Marc Veyrat a accroché son légendaire chapeau noir de cuisinier savoyard au porte-manteau de sa Maison des Bois à Manigod, le samedi 14 mars minuit. Pour combien de temps ? "Je n’en sais rien. J’espère que nos restaurants ouvriront sans trop de dégâts", répond calmement le chef.
La neige plie encore les sapins et isole la Maison des Bois en ce début de printemps. Confiné à La Croix Fry sur les hauteurs de Manigod, en Haute-Savoie, Marc Veyrat s’est posé. Dans cette Maison, dans chaque meuble, dans chaque objet est gravé l’identité savoyarde. L’âme du cuisinier paysan se nourrit ici quotidiennement de ses racines.
Marc Veyrat, connu pour ses coups de gueule, est plutôt serein en ce moment. Évidemment il s’inquiète pour son entreprise, 75 employés sont en chômage technique. Toutes les réservations ont été annulées, les clients reviendront-ils ? Il pense à ses copains qui angoissent pour leur santé ou l’avenir de leur exploitations artisanales. "Aujourd’hui le problème est la santé, demain ce sera l’économie, les gens auront moins d’argent".
Silence exceptionnel dans son restaurant. La cheminée crépite, les sonneries de téléphone retentissent "allo, c’est Marco, oui ça va pas trop mal et toi ?". Les amis, la famille, prennent régulièrement des nouvelles. Son ami Pierre Gagnaire le "fait rire, il a la frite, il est vraiment gentil, je l’aime". Marc Veyrat ne veut voir personne. Il a demandé à ses enfants et petits enfant d’être très prudents et de ne pas venir chez lui pour le moment.Je suis outré par le comportement de certains qui font prendre des risques de contamination aux autres, ils n’ont pas le droit.
"Je suis outré par le comportement de certains qui font prendre des risques de contamination aux autres, ils n’ont pas le droit". Le chef prône une cuisine environnementale qui privilégie la production pastorale. Il peut vivre en autarcie ! Ici, les poules lui donnent tous les jours des oeufs. Dans la cave, des victuailles : jambon cru, saucissons, fromages du pays peaufinent leurs saveurs. Pommes de terre, crozets, polenta pourront aussi être mitonnés.
Le restaurant fermé, le chef a du temps. Le temps de se recentrer sur ses passions : l’identité culinaire de son terroir, les plantes et la recherche de nouvelles recettes. Enthousiaste Marc : "J’ai plein de chose à faire, par exemple, sur les sous-bois avec les noisettes terreuses, le lichen sur les arbres..." Avide de connaissances, de sensations, il prépare de belles surprises à la hauteur de son talent audacieux. Le temps de la réflexion, aussi, sur l’après de cette terrible crise jamais vécue depuis des générations : "Je suis optimiste, il y aura plus de solidarité, de respect des uns envers les autres, de prise de conscience, la planète se rebelle. Tu vois, elle ne peut plus tolérer les saloperies polluantes dévastatrices". Depuis longtemps, le chef est convaincu qu’il faut arrêter la surproduction, le gaspillage alimentaire. "On marche sur la tête, je me souviens qu’à la ferme, avec rien, ma mère faisait à manger le pain perdu avec le pain sec..."[La planète] ne peut plus tolérer les saloperies polluantes dévastatrices.
Au Col de La Croix Fry, le brouillard se lève. Les rayons du soleil caressent doucement la façade de la Maison des Bois. Notre homme de la montagne travaille sur son futur livre. Un livre de cuisine sans recette ! Avec malice, il ajoute : "Les gens ne les refont jamais alors il y aura la photo et en face la genèse des produits et du plat".
Dans son refuge, l’énergie créative de Marc Veyrat est bouillonnante. Et quand le célèbre chef savoyard coiffera de nouveau son chapeau noir, des saveurs inédites fascineront les gourmets.