GRAND FORMAT. Comment le réchauffement climatique fait fondre le permafrost et effrite les Alpes françaises

Nous vous proposons une série en quatre épisodes pour comprendre pourquoi et comment le réchauffement climatique fait fondre le permafrost, effrite les montagnes des Alpes et accélère la disparition les glaciers.

Il est parfois difficile de se représenter le lien existant entre réchauffement climatique et impact direct sur notre environnement. Très souvent, l’image de la banquise qui rétrécit d’années en années nous vient à l’esprit. Pourtant, dans les Alpes françaises, le réchauffement climatique nous impacte directement. Le cœur des montagnes dégèle, le permafrost monte en température et les montagnes s’effritent.
 

Le permafrost, c'est quoi ? 


Le permafrost peut être assimilé au ciment des montagnes. Cette couche a "une température durablement négative qui va permettre la présence de glace dans les fractures de la paroi explique Ludovic Ravanel, guide de haute montagne et chercheur au CNRS. Ça permet une stabilité"

Une étude menée en 2008 évalue à 1300 km2 la superficie du permafrost dans les Alpes françaises.
 

Or, le réchauffement climatique impacte directement cette couche gelée qui fond et entraine des déformations du sol et des affaissements de terrain. "Si on dégrade le ciment des montagnes, des versants peuvent se mettre à bouger, des versants peuvent se déstabiliser avance Ludovic Ravanel. C’est ce qui se produit aujourd’hui avec la multiplication des épisodes caniculaires." Conséquence : la montagne part en lambeau et menace en aval les vallées... et les Hommes.
 

Les montagnes s’effritent et les glaciers fondent


Dans la vallée du Mont-Blanc, les températures ont augmenté de 2 degrés en 80 ans. L’impact du réchauffement climatique se voit dans un premier temps à l’œil nu : les glaciers fondent et reculent d’années en années. Et les prévisions ne sont pas rassurantes. 

Un scénario climatique médian table sur une augmentation de 3°C d’ici à 2100, ce qui aurait des conséquences dévastatrices sur les deux géants des Alpes françaises : le glacier d'Argentière et la Mer de Glace. "Le glacier d'Argentière risque de disparaître complètement d'ici 2100 et la Mer de Glace va être diminué de 80%" explique le glaciologue Christian Vincent.
 
Conséquence : le recul du glacier d’Argentière pourrait conduire à la formation "d'un gigantesque lac d'une contenance d'environ 12 millions de mètres cubes" entre 2040 et 2050, poursuit le glaciologue grenoblois, ce qui représentera "un danger potentiel" pour les habitants qu'il n'est pas encore possible d'estimer avec précision.
 

Mais les températures élevées impactent aussi le permafrost au cœur des montagnes. "Après les canicules de 2003, il y a une accélération des phénomènes d’écroulement rocheux" raconte Antoine Chandellier, grand reporteur au Dauphiné Libéré. Les scientifiques s’intéressent alors à la température interne des reliefs, qui se réchauffe comme la température externe. Le "ciment" de nos montagnes fond, et celles-ci s'effritent.
 

148 infrastructures alpines menacées


Conséquence visible de cette fonte, les effondrements de roche se multiplient. L’exemple de l’effondrement d’un pan de l’arête des Cosmiques en est la triste illustration. En août 2018, les températures caniculaires provoquent des effondrements à répétition.
 
Situé à quelques mètres de là, le refuge des Cosmiques est un exemple concret de l’impact de la fonte du permafrost sur les infrastructures alpines. Perché à 3613 mètres d’altitude, le refuge domine la vallée de Chamonix. Il a été construit en 1990. Mais huit années plus tard, un écroulement de 600 m3 de roche a directement impacté l’édifice. Alors depuis 2009, un suivi des instabilités avec un laser scanning a été mis en place par les scientifiques. Le soutènement du refuge a par ailleurs été renforcé.
 

Autre exemple emblématique, l’Aiguille du Midi n’est pas épargnée par la dégradation du permafrost. La roche est désormais truffée de capteurs qui prennent le pouls de la montagne en profondeur pour mesurer l’évolution du permafrost. Une dizaine d’extensomètres ont été installés pour mesurer les déformations produites.
 
Pierre-Allain Duvillard, géomorphologue, a mené des travaux sur la stabilité des infrastructures de montagne. De son rapport détaillé découle un chiffre alarmant : 148 infrastructures de montagne sont en péril parmi les 947 remontées mécaniques, pylônes, gares d’arrivée ou refuges construits sur le sol gelé. Une quarantaine d’ouvrages menacés ont déjà été renforcés.

"C’est clairement des infrastructures qui pourraient être amenées dans les décennies à venir à être fermées, démontées" assure Antoine Chandellier, journaliste au Dauphiné Libéré. Selon lui, c’est bel et bien la durée d’exploitation de ces ouvrages qui est menacée par la fonte du permafrost.
 

Repenser la façon d’aménager la montagne


Au-delà des frontières françaises, c’est tout l’arc alpin qui doit faire face à la montée des températures qui fragilise les montagnes. "Il va falloir être plus vigilant que dans les années 80. La haute montagne change et il faut s’adapter" assure Ludovic Ravanel, chercheur au CNRS. Les scientifiques s’accordent sur la nécessité de trouver des solutions durables pour continuer à vivre avec la montagne de manière totalement sécurisée.

Et les regards se portent particulièrement vers la Suisse. En 2010, les scientifiques suisses ont mis au point un guide de construction sur le permafrost. Quelles techniques utiliser ? Comment réussir à s’adapter ?

Selon Ivan Brunet, ingénieur géotechnicien Alpes-Ingé, il existe différentes possibilités de construction innovantes : les constructions sur vide sanitaire "pour créer un vent entre le bâtiment et la couche active, pour éviter d’avoir un impact du bâtiment sur cette couche active." Ou encore "faire des pieux pour fonder le bâtiment sur des couches profondes qui ne sont pas affectées par cette variation de permafrost."
 

Au-delà de l’impact sur les aménagements en montagne, les professionnels qui travaillent dans cet environnement doivent eux aussi revoir leur manière de "consommer" la montagne.

François Damilano est guide de haute montagne. Il a vu les paysages qu’il connait si bien changer. Au pied du glacier des Bossons, il se souvient des années où il enfilait ses crampons et montait directement sur la glace depuis la plaine. Aujourd’hui, le glacier a reculé de plusieurs centaines de mètres et l’alpiniste semble désemparé devant cette évolution incontrôlable qu’il observe de ses propres yeux.

Cette évolution, il l'a constaté "dans un morceau de vie d’alpiniste, pas dans des temps géologiques, on est à une échelle humaine extrêmement courte regrette François Damilano. C’est ça qui est inquiétant pour nous alpinistes qui voyons la montagne tous les jours."
 
Par exemple, les accès au Mont Blanc sont restreints de plus en plus souvent à cause des risques d’effondrement, notamment en été, et les conseils de prudence en direction des alpinistes se multiplient chaque année.

Les guides de montagne dressent un triste bilan qui résume l’impact du réchauffement climatique sur les montagnes des Alpes: sur les 100 plus belles courses répertoriées dans le massif du Mont Blanc, une trentaine sont devenues impraticable l’été à cause du danger d'effondrement dû à la fonte du permafrost.
 
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