Une publicité incitant les Français à aller travailler de l'autre côté de la frontière fait débat dans le vallée de l'Arve. Concurrence déloyale, dénoncent les chefs d'entreprise français. Besoin de main d'oeuvre qualifiée, répondent leurs homologues suisses.
Impossible d'y échapper en achetant son pain. Une publicité diffusée dans toute la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, invite les jeunes diplômés français à venir faire carrière en Suisse. La cible est claire : les titulaires d'un bas pro, d'un CAP ou d'un BTS... tous sont les bienvenus pour postuler de l'autre côté de la frontière. "Je comprends que ça intéresse les jeunes. Avec ce salaire, ils peuvent faire plein de choses : acheter une voiture, passer le permis", reconnaît une habitante. "En France on commence à 1 200 euros, en Suisse c'est plutôt 1 500 ou 3 000 euros", renchérit un autre client de la boulangerie.
La vallée de l'Arve, frontalière avec la Suisse, est spécialisée dans la mécanique de précision : le décolletage. Louis Bernard est à la tête d'une PME de 50 salariés dans ce domaine et comme beaucoup de ses homologues français, il manque de personnel qualifié. Alors il supporte mal de voir les Suisses venir recruter en France. "Si on regarde bien ce tract, on voit qu'il est fait pour aller chercher les étudiants qui sortent de l'école. Mais les efforts de formation sont faits de notre côté de la frontière, avec nos impôts, relève-t-il. Aujourd'hui, mon premier frein à la croissance c'est l'impossibilité de recruter. J'ai des postes ouverts qui sont inoccupés."
Le chef d'entreprise dénonce une concurrence déloyale. Les salariés, eux, estiment que les employeurs français doivent faire des efforts pour retenir les talents. "L'effort doit être fait au niveau du salaire, c'est le nerf de la guerre, on est tous pareil, estime Jonathan Chatelain, décolleteur dans cette entreprise française. Et on doit permettre aux salariés de travailler dans de bonnes conditions avec des outils performants."
100 000 travailleurs transfrontaliers
Passer la frontière pour aller travailler en Suisse, plus de 100 000 Français le font déjà chaque jour. Dans un pays où le taux de chômage n'est que de 3% et les salaires souvent multipliés par deux. Dans le domaine du décolletage, les patrons suisses assument parfaitement d'avoir recours à de la main d'oeuvre française. "Nous, les acteurs de ce domaine à Genève, avons besoin de ces gens-là, affirme Alain Cornaglia, chef d'entreprise suisse. S'il y avait des formations ici dans ces domaines, c'est sûr qu'on favoriserait les jeunes qui sortent des écoles genevoises. Malheureusement, ce n'est pas le cas aujourd'hui."
Parmi les employés de cette entreprise suisse : un français. Il gagne 4 000 euros par mois mais met en garde les jeunes sur les inconvénients du statut de frontalier. "Oui, il y a le salaire mais la qualité de vie est différente. Là on part à 5h du matin, on rentre à 6h du soir, on n'est pas chez soi, on ne rentre pas le midi...", énumère Eric Pepa, mécanicien tourneur. On ne sait pas encore si beaucoup de jeunes français se sont laissés séduire par la publicité. Côté Suisse comme côté France, on espère qu'elle aura au moins permis de mettre en lumière une industrie qui recrute.