principes et de la réalité est aussi périlleuse, le confinement venant s'ajouter à des situations par nature très difficiles. "C'est la chronique d'un désastre annoncé", considère Myriam d'Halluin, juge des enfants. "Nous sommes résolument optimistes, mais la barque est lourde". Et avec le confinement, il y a "des craintes pour les violences intrafamiliales", avec "forcément, des conséquences à venir sur les relations entre les parents et enfants séparés".
La juge d'application des peines Nathalie Mazaud a prononcé "une petite dizaine" d'aménagements de peine du fait de la situation sanitaire dans les prisons. L'activité se poursuit donc, à un rythme toutefois loin de celui régnant habituellement en ces lieux. "On rame, mais tous dans le même sens ", admet Sandra Letellier", greffière.
Après, il faudra relever un défi semblant impossible : rattraper le retard résultant de plus de deux mois de grève des avocats et du confinement. Et encore, considère Sandra Reymond, substitute du procureur, "nous sommes une juridiction plutôt préservée par rapport à d'autres".