Meilleure joueuse de rugby de la décennie, Jessy Trémoulière, une agricultrice qui garde les pieds sur terre

Meilleure joueuse de la décennie 2010-2020, Jessy Trémoulière partage sa vie entre le rugby et la ferme familiale de Haute-Loire. Elle a son destin entre ses mains et les pieds bien sur terre. Immersion au sein de la famille Trémoulière, un jour comme un autre et en toute simplicité.

En ce lundi matin de février 2021, Jessy Trémoulière, internationale de rugby à XV, accueille chez elle, à Barlières, hameau de Bournoncle-Saint-Pierre (Haute-Loire), dans la ferme familiale, entourée de son père et de son frère Amaury, de trois ans son aîné. Jessy, 28 ans, reçoit pieds nus dans ses claquettes, descend les escaliers du perron dans un jogging aux couleurs du Stade Rennais Rugby (souvenir récent de son passage par la Bretagne entre 2017 et 2019), un tee-shirt blanc sur le dos frappé du coq. On dirait que Jessy sort tout droit d'un vestiaire, après la douche, un jour d'entraînement. Après tout, elle a déjà une mi-temps dans les bras. A 7 heures, comme tous les matins, elle était à la traite de ses vaches, comme elle le sera à 18 heures, heure du coup d'envoi de la « seconde période ».

Et si  les bugnes annoncent les beignes ?

D'ici-là, elle est occupée à croquer à pleines dents dans une bugne faite maison par une connaissance arrivée quelques minutes plus tôt. Un plein saladier de ces douceurs sucrées dans les bras, comme souvent, Daniel est venu prélever du lait des vaches de l'exploitation pour le soumettre à des analyses en laboratoire. Et comme d'habitude, il n'est pas venu les mains vides. La routine quoi, un jour ordinaire, rue du Midi, au Gaec des Pensées. En revanche, demander à Daniel s'il y a du beurre dans ses bugnes, c'est lui faire offense et risquer d'en prendre une...bugne. D'ailleurs, à l'entame des présentations, il faut le voir, bien calé derrière la table de la cuisine, les manches retroussées, les bras en croix, asséner le premier placage, sans l'avoir vu venir, même pas eu le temps de raffûter. Rien.
 

Bien sûr qu'il y a du beurre. On n'engraisse pas les bêtes avec de l'eau !

De quoi en rester un peu groggy au sol. Pas de quoi passer non plus par la case « protocole commotion ». Néanmoins, tel un arbitre, Serge, le père de Jessy qui a aussi tâté du rugby, évalue l'onde de choc. De l'autre côté de la table, il soupèse la bourrade. Une impression passagère meuble l'espace vide : et si les bugnes annonçaient les beignes ? « Nous, c'est comme ça ici, ça passe ou ça passe pas, et si ça passe pas, tant pis ! » annonce-t-il, droit dans les yeux. En somme, bienvenue au club des caractères bien trempés, et n'en déplaise aux tièdes. Alors, comme on tape en touche pour gagner du terrain et donner de l'air aux troupes sous la mitraille, Jessy sert le café. C'est elle la femme de la maison. Elle qui, à l'aube de ses 14 ans, a remplacé ici une mère partie bien trop vite. Il est 10 heures, une balance livre le poids de la levure de boulanger, une pâte à pizza prend forme sous ses doigts, Jessy a pris le poste laissé vacant en cuisine. « A midi, ça peut être des lasagnes ou tout ce qui me passe par la tête. Et le soir, on finit les restes, ou alors, c'est une soupe. J'adore préparer les repas, j'ai vu ma mère le  faire, et je l'ai souvent assistée » se souvient-elle. Chaque jour, matin et soir, elle tire aussi le meilleur des 170 vaches laitières de l'exploitation. Un cheptel de prim'holstein croisées avec des abondance, des rouges norvégiennes, des brunes des Alpes, des jersiaises. « Le croisement offre un bien meilleur rendement et surtout augmente la rusticité des bêtes. Vous comprenez, ça fait des frais de vétérinaire en moins » explique Serge. Lui qui contre l'avis de son propre père avait dessiné son avenir dans un décor de ferme. « J'avais 18 ans, et mon père m'avait dit que j'étais complètement fou ! » Serge n'a pas oublié ce jour-là comme il n'a pas oublié non plus le jour où il a basculé en agriculture biologique. C'était il y a 10 ans, il avait été montré du doigt par ses confrères et s'était entendu dire « mais qu'est-ce qu'il fait encore celui-là ! ». « Que voulez-vous ? Moi, je ne suis pas un suiveur ! » Et le présent lui donne raison. « On exploite 250 hectares de céréales avec lesquelles on alimente nos vaches, cela limite les coûts de production, on a moins de charges, et du coup les bénéfices sont meilleurs ». Aussi simple que la preuve par 3.
 

