En Isère, la police nationale a procédé, mercredi 27 décembre, au contrôle simultané des livreurs de plats à domicile dans toutes les grandes agglomérations du département. Dix individus, des étrangers en situation irrégulière, ont été interpellés. La CGT dénonce "une rafle" de travailleurs "en très forte vulnérabilité".
"On n'est pas des délinquants, on a juste un vélo et un sac pour gagner notre vie". Mohamed Fofana est livreur de plats à domicile à Grenoble. Mercredi soir, alors qu'il était en plein trajet pour une commande, il reçoit un appel : la place Victor Hugo vient d'être bouclée par la police nationale et les livreurs "encerclés".
"On a embarqué leurs vélos, on les a menottés". Mohamed Fofana arrive en trombe sur place, lui qui est le représentant CGT des livreurs de l'Isère. "Ce genre d'opérations sur le terrain, c'est horrible. C'était impressionnant", dit-il.
Les policiers exécutent des ordres. Une opération de contrôles simultanés baptisée "Uber eats" a été ordonnée par la préfecture et les parquets de l'Isère. Elle se déroule, ce mercredi en soirée, à Vienne, Voiron, Grenoble et Bourgoin-Jallieu et cible spécifiquement les livreurs de plats à domicile.
"La recherche de stupéfiants" et "le respect du droit du travail"
Dix personnes sans-papiers sont interpellées dans l'ensemble du département. Il s'agit d'hommes âgés de 21 à 37 ans. Ils sont algériens, tunisiens, burkinabés, marocains ou guinéens.
D'après nos informations, le contrôle visait "à la recherche de produits stupéfiants" et "le respect du droit du travail". À Grenoble, sur les 29 livreurs contrôlés, sept sont ainsi arrêtés pour infraction à la législation sur les étrangers. Autrement dit, ils sont en situation irrégulière.
Cette opération de police a suscité un tollé. Ce vendredi, la CGT de l'Isère a organisé une conférence de presse pour apporter son soutien aux livreurs "en situation de très forte vulnérabilité".
"Une opération de cette ampleur, c'est une rafle. C'est une opération de police extrêmement grave qu'on ne peut pas laisser passer", s'insurge Alain Lavy, représentant CGT du Grand Grenoble.
Ces contrôles ont été opérés à ma demande. Ils ont aussi permis de constater que les livreurs en situation irrégulière étaient gravement exploités par ceux qui leur sous-louaient leur licence. Des enquêtes sont engagées. https://t.co/AfKyDWddM6
— Eric VAILLANT procureur de Grenoble (@egajvpr) December 28, 2023
Le procureur répond au maire de Grenoble
"Quelle indignité", avait réagi le maire de Grenoble dès jeudi soir sur les réseaux sociaux. Eric Piolle a interpellé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. "Ces personnes seraient donc suffisamment 'régulières' pour attendre dans le froid de vous livrer vos repas, mais pas pour vivre dignement avec nous ?", a-t-il ainsi écrit sur X.
Le procureur de la République de Grenoble, lui a répondu. "Ces contrôles ont été opérés à ma demande. Ils ont aussi permis de constater que les livreurs en situation irrégulière étaient gravement exploités par ceux qui leur sous-louaient leur licence", a commenté Eric Vaillant.
La CGT dénonce "l'hypocrisie de l'État". "Une grande partie des livreurs sont sans-papiers parce que précisément, c'est le seul métier qu'ils peuvent faire", estime Alain Lavy.
"Ils sont obligés de travailler sur des comptes sous-loués avec une surexploitation qui est claire puisqu'ils laissent entre 40 et 50% de leurs recettes à la personne qui loue le compte. C'est quelque chose de connu et dont s'émeuvent les plateformes uniquement lorsqu'elles ont envie de mesures de rétorsion contre les livreurs", ajoute-t-il.
"Le cynisme des plateformes"
Ainsi, des comptes de livreurs sont supprimés lorsque ceux-ci manifestent pour réclamer des augmentations de salaire, comme ce fut le cas en région parisienne il y a quelques semaines. Début décembre, les livreurs de Grenoble s'étaient mis en grève pour dénoncer "des conditions de travail déplorables".
"Ce contexte est aussi celui d'un cynisme immense de la part des plateformes qui emploient ces travailleurs", a déclaré le représentant de l'union locale de la CGT.
Les dix livreurs interpellés "sont revenus avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou une interdiction de revenir sur le territoire français (IRTF)", indique Mohamed Fofana.
Nous ne sommes pas des délinquants. Nous n'avons pas envie d'aller quémander. (...) On fait quelque chose d'utile.
un livreur de plats à domicile de Grenoble
"Ce sont des personnes qui sont là avec leurs familles, qui ont des enfants. Certains sont enfermés chez eux depuis deux jours, ils n'ont plus le courage de sortir, mais comment ils vont se nourrir, se loger, comment vont-ils nourrir leurs enfants ?"
"Nous ne sommes pas des délinquants", martèle un autre livreur qui souhaite rester anonyme.
"Nous n'avons pas envie d'aller quémander. Nous demandons au peuple français de nous venir en aide parce que ce service-là, nous le rendons aux Français, on les livre. Pendant le Covid-19, tout le monde était confiné et nous, on était là pour livrer les Français. Ce que nous livrons aujourd'hui, ce n'est pas de la drogue, ce sont des pizzas, des burgers, des tacos, des plats. On fait quelque chose d'utile", estime-t-il.