A l'occasion de l'ouverture de Jazz à Vienne 2021, un enregistrement inédit de Miles Davis à Vienne sort quasiment 30 ans jour pour jour après son concert au festival. "Merci Miles". Souvenirs personnels.
Au moment où le festival Jazz à Vienne s’ouvre contre vents et marées pour fêter ses 40 ans, un autre anniversaire vient marquer cette année 2021. Celle de la disparition du trompettiste Miles Davis, il y a 30 ans.
Mais plus que sa disparition, le festival salue le dernier passage de la star éternelle de la trompette jazz dans l’amphithéâtre de Vienne. Pour son 4e passage dans ce festival dont il était devenu fidèle grâce à l’accueil incomparable de son directeur de l’époque, Jean Paul Boutellier, Miles Davis a ouvert le festival 1991, le 1er juillet. L’un des crus du festival qui avait de quoi exciter au dernier degré tout amateur de jazz : Sonny Rollins (première fois à Vienne), Herbie Hancock, Chick Corea, Michel Petrucciani, George Benson, Joe Zawinul, John McLaughlin, Wayne Shorter, Benny Carter…
80 minutes de bonheur
Alors voilà nous sommes, je suis, dans les gradins de jazz à Vienne ce soir du premier jour du festival. Shirley Horn vient de finir la première partie. Il est un peu plus de 22H et Miles Davis, trompette rose, lunettes noires de glacier et tenue, comme à son habitude, des plus colorée et brillante, fait son entrée avec son band : Kenny Garrett (saxo), Deron Johnson (claviers), Joseph Foley McCreary (lead basse), Richard Patterson (basse), Ricky Wellman (batterie). Des musiciens qui changent presque à chaque tournée. Une façon de lancer de futures pointures. Seul peut-être Kenny Garett au saxo et flûte occupe déjà la lumière et les chorus depuis quelques années avec le maître.
Et cela va s’entendre au fil des 80 minutes de concert. Miles Davis déroule les titres qu’il tourne sur ces dernières années, « Hannibal », la reprise toujours émouvante de « Time after Time » de Cyndi Lauper, « Human Nature » ou « Amandla ». La patte de Marcus Miller n’est pas loin sur certains titres. Celle aussi de Prince avec deux titres « Jailbait » et « Penetration ». Ces deux derniers, plus inédits dans ce concert par rapport aux précédents passages de Miles à Vienne. Souvenir d’une mémorable averse tout au long du concert de 1989 !
Pour les spectateurs peu habitués au rituel du trompettiste, Miles a sans doute conforté sa réputation de snober l’auditoire. Souvent de dos, en retrait sur les solos de ses musiciens. Mais à y regarder ou écouter de plus près, rien n’est laissé en vadrouille. Le boss contrôle tout, intervient en silence, ponctuation ou énergie au plus juste, face aux musiciens, donc dos au public ! Il est là pour jouer de la musique avant tout. Et pour pallier son problème vocal, il présente les musiciens à l’aide de grandes pancartes qu’il brandit face au public. Le temps d’applaudissements, il vient à l’avant-scène soulève ses lunettes noires pour regarder les spectateurs et c’est reparti.
« Amandla » résonne dans l’amphi puis Miles quitte la scène laissant ses musiciens conclure. Ricky Wellman donne les derniers coups de batterie et vient saluer avec tous les musiciens. Miles est déjà reparti dans sa limousine que l’on a aperçue quitter le théâtre sur le côté, à jardin. Il doit déjà être en route pour le célèbre restaurant de la Pyramide qu’il a toujours affectionné. Nous ne le reverrons plus. Il décédera le 29 septembre de la même année.
Un enregistrement fantôme
A l’arrière de la scène se joue alors une drôle de scène. Kenny Garrett aperçoit sur un écran que l’on rembobine les images du concert. Il se précipite vers le staff de Miles Davis. Il semble qu’il y ait un problème.
Ce n’est que quelques temps plus tard que l’on comprendra que cette soirée n’était pas forcément destinée à un enregistrement. Pendant des années ce document deviendra une sorte de fantôme du festival. Quelques extraits ont été publiés sur internet des années plus tard, par son réalisateur, Patrick Savey. Ce concert est l’un des trois derniers de Miles Davis en Europe dont il subsiste des images avec ceux de la Villette à Paris et de Montreux en Suisse durant le même été.
Un phoenix audio
Aujourd’hui sort la version audio qui est entrée dans l’histoire de jazz à Vienne et dans celle de tous les fans. Le plaisir de le réentendre même avec un son live peu dynamique, voire inférieur à la version vidéo, reste un bonheur.
Jean Paul Boutellier parle de Miles comme d’un musicien très attentif, beaucoup moins distant qu’il ne semblait paraître. Ces moments partagés semblent encore très émouvants.
Trompette bouchée ou pavillon éclatant, pour moi, la force de la musique du jazzman résonne encore et toujours dans le théâtre de Vienne.
Merci Miles.
MERCI MILES! LIVE AT VIENNE Versions 2-CD, 2-LP et digitales – Warner