Trois ans après le mouvement, une enseignante de philosophie à Grenoble signe le livre "Devenir Gilet jaune, histoire sensible d'une lutte". Pendant plus d'un an, elle a vécu avec "ces Gilets jaunes, qu'elle ne connaissait pas et qui ne lui ressemblent pas". Elle raconte la violence, l'espoir, l'amitié, l'amour.
Nous l'appellerons Marion, le nom qu'elle a choisi pour livrer ce témoignage à mots ouverts mais anonymement "parce que ses élèves n'ont pas à connaître son opinion personnelle".
"Devenir gilet jaune, histoire sensible d'une lutte" est le récit intime, mêlant réflexions philosophiques et politiques, de ce quelle a vécu pendant plus d'un an, auprès "de ces fameux Gilets jaunes, qu'(elle) ne connaissait pas et qui ne (lui) ressemblent pas". Marion raconte la joie, la violence, l'espoir, l'amitié, et même l'amour rencontrés dans cette expérience de vie qui l'a profondément changée.
"La veille de ma première manif, une angoisse enfantine me saisit, qu'est-ce que je vais aller foutre dans ce mouvement ? À l'exception de Christelle, ces gens sont tous pour moi de parfaits inconnus, et puis ce n'est pas moi les Gilets jaunes, l'union de toutes les franges de la population, les bouffeurs de merguez, les mecs qui votent FN, moi je suis façonnée par douze ans de trotskisme, par une idée précise de la Révolution et de la lutte des classes.
Cette première manif me grise, m'excite, me stimule, il y a bien longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi vivante.
Marion, dans son livre "Devenir Gilet jaune, histoire sensible d'une lutte".
La Grenobloise, lit ses premières phrases, et si elle ne veut pas montrer son visage, c'est pour ses classes certes mais aussi parce que "les Gilets jaunes ne veulent pas être représentés par une seule personne", dit-elle, avant de poursuivre sa lecture : " Je noue mon gilet jaune sur la bretelle de mon sac à dos. Deux semaines après mon entrée dans le mouvement, j'ai encore du mal à l'enfiler fièrement, il m'a fallu y lire et y écrire au marqueur noir, anti-capitaliste, féministe, écologiste, comme si je voulais me dédouaner encore de ces soupçons de populisme franchouillard qui grèvent le mouvement, comme si j'avais encore des scrupules à participer à un mouvement qui ne serait pas pur politiquement".
Pendant plus d'un an, elle est de toutes les manifs, de toutes les AG, elle se fait des amis, se fâche avec d'autres, éprouve de la peur, de la joie, s'interroge sur la violence, celle des manifestants, celle de l'État, et a reconsidéré ses "certitudes" : "Oui, ça m'a changé, confie-t-elle, c'est pour ça que le bouquin s'appelle "Devenir Gilet jaune", nous sommes devenus Gilets jaunes dans ce mouvement. Certains copains qui étaient garagistes sont devenus lecteurs de la Constitution, certains sont devenus féministes alors que ce n'était pas leur préoccupation, certains sont tombés amoureux, ce qui est mon cas, nous sommes devenus dans ce mouvement et ça a été une expérience de vie extraordinaire, vraiment porteuse de joie et d'espoir".
Alors comment de parfaits inconnus ont-ils pu partager un tel bonheur ? "Il y a la lutte bien sûr, il y a l'espoir que des jours meilleurs soient possibles, non pas dans un futur lointain mais ici et maintenant, plus encore il y a la conscience brutale et décisive que c'est dans le collectif que la vie porte un sens. Nous savons désormais, pour avoir été sur un rond-point, qu'il n'y a pas de bonheur individuel."
*Devenir Gilet jaune est paru le 29/10/2021, aux éditions "Le monde à l'envers".