Aux Gets, en Haute-Savoie, la famille Combépine exploite depuis 1946 le téléski de la Turche ainsi que la piste bleue des "Vorosses" accolée. Cette remontée mécanique, véritable institution locale, est l’une des dernières en France à être gérée par des indépendants. Sa survie est aujourd'hui menacée.
Une institution dont la survie est menacée. Le téléski de la Turche, situé au hameau du même nom sur la commune des Gets (Haute-Savoie), est géré par la même famille depuis sa création en 1946. L’histoire du téléski de la Turche, c’est celle du ski à l’ancienne, loin des stations huppées, des tarifs exorbitants et autres aménagements titanesques.
"Mon grand-père est l’un des pionniers des remontées mécaniques. À l’époque, les stations sont créées par des initiatives de personnes privées", raconte Christelle Combépine, gérante actuelle de la SAS Télépente des Gets. Après-guerre, Georges Combépine s’installe au hameau de la Turche perché à 1 200 mètres, construit le télépente et accueille ses premiers skieurs dans la foulée.
"Ce n’était pas facile. Il a géré seul. Il avait une boutique de souvenirs à côté et travaillait à fond pour renflouer les caisses". Malgré ces difficultés, "il a tout fait pour rendre le téléski accessible et a fait en sorte qu’aucun Gêtois ne paie". Progressivement, le téléski de la Turche est devenu un haut lieu des sports de neige et avec ses milliers de visiteurs chaque année, il faisait vivre tout un hameau.
La dernière remontée mécanique indépendante des Portes du Soleil
Dans les années 50, Pierre Combépine prend la relève de son père. Aujourd’hui, à l’âge de 85 ans, il lève progressivement le pied et a laissé la gestion de la remontée mécanique à sa fille, Christelle. Le téléski de la Turche est la dernière remontée mécanique gérée par des indépendants sur le domaine des Portes du Soleil, "c’est aussi l’une des dernières en France", précise Christelle Combépine.
Les Combépine, ces irréductibles Gêtois, entourés de géants (régies, SPL...) ont réussi à tenir pendant près de 80 ans. Et ce, malgré les plans neige, malgré les tentatives répétées "de nous dégager" (sic) lors des multiples négociations de délégations de service public (DSP), malgré le réchauffement climatique. La SAS Télépente des Gets aura même tenu - difficilement - face au Covid.
Une piste bleue fermée, un téléski en difficulté
Mais la survie du téléski de la Turche est de plus en plus difficile. Cette saison, les Combépine ont dû faire face à un nouvel accroc : la fermeture imposée de la piste bleue "Les Vorosses" que la famille exploite en plus de son téléski, dans le cadre d’une DSP établie en 2019. Une fermeture décidée le 8 janvier par un chef de pistes agréé par la mairie en matière de sécurité sur les pistes, mais aussi employé de la Solegets (société d’exploitation du domaine skiable des Gets, anciennement la Sagets) et de fait, concurrent direct de la SAS Télépente des Gets.
La cause invoquée : le manque d’enneigement de la piste. Une fermeture injustifiée et une "tentative d’asphyxie", selon Christelle Combépine. Pour la gérante, la piste est suffisamment enneigée et manque simplement d’entretien. Un entretien revenant à la… Solegets, responsable du damage de cette piste bleue par le biais d’une convention.
"Jusqu’ici, nous n’avions jamais rencontré de problèmes de damage. Depuis le changement de direction, les difficultés ont débuté. Alors que l’enneigement était suffisant, notre piste n’était pas bien damée, explique Christelle Combépine. La neige s’est abîmée et on nous a fermé la piste". Un bras de fer s’engage alors entre les Combépine et la Solegets, ainsi que la mairie des Gets, actionnaire de la SPL. "Ceux qui ont pris cette décision sont juges et parties", assure Christelle Combépine.
"Financièrement et moralement, c'est difficile"
Rouverte depuis le mercredi 29 janvier grâce aux dernières chutes de neige, la piste des Vorosses est tout de même restée fermée près de trois semaines, et ce, malgré les chutes de neige ponctuelles au cours du mois. Durant cette période, le téléski de la Turche, fermé dans un premier temps, a pu rouvrir. "Avec une piste fermée et moins de fréquentation, le téléski fonctionne à perte. C’est comme aller à la piscine sans se baigner", regrette Christelle Combépine.
"Chaque client qui ne vient pas chez nous, va chez le concurrent dès lors que l’on est rémunéré au nombre de passages. Ça pénalise toute l’économie du hameau. Financièrement et moralement, c’est difficile pour nous", poursuit la gérante qui n’exclut pas d’intenter une action en justice pour contester des décisions qu’elle juge "illégales".
Il n'y a pas de traitement de faveur. Ce chef de piste a fermé la piste pour des raisons de sécurité.
Benjamin Mugnier, directeur exécutif de la Solegets.
Du côté de la Solegets et de son directeur exécutif, Benjamin Mugnier, on conteste toute décision prise dans le but de desservir un concurrent : "Il n’y a pas de concurrence, il y a juste un agrément. Le maire donne l’agrément de sécurité et le pouvoir de police au chef de piste. Ce chef de piste a fermé la piste pour des questions de sécurité", assure-t-il. "Il n’y a pas de traitement de faveur et six autres pistes à la même altitude sont fermées. C’est à l’appréciation des professionnels qualifiés. On attend que ça de rouvrir, si c’est possible, bien sûr".
Si la piste bleue des "Vorosses", accolée au téléski de la Turche, est désormais rouverte, l’inquiétude reste de mise chez Christelle Combépine : "La piste est ouverte, mais pour combien de temps ? Nous ne sommes pas à l’abri d’une fermeture par nos concurrents. Le problème n’est pas résolu." Contacté, le maire des Gets n'a pas donné suite à nos sollicitations au moment de la publication de cet article.