En Isère, 650 enfants souffrant d'autisme sans déficience intellectuelle sont déscolarisés ou ne vont à l'école que quelques heures par semaine. Depuis début février, un lieu leur est dédié à Grenoble. La structure a vu le jour grâce à des parents réunis au sein de l'association "A fleur de peau".
En apparence, ce sont des enfants comme les autres. Pas de stigmates de leur handicap sur leur visage, sur leurs membres ou dans leur manière de s'exprimer. Ils rient, ils jouent, ils crient, ils pleurent. Leur handicap est invisible, il se glisse dans les interactions sociales. Il envahit l'espace de leurs relations aux autres, au point de rendre parfois impossible leur vie à l'école.
Environ 650 enfants en Isère souffrent d'autisme sans déficience intellectuelle, appelés auparavant "autistes Asperger". Le système scolaire n'est pas adapté à leurs besoins, mais leur différence n'est pas assez flagrante pour qu'ils soient scolarisés en Institut Médico-Educatif (IME).
"Pour ces enfants, il n'y a rien"
Agés de six à douze ans, Gauthier, Manon, Raphaël ou Gabriel se retrouvent désormais plusieurs demi-journées par semaine dans un lieu d'accueil spécifique, imaginé par l'association "A fleur de peau".
Au-delà de leurs difficultés, "ils ont l'intelligence de comprendre ce qu'il se passe mais ils n'ont pas les outils. Du coup, cela donne une frustration et une colère immense qui peut mener à une vraie phobie sociale et scolaire par la suite. Pour ces enfants, il n'y a rien", indique Sarah Loraux-Chiffard, la directrice de la structure.
Quand il n'y a pas de solutions, il faut les créer
Sarah Loraux-Chiffard,directrice du lieu d'accueil
Il lui aura fallu trois ans de travail, de recherche de partenaires et de financements pour mettre sur pied ce lieu particulier, pensé "comme un cocon : mi-maison, mi-école". Trois ans d'efforts fournis par cette mère isolée de trois enfants neuro-atypiques. "Je me suis retrouvée il y a quelques années avec mon fils qui était petit à petit déscolarisé pour être finalement complètement déscolarisé et sans solution de garde", raconte-t-elle. "Je ne pouvais pas arrêter de travailler, je n'avais pas les moyens d'arrêter de travailler. Face à cette situation, je me suis dit que quand il n'y a pas de solution, il faut les créer donc j'ai décidé de monter cette structure", explique-t-elle.
En deux ans, 150 parents ont rejoint son association "A fleur de peau", lauréate du budget participatif de la ville de Grenoble en 2020. La municipalité a notamment fourni les locaux dans le quartier Teisseire et financé l'équipement. "Il faut savoir que l'autisme cela concerne un enfant sur 44 et c'est majoritairement des autistes sans déficience intellectuelle, donc la demande est énorme", ajoute Sarah Loraux-Chiffard.
"Ici, mon fils peut être lui-même, tout simplement"
"Gabriel n'a pas beaucoup d'amis donc cela lui permet de rencontrer des enfants qui lui ressemblent", indique Christel Larabi, une autre maman. "Et pour nous, cela permet de souffler un petit peu parce que ce sont des enfants que l'on a tout le temps et qu'on gère toute seule. C'est souvent pas simple. Il n'y a pas de place dans les structures, pas de possibilités. Nos enfants, ce ne sont pas des enfants qu'on invite aux anniversaires... Ici, il trouve des amis et il peut être lui-même".
A 11 ans, Raphaël se réjouit de pouvoir enfin partager du temps avec d'autres enfants. "Venir ici, ça me sort un peu de la maison", dit-il. "Je peux trouver des nouveaux copains. J'en n'ai pas beaucoup. Je recommande beaucoup aux gens autistes de venir ici, il y a une salle pour nous faire souffler", ajoute-t-il dans un sourire.
La maman de Gauthier se réjouit elle aussi de voir son garçon tisser des liens avec d'autres, comme n'importe quel enfant. "Mon fils a la banane, il s'est fait un copain. Du coup, maintenant, ils s'appellent à la maison, ils se sont échangés leurs numéros, c'est vraiment chouette".
A quelques pas, Sarah fait visiter les lieux à un autre garçon. "Là, c'est la salle d'activités, il y a des jeux de société. Là, c'est la salle de motricité, pour se défouler. Ici, la cuisine. Et là, une salle magique si tu as besoin d'être au calme, d'être dans ta bulle, c'est la salle préférée des enfants".
Les six jeunes accueillis chaque jour participent à des activités aussi variées que du jardinage, de l'art thérapie ou de la médiation animale.
Renouer le lien avec les autres pour une inclusion durable
Depuis qu'elle s'est engagée dans ce projet, Sarah Loraux-Chiffard a vu les progrès de son fils. "Le parcours de Raphaël a été chaotique avec une vraie phobie scolaire qui s'est installée, du harcèlement à l'école, il se faisait enfermer dans les toilettes. Il a fini par ne plus du tout arriver à aller à l'école et je me suis dit que quand l'école devenait une souffrance, il fallait dire stop. Il s'est retrouvé sans solution. Et après 18 mois de déscolarisation, aujourd'hui, il arrive à retourner à l'école trois à quatre matins par semaine", se réjouit-elle.
L'association a donc imaginé les solutions que l'Education nationale n'arrivait pas à inventer, une niche dans les interstices du système éducatif. Mais la structure cherche d'autres partenaires pour pérenniser son activité et l'emploi d'une éducatrice spécialisée.
"Ces enfants, qui sont en rupture, sont souvent très malheureux", poursuit Sarah Loraux-Chiffard. "C'est un sujet sensible, mais certains en arrivent à des idées de suicide tellement ils ne se sentent pas à leur place. L'idée ici c'est de retravailler les émotions, la confiance en soi, l'estime de soi et toute la pédagogie que l'on n'apprend pas à l'école : le jardinage, l'alimentation, etc. Il s'agit aussi de retrouver ce lien social et cette confiance qu'ils peuvent avoir envers les autres. C'est primordial pour qu'ils puissent être inclus après dans la société durablement".