REPORTAGE. Le bouquetin des Alpes, réintroduit dans le Vercors à la fin des années 1980, subit des examens de santé réguliers. L'objectif est double : préserver l'espèce protégée et identifier de nouvelles maladies liées au réchauffement climatique, qui passent sous les radars du suivi des animaux domestiques. Immersion au plus près de ce funambule des cimes.
Il fait partie de la carte postale, au même titre que la marmotte. Les Alpes sans bouquetin, c'est comme un hiver sans neige, ça perd de sa superbe. Grimpeur agile, funambule des crêtes, il dresse ses cornes majestueuses sur les falaises, défiant le randonneur du regard. Et pourtant, pendant près d'un siècle, les bouquetins des Alpes avaient quasiment disparu de nos montagnes.
Des initiatives ont été lancées en France et en Italie pour le réintroduire, notamment en Italie dans le parc du Gran Paradiso et en France dans le parc de la Vanoise, en Savoie. En Isère, l'animal sauvage a réinvesti les falaises calcaires du Vercors depuis la fin des années 1980, après deux lâchers, "en 1989 au cirque d'Archiane, et en 2000 dans les gorges de la Bourne", indique le parc naturel régional du Vercors.
Près d'un millier d'individus auraient colonisé le massif, dont la moitié notamment sur l'étendue de la réserve naturelle nationale des Hauts-Plateaux du Vercors, la plus vaste du territoire français. Un havre de paix pour la faune sauvage puisqu'aucune habitation permanente n'y est permise et qu'aucune route ne la traverse.
Des examens de santé épiques
Depuis cinq ans, des études scientifiques sont menées sur les bouquetins des Alpes présents dans le Vercors pour s'assurer de leur bonne santé. L'objectif est double : préserver l'espèce protégée et identifier d'éventuelles maladies qui passent sous les radars du suivi des animaux domestiques.
Encore faut-il pouvoir capturer quelques mâles pour mener à bien les examens.
Une équipe composée de gardes de la réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors, de représentants de l'Office Français de la Biodiversité et de vétérinaires se met donc régulièrement en quête des troupeaux pour effectuer des prélèvements.
Il faut marcher des heures et faire preuve de beaucoup de patience pour approcher les bêtes et effectuer l'opération dans les meilleures conditions de sécurité. Un mâle a pointé le bout de ses cornes, mais il s'est réfugié sur une vire.
"Il faut trouver un endroit pour ne pas mettre l'animal, ou nous, en danger, et pour pouvoir l'approcher ensuite. Quand il est endormi sur une barre rocheuse, lorsqu'on va l'approcher, il y a des risques que l'animal se réveille et déroche", explique Philippe Cotte, inspecteur environnement de l'Office Français de la Biodiversité. Arme à la main, il prépare ses fléchettes tranquillisantes pour endormir l'ongulé.
Une trentaine d'individus surveillés
Après plusieurs dizaines de minutes, le groupe trouve finalement un troupeau de bouquetins dans une zone plus facile d'accès. Un mâle est visé. Vingt minutes plus tard, l'équipe prend place autour de l'animal endormi, à pas feutrés. Les gestes sont précis, rapides, ordonnés dans une chorégraphie cent fois répétée.
"Il a six dents donc c'est un animal qui a entre 4 et 5 ans. On essaye d'aller le plus vite possible. Chacun a sa tâche. Il y a les mesures d'un côté, les prises de température, de rythme cardiaque, les prélèvements sanguins, les prélèvements génétiques. On fait le plus vite possible car il nous entend", indique Eric Belleau, le vétérinaire en charge de l'opération.
L'équipe réveille ensuite le bouquetin après l'avoir marqué pour le suivre le reste de l'année. C'est le vingt-huitième individu ainsi examiné en cinq ans. Pas question de mener des tests sanitaires sur l'ensemble de la population. Les animaux étudiés constituent un échantillon représentatif.
Éviter le développement de maladies comme la brucellose
Et les bouquetins du Vercors "se portent bien", d'après Dominique Gauthier, vétérinaire spécialiste de la faune sauvage. "On a contrôlé la brucellose et tout un tas de maladies. On a atteint notre objectif aujourd'hui, on est super contents et franchement, ça va bien. Mais de façon générale, les populations sauvages, si elles ont une maladie, elles ne tiennent pas très longtemps. Il y a une sélection naturelle qui se fait et c'est vrai que la plupart du temps, elles sont en excellente santé. En tout cas, celle du Vercors l'est", dit le Haut-Alpin.
L'an dernier, des cas de brucelloses avaient été détectés en Haute-Savoie, entraînant l'abattage de dizaines de bouquetins, dans le massif du Bargy.
Pour le vétérinaire, "il n'y a pas d'exemple dans le monde où l'abattage a permis de maîtriser une maladie. Par contre, on sait faire, on a d'autres systèmes. Par exemple, pour le sanglier et la peste porcine, on a vacciné, on a réussi à juguler la peste porcine classique. Chez le renard, cela a été aussi le cas".
"Des sentinelles de la santé publique"
Pour le spécialiste, étudier les bouquetins est riche d'enseignements pour la santé publique. "On estime que la faune sauvage, c'est une sentinelle, parce qu'elle est présente, elle ne bouge pas, il n'y a pas de vaccination, il n'y a pas de médicalisation. Donc ce qu'elle a, pour nous, c'est un signal de ce que l'on n'arrive pas à voir circuler dans les troupeaux qui bougent, qui transhument, etc."
"Dans nos études, on a vu apparaître pour la première fois des maladies transmises par les tiques dans le sud de la France, sur les populations de bouquetins, comme la maladie de Lyme, alors qu'on ne savait pas si elle était vraiment présente chez l'homme ou chez les animaux domestiques", poursuit Dominique Gauthier.
"Le bouquetin a joué un rôle de sentinelle de la santé publique. Il nous a avertis, que ça y est, avec le réchauffement climatique, il y a une progression des maladies transmises par les tiques".
La santé des bouquetins, l'affaire de tous
Des animaux précieux, donc, à plus d'un titre. Le parc naturel régional du Vercors tient à rappeler que la santé de l'espèce est aussi l'affaire de tous. Car si l'animal n'est pas farouche et peu facilement se laisser approcher par les randonneurs, il est important de ne pas le nourrir et de garder, au contraire, ses distances. Ainsi, le bouquetin des Alpes continuera de faire partie du paysage montagnard.