La Mer de Glace, menacée par la hausse des températures, risque de disparaître dans les prochaines décennies. Conscients de son érosion, de nombreux visiteurs s'y rendent pour admirer le glacier avant qu'il ne fonde.
C'est la première victime et principal témoin du dérèglement climatique. La Mer de Glace, plus grand glacier des Alpes françaises sur les hauteurs de Chamonix (Haute-Savoie), n'a plus son aspect bleuté d'antan. Grise, parsemée de cailloux, elle perd en moyenne 4 mètres d'épaisseur par an. "En haute montagne, on est aux avant-postes du réchauffement climatique", confirme Ludovic Ravanel, géomorphologue au laboratoire Edytem-CNRS.
Dans les Alpes, les températures augmentent deux fois plus vite que dans le reste du monde. "Au lieu de prendre 0,74 °C au cours du XXe siècle, à Chamonix, on a pris plus de 2 °C en moins d'un siècle. Les glaciers sont en phase de retrait très important, les parois évoluent, le milieu global change très rapidement", complète le chercheur.
Disparition annoncée
Le 6e rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) publié lundi 9 août montre que "les actions humaines peuvent encore déterminer l'évolution du climat à venir", impactant notamment la fonte des glaciers. Pour cela, les experts appellent à "des réductions fortes et soutenues des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et d’autres gaz à effet de serre".
Laboratoire privilégié des scientifiques, la Mer de Glace est aussi une vitrine malheureuse du dérèglement climatique. Depuis plus de 20 ans, Ludovic Ravanel scrute le massif, analyse, commente et sensibilise. "On estime que d'ici une trentaine d'années, les deux glaciers qui alimentent la Mer de Glace vont se déconnecter. Donc la Mer de Glace, au sens cartographique, n'existera plus", prévient le géomorphologue devant un auditoire de visiteurs.
Le paysage évolue, les rapports des scientifiques sont de plus en plus alarmants mais sur la plateforme, les touristes s'interrogent. "Depuis l'existence de la Terre, il y a toujours eu des glaciations, des réchauffements, etc. Et il n'y avait pas d'homme sur Terre. Quelle est la part de l'homme dans ce phénomène ? Ca reste à discuter", commente un touriste.
Prise de conscience
Pour autant, Ludovic Ravanel note une prise de conscience du grand public. "Sur une décennie, on a perdu beaucoup de climatosceptiques, constate-t-il. Les gens voient cette évolution. La question de la part de l'homme dans ce réchauffement climatique n'est pas encore très claire dans l'esprit des gens mais la sensibilisation avance et ils sont de mieux en mieux informés."
Face à la disparition progressive des glaciers, un phénomène se développe dans les Alpes. "Les gens viennent voir un glacier avant qu'il ne disparaisse. Les parents, les grands-parents viennent avec leurs enfants, petits-enfants de manière à leur montrer cette masse de glace qui - ils le savent bien - aura disparu d'ici quelques décennies", ajoute Ludovic Ravanel. Un tourisme de la dernière chance alors que le sort des glaciers semble scellé.
Les experts du Giec estiment que le réchauffement planétaire pourrait excéder 1,5 °C dans les 20 prochaines années sans action forte pour l'endiguer. "La poursuite du réchauffement amplifiera le dégel du pergélisol et la perte de manteau neigeux saisonnier, la fonte des glaciers et des calottes glaciaires", peut-on lire dans leur rapport. Une telle hausse des températures conduirait à la déstabilisation de nombreux versants et la fonte des glaciers entraînerait la formation de lacs d'altitude pouvant menacer certaines vallées habitées.