Ganna Alexandrova et Oleg Polishchuk, deux Ukrainiens expatriés en Isère, sont partis de la France dès les premiers jours de la guerre pour acheminer des provisions et du matériel en Ukraine. Une "nécessité" pour les deux amis.
Ces deux dernières nuits, Ganna et Oleg n'ont pas beaucoup dormi. A peine trois heures. Mais qu'importe pour les deux amis. Partis lundi de Grenoble, ils ont tracé la route avec un mini-van chargé d'approvisionnements. Direction : leur pays, l'Ukraine, bombardé et attaqué sur plusieurs fronts par la Russie.
La Suisse traversée - "le douanier nous a fait cadeau de la vignette quand nous lui avons expliqué notre destination" -, puis l'Allemagne, la République tchèque et enfin la Pologne. Les deux expatriés en Isère se sont arrêtés à Przemysl, une ville située à une trentaine de kilomètres de la frontière avec l'Ukraine.
De l'autre côté de cette frontière, Ganna a ses amis, sa famille. Cette ingénieure de formation, âgée de 37 ans, vit en France depuis une douzaine d'années et habite près de Grenoble : "J'ai décidé d'y aller coûte que coûte avec des médicaments, du matériel, des couches, des barres énergétiques mais aussi des protections pour l'armée des volontaires ukrainiens. C'est ce qu'il manque."
"Pourquoi détruire toute cette beauté ?"
Le 24 février dernier, Ganna se réveille avec les informations : son pays essuie des premières frappes aériennes : "Dans un premier temps, le cerveau ne veut pas accepter. Aussi bien ici que là-bas. Le premier jour des combats en Ukraine, une de mes cousines n'y croyait pas : elle est allée au café, comme si de rien n'était. Puis, pendant les trois jours qui ont suivi, on se demande ce qu'on fait ici. On se sent impuissant."
Soit on pleure, soit on sèche ses larmes et on fait quelque chose.
Ganna Alexandrova
La mère de famille a rapidement pris conscience de la guerre : "Pourquoi détruire toute cette beauté ? Ce n'est pas une annexion qui se prépare, ils veulent tout détruire. Alors, on se dit qu'une nouvelle réalité commence, nous allons devoir nous battre pour notre terre, mais aussi pour la liberté et la justice."
Au bout de trois jours de combat, sa famille s'est décidée : elle restera en Ukraine. "Je voulais agir de mon côté. Soit on pleure, soit on sèche ses larmes et on fait quelque chose." La suite : Ganna a rassemblé des dizaines de kilos de provisions auprès de ses amis en Isère, de son travail, de ses voisins, de sa belle-famille, et même de son pharmacien.
Elle a ensuite dit au revoir à son mari et à sa fille de 4 ans, emprunté les clés du mini-van Volkswagen de sa belle-mère, embarqué Oleg, un ingénieur de 30 ans, au passage et a mis le cap vers l'Est.
La frontière
Arrivés dans la petite ville polonaise de Przemysl, les deux amis ont patienté quelques heures. Là-bas, les abris de bus sont pris d'assaut : "Les réfugiés ont tout emporté avec eux. Les chiens et les chats sont dans leur petite cage en plastique, à côté des valises."
Avant de pouvoir rejoindre le poste-frontière de Medyka, "il y a des kilomètres de bouchons. Les voitures n'avancent pas". De l'autre côté de la frontière, pour rallier la Pologne et l'Europe, il n'y a plus grand-monde : "Les familles ne veulent pas se séparer. Les premiers réfugiés sont partis, maintenant ça s'organise beaucoup mieux. C'est désormais plus calme à la frontière."
Pour Ganna, l'objectif a été d'entrer en Ukraine, faire quelques kilomètres et déposer tout l'approvisionnement à des civils volontaires. Toute l'aide humanitaire rejoindra Dnipro, à 17 heures de route et à un peu plus d'une centaine de kilomètres du Donbass. Ganna, elle, a décidé de ne pas rester en Ukraine, même si elle "aurait voulu aller à Lviv prendre des amis dans (ses) bras".
Ganna et Oleg vont revenir en France avec des compatriotes : "une femme et son enfant de 10 mois devaient nous rejoindre, mais ils ont décidé de rester. (...) On va remplir la voiture avec d'autres réfugiés." Leur engagement va se poursuivre. Ganna a ouvert un groupe Facebook "Ukraine Grenoble" pour rassembler les initiatives personnelles en Isère. Une fois les dons regroupés, d'autres convois pourront prendre la route. La même que celle de Ganna et Oleg : "Nous avons ouvert le chemin", explique-t-elle.