Selon les auteurs d'un livre à paraître mercredi 7 février, la centrale nucléaire du Tricastin serait la plus dangereuse de France, suivie par celle du Bugey.
"Tout est réuni pour que survienne une catastrophe." C'est le constat alarmant des auteurs du livre "Nucléaire, danger immédiat", qui doit paraître ce mercredi 7 février.Des fissures dans les cuves
Thierry Gadault et Hughues Demeude, journalistes indépendants, dressent un bilan étayé et très alarmant de l'état du parc nucléaire français en général, et des centrales du Tricastin (Drôme) et du Bugey (Ain) en particulier.
Selon eux, la cuve T1 du Tricastin, et la cuve B5 du Bugey, présentent des fissures susceptibles de fragiliser gravement leur structure. "En cas d'emballement nucléaire, ces fissures pourraient entraîner la rupture de la cuve, qui serait catastrophique", affirme Thierry Gadault. "L'accident grave devient, non plus possible, mais probable", concluent les auteurs. Pour eux, ces fissures ne peuvent tout simplement pas être réparées, induisant donc un arrêt définitif et immédiat des réacteurs concernés.
Le Tricastin, "la pire centrale du pays"
Les journalistes pointent un ensemble de problèmes plus ou moins préoccupants, susceptibles d'affecter la fiabilité des centrales. Dans leur classement, celle du Tricastin recense le plus grand nombre de risques, et les plus inquiétants. Les auteurs évoquent les fissures présentes dans sa cuve T1, mais aussi dans des "tubulures". Ils s'inquiètent aussi des dysfonctionnements dans la maintenance de la centrale, ou encore de risques d'inondations. La centrale avait d'ailleurs été mise provisoirement à l'arrêt en 2017, à la suite d'une demande de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), justement pour renforcer une digue jugée trop fragile au nord de l'installation.
"On rentre dans un domaine inconnu"
48 réacteurs, sur les 58 en France, vont atteindre d'ici à 2028 leur 40ème année de fonctionnement, la limite prévue par le fabricant initial. Pourtant, EDF compte bien étendre leur exploitation, malgré les nombreuses anomalies rapportées par les auteurs du livre. Sollicité, Thierry Gadault affirme : "on atteint les limites de la sûreté. Si on poursuit l'exploitation, on rentre dans un domaine inconnu".
L'ouvrage indique par ailleurs que "les autorités belges ont mis en évidence des milliers de fissures dans des endroits non inspectés en France", en raison de bulles d'hydrogène prisonnières du métal. En France, des analyses ont ensuite permis d'établir que "six cuves sont fragilisées par des fissures de même type que les défauts belges", selon les auteurs.
Un brûlot... Atomique
Selon Thierry Gadault, l'un des deux journalistes auteurs du livre, l'ouvrage rassemble des données issues de plus de 7 ans d'enquête, dont des informations provenant de "sources internes à EDF". Pour lui, il s'agit "d'ouvrir un débat trop longtemps confisqué par les pouvoirs publics". Il s'inquiète de la situation exsangue d'EDF, qui croule sous une dette de 61 milliards d'euros, et d'Areva, qu'il estime en état de faillite. Des difficultés qui pousseraient ces acteurs à être tenté de prolonger l'exploitation de ses centrales "au-delà du raisonnable".
Quant à l'Autorité de Sûreté Nucléaire, garant de la sécurité des sites français, le journaliste s'inquiète enfin de "pressions" dont elle pourrait être l'objet : "j'ai des doutes sur les marges d'autonomie de l'ASN", explique-t-il.
Pour EDF, rien de nouveau
De son côté, EDF relativise : "la majorité des éléments présentés est connue de longue date et a fait l’objet de communication transparente tant avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire qu’avec le public". Dans un communiqué, la société dément également certaines accusations : "les faits présentés comme nouveaux sont faux (à titre d’exemple : les pénétrations fond de cuve, la liste des cuves présentées comme « fragilisées par des fissures de même type que les défauts belges », ou la façon dont les contrôles auraient été pratiqués (...) sur les cuves"...).
L'électricien indique qu'il se réserve le droit "d'entamer des poursuites, y compris en diffamation".
Sur le site nucléaire du Tricastin, les équipes indiquent également que les fissures évoquées dans le livre sont déjà connues, qu'elles ne sont pas dissimulées, et qu'elles font l'objet d'une surveillance particulière.
L'ASN sur la même ligne
Sollicité sur les fissures évoquées dans les passages déjà connus du livre, le gendarme du nucléaire indique néanmoins que ce problème est déjà connu de ses services, et qu'il ne présente pas de danger majeur à court terme : "nous connaissons le problème des fissures, nous le suivons et nous avons déjà communiqué sur ce sujet," indique un représentant de l'Autorité de Sûreté Nucléaire.
L'agence réfute également les doutes émis sur son indépendance : "on est libre d'arrêter une installation en cas de danger grave et imminent", indique un membre de l'ASN. "S'il y avait un danger au Tricastin, on demanderait la fermeture du site, comme nous l'avons fait pour le problème de la digue Donzère-Mondraguon".
Le 27 septembre 2017, l'ASN avait en effet imposé à EDF la mise à l’arrêt des quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin, constatant un risque de rupture d’une partie de la digue du canal de Donzère-Mondragon en cas de séisme majeur. La centrale a été remise en service le 5 décembre 2017, après avoir procédé à des travaux de ré-aménagement de la digue.
Quant aux nombreuses autres défaillances pointées dans le livre "Nucléaire, danger immédiat", l'ASN souhaite prendre connaissance du contenu de l'ouvrage, avant de commenter d'éventuels éléments inconnus du grand public à ce jour.