 Nous, notre piscine, c'était l'abreuvoir !

 Trois justement, ils sont trois. Serge, Jessy et Amaury, le frère de 31 ans. Il y en a même un quatrième dans la famille, mais il n'a pas voulu suivre. Lui non plus. Thibaut « voulait avoir ses week-ends pour profiter, les copains, la fête, alors bon... » admet Serge. A la vue d'un inconnu, Amaury rougit. Il a beau dire « non ! », si si, il rougit. C'est presque touchant. Un gaillard comme lui ! Mais il suffit de le retenir un peu par le maillot et alors là sa timidité s'envole, les mots avec. Inarrêtable de franchise. Sans masque, sans filtre, l'aîné se dévoile sans frein. Comment vous dire ? Bon, pour faire court, c'est pas le genre de gars à se goinfrer de glaces en été sous un parasol, les pieds dans le sable, à compter depuis la plage les voiliers au loin. « Impossible, je ne peux pas rester sans rien faire » lance-t-il.  D'ailleurs, la mer, il ne l'a vue pour la  première fois qu'en août dernier, sur la côte d'Azur, et encore très tôt le matin quand il n'y avait pas encore grand monde. « Le monde, la chaleur, tout ça, c'est pas pour moi, je préfère encore aller en montagne. Et quand je vois aujourd'hui que tout le monde doit avoir sa piscine dans son jardin, pour ne s'en servir que trois jours par an, je ne comprends pas » s'emporte-t-il. « Nous la piscine, c'était l'abreuvoir ! »

Et les vacances Amaury ? Les voyages à l'étranger tout ça ? « Pfff...ça sert à rien ! ». Sa sœur de sortir de sa réserve. « Ca sert à rien ? Je t'enverrai en Afrique du Sud moi quand tu râles ! Voir des enfants amputés à Soweto (South West Township, bidonville de Johannesbourg. NDLR ) et tu râlerais moins après ! ». Eh oui ! C'est le jeu, le plaqueur peut être plaqué. « Ouais, ça chauffe avec ma sœur. D'autant que la communication c'est pas son fort. On ne sait jamais quand elle est là ou pas là, ça peut poser des problèmes pour l'organisation du travail ici » explique le frangin. Formé, comme sa cadette, au Lycée agricole de Brioude-Bonnefont, bac Pro et BTS en poche, il ne s'est pas posé 36 questions quand il s'est agi d'épauler, l'heure venue, le père de famille devenu veuf. « Je conduisais les tracteurs, je n'avais même pas le permis de conduire, j'ai toujours été là. Alors pour moi, c'était comme une évidence ». « C'est vrai, je n'ai jamais forcé ni les uns ni les autres. Le travail doit rester un plaisir, si c'est pour se faire du mal, c'est pas la peine » renchérit Serge qui a déterminé les postes de chacun. A Amaury, reviennent l'administratif, l'assolement et la gestion des aliments, à Jessy, la traite et l'alimentation des vaches et à lui, l'élevage, l'insémination, et la comptabilité.

