Assassinat de Samuel Paty : "On en prend plein la figure et on se sent tout seul", déplore une enseignante iséroise

Suite à l'assassinat du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty, de mauvais souvenirs resurgissent. Une enseignante iséroise, qui a 25 ans d'ancienneté, prend la parole pour témoigner de la dégradation des relations parents-profs. Elle a préféré garder l'anonymat pour se protéger.

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Le 16 octobre 2020, à Conflans Sainte-Honorine dans les Yvelines, un professeur d'histoire-géographie, Samuel Paty, était décapité en sortant de son collège par un jeune islamiste radical d'origine russe tchétchène. 

Comme les années précédentes, le professeur avait montré à ses élèves des caricatures de Mahomet parues dans le journal satirique Charlie Hebdo, dans le cadre d'un cours d'enseignement moral et civique consacré à la liberté d'expression. Il avait proposé à ceux qui le souhaitaient d'éviter de regarder ces images s'ils pensaient être choqués, selon FranceInfo.

Mais cette année, Samuel Paty a été la cible d'une vindicte ourdie par un père d'élève sur les réseaux sociaux, et massivement partagée. Dans une vidéo, cet homme qualifiait l'enseignant de "voyou" qui "ne doit plus rester dans l'Education nationale" et invitait d'autres parents à se mobiliser pour obtenir son exclusion.

Le parent avait aussi porté plainte contre Samuel Paty et, selon une source proche du dossier, avait échangé des messages avec l'assassin. Il avait également été reçu par la principale du collège, accompagné du sulfureux militant islamiste Abdelhakim Sefrioui. Le professeur avait en retour déposé une plainte en diffamation. Ce drame a libéré la parole de certains enseignants qui taisaient leurs difficultés jusqu'à présent. 

"Depuis ce qui est arrivé à Monsieur Paty, on se rend compte qu'on a refoulé plein de choses. Il y a plein d'évènements qui resurgissent."  Marion, professeur des écoles en Isère, de la maternelle au CM1, a envie de crier sa colère, son désarroi. A sa demande, nous avons changé son prénom et ne dirons pas où elle exerce pour la protéger. "On n'est plus à l'abri", nous a-t-elle dit.
 


Rencontrée au cours du rassemblement grenoblois dimanche, Marion a voulu prendre la parole. Pour dire comment les relations avec les parents se sont dégradées depuis qu'elle a commencé à enseigner, il y a 25 ans.
 


"Pour moi ce qui a été le plus terrible, c'est quand j'ai été menacée de mort, pour un enfant en classe de CE2. On m'a fait comprendre qu'on allait s'en prendre à moi, mais aussi à ma famille. Parce que j'avais signalé de la maltraitance sur cet enfant. 

J'ai eu aussi une maman qui n'était pas contente que son fils ne sorte pas assez vite, elle a tapé son fils et quand j'ai voulu m'interposer, ça s'est retourné contre moi.

Une autre fois, j'ai été vigoureusement interpellée par des parents parce que j'étais une femme, et qu'il fallait que leur fils ait un enseignant homme, sûrement pas une femme."

Malgré tout, Marion reste persuadée qu'un bon dialogue entre enseignants et parents est primordial dans la réussite des élèves. 

 

"Les parents sont dans l'agressivité dès les premiers mots"


"Des fois, ça déborde un peu de la sphère éducative. On est obligés d'être prudents. En début de carrière, je le faisais moins, parce qu'il y avait moins de violence, mais maintenant je prends plus de précautions, je dis bien aux parents que ce n'est pas un jugement, que c'est dans l'intérêt de l'enfant. Il y a des familles où on va se retenir de dire, et c'est dommage. On en vient à avoir peur de la réaction de certaines familles. Des fois, avec certaines familles, il faut vraiment s'apprivoiser. Les parents sont dans l'agressivité dès les premiers mots."

