REPORTAGE. Depuis 70 ans, ce lieu idyllique au bord de la Méditerranée offre des vacances de rêve à des familles en situation précaire

Il a vu passer des générations entières de Grenoblois. Le domaine de Massacan, dans le Var près de Toulon, accueille depuis 70 ans ceux, en situation précaire, qui ne peuvent pas partir en vacances. Beaucoup y voient la mer pour la première fois. Reportage avec les enfants et les familles de Massacan.

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C’est un endroit qui ne ressemble à aucun autre, niché dans un écrin de verdure, à quelques pas seulement de la mer Méditerranée. Ici, le chant des cigales se mêle aux rires des enfants de passage.

Le domaine de Massacan, à La Garde dans le Var, voit défiler depuis des décennies, des générations de Grenoblois, en quête d’un peu de repos, d’espace, de baignade, d’un peu de vacances. Un mot guère familier pour les hôtes de ce lieu. 

Les premières vacances à la mer 

À la plage de la Vieille, à Saint-Mandrier, à l’ombre d’un pin, un groupe de Grenoblois se repose. Ce sont des parents et des personnes âgées. Les enfants sont dans l’eau. Parmi eux, Valercio, 7 ans, voit et se baigne dans la mer pour la première fois : "Massacan, c’est trop bien. Mais, juste il y a trop d’eau salée, ça pique dans les yeux." Pour son copain Mohamed, même constat. 

Tous les deux sont venus avec leur famille, grâce à la Ville de Grenoble et la maison des habitants à laquelle ils sont rattachés. Au total, ils sont 47 dans le groupe, le plus jeune n’a pas encore deux ans, la plus âgée en a 87 : "À mon âge, c’est inespéré pour moi. Le seul voyage que j'aurais pu faire, ç'aurait été avec mes enfants. Sinon, je ne serai jamais partie. Donc je suis très contente, et il fait très beau. Je profite de tout, des enfants que je ne connaissais pas. Avec les personnes âgées, on s’est connues dans le bus, maintenant, on est inséparables", confie Marie-Neige Chica.

S’échapper du quotidien

Ils logent au domaine de Massacan pour quelques jours dans des appartements individuels. Chacun a son studio avec salle de bain et la mer à deux pas. Un accès privé mène à l'anse Magaud. L'endroit rêvé. Pendant l'été, ce lieu est réservé aux familles modestes et aux personnes âgées suivies par le CCAS de Grenoble, aux jeunes des MJC, des Maisons des habitants et des associations de Grenoble. L’idée : permettre à familles d'échapper à un quotidien précaire, parfois trop compliqué.

Massacan permet un dépaysement et il permet d’être avec d’autres personnes, de pouvoir créer du lien.

Ophélie Carasco, référente famille à la maison des habitants du centre-ville de Grenoble.

"Que ce soit dans le domaine de la santé, dans le domaine financier ou familial, ils font face à un quotidien pas facile. Certains n’ont plus d’autonomie, quand ils se retrouvent seuls et âgés. Ça permet d’être dans un cadre collectif, de se sentir rassuré sur le fait d’être en groupe et de quitter tous ces petits soucis du quotidien. Massacan permet un dépaysement et il permet d’être avec d’autres personnes, de pouvoir créer du lien avec d’autres familles", explique Ophélie Carasco, référente famille à la maison des habitants du centre-ville de Grenoble.

Créer un lien de confiance 

La référente profite de ces moments aux côtés des familles pour créer un lien plus solide avec eux : "Il n’y a pas que le côté collectif et sociable pour nous. On profite de ces moments, qui sont plus détendus, pour créer des objectifs et pour accompagner les gens dans leur parcours. C’est vrai que dans un quotidien non-stop, on aborde les choses différemment et c’est plus facile d’être dans une relation de confiance."

Créer une relation de confiance, mais aussi reprendre confiance en soi, c’est l’autre objectif de ces voyages à Massacan. Fabien Coulon est directeur du Codase à Grenoble. Il est venu pour cinq jours avec un groupe de jeunes adolescents issus des quartiers populaires grenoblois. L’activité du jour : une randonnée sous-marine.

Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils enfilent la combinaison, le masque et qu'ils respirent dans un tuba. "L’une des filles a commencé en mettant la tête sous l’eau, en disant : 'Je vais faire une crise d’angoisse, je sens que je ne vais pas y arriver'. Finalement, elle n’a pas fait de crise d’angoisse du tout. Elle a passé 45 minutes à nager, et elle est ressortie en disant : 'J’ai adoré'", raconte Fabien. Une victoire pour le directeur et un moyen, aussi, de leur faire reprendre confiance en eux.

 

La mixité au cœur du domaine 

Le soir, une centaine de jeunes et moins jeunes se retrouvent sur la terrasse du domaine de Massacan pour partager le repas, un moment précieux : "La rencontre de tous ces publics et le vivre-ensemble sont autant de choses importantes pour les projets d’éducation populaire. C’est quelque chose qui est très vivant et très préservé ici à Massacan", observe David Delsol, le responsable du domaine.

"En plus des associations socio-culturelles et des maisons des habitants de la ville de Grenoble, on reçoit d’autres associations qui peuvent venir de Saint-Marcellin et d’autres villes aux alentours. Elles vont rajouter un peu de mixité et de rencontres. Ces personnes qu’ils ne croisent pas forcément dans leur quotidien dans leur vie à Grenoble", poursuit le responsable.

Pendant 50 ans, des colonies de vacances se succèdent 

Ces vacances, proposées à moindre coût pour les Grenoblois, sont possibles aujourd’hui grâce à l’association Poil de Carotte, gestionnaire du domaine. La Ville de Grenoble, elle, est propriétaire des lieux. Le domaine accueillait, au départ, les enfants des colonies de vacances : "Le projet initial en 1956, après-guerre, c’était d’acheter des grosses structures, des grandes bâtisses et de les transformer en centre de vacances, dans un esprit d’éducation populaire. Mais aussi pour requinquer les enfants qui avaient besoin de se remplumer après la période de guerre", explique David Delsol.

"Lors des colos de 1956, on pesait les enfants à l’arrivée et à leur départ. S’ils avaient pris du poids, on disait que la colo était réussie." C'est dans ce cadre que l'endroit a vu défiler des jeunesses entières de Grenoblois. 

Un projet de "micro-société"

Au début des années 2000, la Ville a voulu se séparer de ce lieu. L'association Poil de Carotte a alors proposé de gérer le domaine et signé un bail de 25 ans. À l'origine de ce projet, Nunzia Grima et son mari Gilles, pour qui il était impensable de laisser partir ce joyau dans le privé. 

"C’est un projet de micro-société. Effectivement, on souhaitait que les gens puissent se découvrir, se rencontrer, se respecter, s’aimer. On est un peu des soixante-huitards et à l’époque, on disait, faites l’amour pas la guerre. Je suis toujours un peu accrochée à cette phrase. Ce lieu ne porte pas la guerre. Il porte au contraire, l’apaisement, le bonheur, l’échange et le partage. On entend les cigales, on se repose, c’est important", nous dit Nunzia Grima.

Sans subventions, l'association compte sur les séminaires d'entreprise, les mariages et les classes de mer pour se maintenir à flot toute l'année. Elle a encore la gestion du domaine pour quelques années seulement. Passée cette échéance, Nunzia n'espère qu'une chose : que cet endroit vive le plus longtemps possible.

"C’est tout cet aspect d’échanges et de rencontres qu’il ne faut pas perdre, car il y a de moins en moins de lieu où les différentes couches de la population peuvent se rencontrer", conclut Nunzia Grima.

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