« Depuis un an, depuis la fin de mon contrat avec le rugby à 7, je m'investis encore plus dans l'exploitation. Pour l'instant, je ne suis qu'à 25% sur la ferme, le reste du temps est consacré au rugby entre les entraînements avec mon club (ASM-Romagnat) et les convocations en équipe de France à XV. Mais après 2022, ça pourrait devenir du plein temps ici. Avec Amaury, on a un projet commun de reprendre l'exploitation, un nouveau bâtiment sera livré en fin d'année pour agrandir notre cheptel de 30 vaches supplémentaires ». Amaury prend l'intervalle : «Et ce n'est pas le tout de caresser les vaches, on dirait parfois une gamine qui s'amuse ! ». Seulement voilà, Amaury oublie que sa soeur ne sait que trop bien renvoyer la balle : « Eh oh ! C'est pas des robots ! C'est pas des numéros ! Et puis toi, t'as bien pris une photo d'un bœuf avec des fleurs dans les oreilles non ? » 3 partout balle au centre.
 

Une vache s'appelle aussi... Jessy

Le temps d'enfiler une paire de bottes, et de visser un bonnet, Jessy passe en revue les génisses qu'elle a elle-même baptisées (Myrtille, Nanou, Noisette, Nice...) à l'exception d'une seule parmi toutes. La seule qui ne soit pas croisée, une lignée pure prim'holstein, âgée de 7 ans. Son frère Thibaut a voulu lui donner le nom de...Jessy. Jessy développe : « C'était en 2014, année des « J » et année de la Coupe du Monde en France. C'est une vache perfectionniste et elle a un bon rendement. Elle a aussi un tempérament calme, elle ne se fait pas remarquer, elle ne donne pas de coup de pieds, pas comme moi ! » sourit la patronne.

Au mois de mars prochain, toutes ses vaches retrouveront les prés. Pour l'heure, il n'y a là que les plus jeunes. Un seau de farine en mains, Jessy aiguise leur appétit et leur curiosité. Les vaches viennent au contact et cherchent la main de l'Homme. « C'est ce contact avec le vivant qui m'a manqué ces dernières années. C'est magnifique d'être dans ce respect des animaux qui nous nourrissent. Au final, on a un lait de qualité, bon pour la santé de tous. C'est très gratifiant et c'est ce à quoi je veux consacrer ma vie après le rugby ».

Pendant ce temps, Amaury tourne autour avec le tracteur, apporte une balle de foins, remplit les abreuvoirs « avec l'eau qui descend du Cézallier et que l'on boit nous aussi  ». C'est lui qui a trouvé la raison sociale du Gaec, le Gaec des Pensées. « Parce que c'est joli, parce que je réfléchis beaucoup, parce que je n'arrête pas de penser, penser à tout ce qu'il faut faire » grimace le frérot tout en se grattant le front. Penser à tout ce qu'il faut faire et de surcroît à tout ce qu'il ne faut pas faire aussi. C'est dingue, il n'en perd pas une. Il vient de voir sa sœur commettre un en-avant coupable, à deux mètres de l'en-but et le voilà sur son dos. « Tu vois là, il ne fallait pas verser la farine ici ! C'est pas là qu'il fallait les nourrir. Non, parce que là c'est de la terre et quand elles mangent la farine sur la terre, elles mangent aussi la terre, voire de la bouse. Et il peut y avoir des parasites, des microbes etc...c'est pas bon ça ! Il faut les faire manger dans l'herbe même s'il y en a que très peu ! » Cette fois, Jessy n'a rien dit. Elle sait combien l'erreur est une leçon. Elle en a entendue bien d'autres et les a retenues. A elle au moins, ni les plus grands des honneurs, ni les grands titres (2 Grand Chelem dans le tournoi des 6 nations), ni les unes des journaux ne lui auront fait marcher sur l'eau. C'est heureux, Jessy ne sera jamais une fille hors-sol. Du père Serge au frère Amaury, les Trémoulière tiennent là leur plus grande victoire.

 

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