 

"Des parents violents, très fort et tout de suite"


Marion constate que le comportement des parents a changé avec le temps. Comme si l'autorité naturelle de l'enseignant s'était effondrée. "Des parents violents, très fort et tout de suite, ça c'est depuis une dizaine d'années. Pour certains, on a l'impression que c'est leur seul moyen de communiquer. Ce n'est pas seulement le lien à l'école, c'est un phénomène de société, on dirait que si son enfant s'oppose à l'enseignant, c'est presque une victoire, une réussite sociale pour la famille." 

Cette violence vis-à-vis de l'autorité, de l'institution éducative à travers l'enseignant, pourrait-elle s'apparenter à une forme de revanche socio-économique ? Ou à une affirmation idenditaire par la religion ? Marion a aussi rencontré l'intolérance.

"J'ai eu trois familles musulmanes qui se sont opposées à ce que j'enseigne la préhistoire, parce que ce n'était pas cohérent avec leurs croyances. Mais, par ailleurs, j'ai aussi rencontré d'autres familles musulmanes qui ont dit clairement que ce n'était pas leurs croyances, mais qu'il fallait respecter l'école, respecter les enseignants. Au sein de la même religion, il peut y avoir des attitudes complètement différentes, le problème, c'est l'extrêmisme. 

J'ai eu des familles qui, je suppose, étaient catholiques, et qui me sont tombées dessus par ce qu'il ne fallait absolument pas que je parle pas des chambres à gaz. Je suis désolée, mais ça faisait partie du programme ! C'est le problème de la laïcité." 

 

La laïcité, au coeur du débat. Comment la définir ? Comment l'expliquer aux parents ? Ces questions, Marion les affronte au quotidien.

"Plusieurs fois, quand j'étais épuisée, on m'a dit : 'Pourquoi tu ne vas pas dans le privé ?' Mais moi, je crois à l'école publique et laïque. C'est pas une solution de fuir, non plus. La laïcité, c'est des règles communes pour qu'on puisse vivre ensemble. On est libre d'avoir la croyance qu'on veut, mais on ne doit pas l'exprimer au sein de l'école. A l'école, personne ne sait si je crois, ou si je ne crois pas."

 

"On en prend plein la figure, et on se sent tout seul !"


Marion voit autour d'elle des collègues désabusés, désorientés, effrayés. Comment continuer avec la peur au ventre ? "Y a un bon nombre d'enseignants qui sont dans le renoncement, qui ne font plus remonter les incidents, parce qu'on n'a pas d'aide, qu'on ne se sent pas soutenus par notre hiérarchie. Quand on a des situations difficiles, on a qu'une envie, c'est de rentrer chez nous pour nous reposer, et pouvoir rattaquer le lendemain. On en prend plein la figure, et on se sent tout seul.

Quand j'étais en formation, on nous avait promis des rencontres sur les pratiques pédagogiques, une fois par mois, avec un psychologue, ou une autre personne extérieure, des temps de partage et de discussion pour pouvoir justement prendre du recul, poser des valises qui sont lourdes. En fait, ça n'a jamais été mis en place."


 

"Il faut continuer, c'est encore plus essentiel"


Malgré l'isolement, l'angoisse, la fatigue, Marion veut toujours y croire. Parce qu'elle sent bien que son rôle d'enseignant est capital. Plus que jamais.

"J'ai toujours été quelqu'un qui croyait à la petite goutte d'eau dans l'océan, donc je continue vaille que vaille, mais je ne sais pas jusqu'à quand j'y arriverai, parce que les batteries se rechargent de plus en plus difficilement. Il faut continuer, c'est encore plus essentiel. Il y a des gens qu'on empêche de réfléchir, ce pauvre jeune de 18 ans (l'assassin de Samuel Paty, NDLR), on ne lui a pas laissé la possiblité de grandir, d'avoir son esprit critique. Il a été utilisé, c'est odieux ! Il devrait être en pleine activité de création, en train de construire."
 

 


 
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