De nombreux créneaux disponibles chez les médecins, pharmaciens et centres de vaccination ont du mal à trouver preneurs. Résultat : des centaines de doses sont parfois jetées. Pour éviter ce gâchis, des professionnels de santé demandent l’ouverture de la vaccination à tous les volontaires.
"Pour trouver dix volontaires à vacciner avec un flacon de dix doses d’AstraZeneca, ça nous prend une demi-journée". Romain David, pharmacien à Grenoble, ne compte plus le temps passé à appeler ses patients pour les convaincre de se faire vacciner.
La réputation du vaccin anglo-suédois explique pour beaucoup ces refus, bien que le risque de développer une thrombose après l’injection soit aussi élevé que celui de mourir foudroyé…
"C’est frustrant car on a des doses dont personne ne veut, et des patients qui voudraient se faire vacciner mais qui ne sont pas éligibles", regrette le pharmacien. A l'image de Rambo, qui n'abandonne jamais ses combats, les salariés de l'officine lancent même des appels sur les réseaux sociaux pour combler leur planning.
Le vaccin AstraZeneca étant déconseillé aux personnes de moins de 55 ans, il est impossible pour les pharmaciens ou médecins généralistes d’appeler des patients plus jeunes pour leur proposer les doses restantes. En Isère, par exemple, de nombreux personnels de santé sont contraints de jeter leurs doses fautes de volontaires.
Les centres de vaccination boudés
Du côté des vaccinodromes, des dizaines de doses peinent aussi à trouver preneurs. Le centre de vaccination Alpexpo de Grenoble peut, à l’heure actuelle, vacciner jusqu’à 2500 personnes par jour. Or, force est de constater que le centre ne tourne pas à plein régime.
En cherchant un créneau disponible sur la plateforme en ligne Kel Doc, nous avons constaté que des centaines de rendez-vous étaient encore disponibles le jour-même et jusqu’à la fin de la semaine.
A l'échelle nationale, le site "Vite Ma Dose !", qui recense les créneaux disponibles, estime qu'à ce jour 724 centres de vaccination ont des disponibilités. Soit plus de 280 000 créneaux vacants...
"Par pitié, qu’on vaccine les volontaires qui le souhaitent ! supplie Jean-Paul Stahl, professeur émérite de maladies infectieuses à l’université de Grenoble. Il faut garder des gens prioritaires, mais pourquoi empêcher les autres volontaires de se faire vacciner ?".
Le spécialiste demande l’ouverture de la vaccination à toute la population générale. "Je plaide pour plus souplesse, ajoute-t-il. Il y a un carcan administratif qui est mis là-dessus, qui avait toute sa logique en période de pénurie mais ce n’est plus le cas. Aucun médecin ne privera une personne prioritaire d’un vaccin. Mais ça fait mal au cœur de refuser de vacciner des volontaires".
Pourquoi autant de créneaux disponibles ?
La réputation des vaccins n’explique pas tout. A cette défiance s’ajoute aussi un imbroglio administratif, qui empêche certains patients de savoir s’ils sont éligibles ou non. Le gouvernement a même mis en place un simulateur de vaccination pour aider les Français à s'y retrouver.
#Vaccination #COVID19 | Êtes-vous éligible à la vaccination ?
— Ministère des Solidarités et de la Santé (@Sante_Gouv) March 30, 2021
La réponse en 1 min. ⤵
?Ce simulateur ne remplace pas un avis médical, en cas de doute parlez-en à votre professionnel de santé
Car en fonction de l’âge et des comorbidités, tout le monde n’est pas éligible pour le même vaccin. Certaines personnes ne peuvent aller qu’en pharmacie ou chez leur médecin traitant. D’autres doivent se rendre en centre de vaccination. Et si possible, prendre rendez-vous sur internet. Autant de démarches et de questionnements qui peuvent décourager des patients plus âgés.
"Il y a beaucoup d’incompréhension, concède une opératrice téléphonique du département de l’Isère, chargée de prendre les rendez-vous dans les vaccinodromes. Nous n’acceptons que les personnes de plus de 60 ans ou à hauts risques. Les personnes hors critères qui nous appellent disent qu’il y a plein de doses disponibles et elles ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent pas être vaccinées. Nous, on aiderait bien tout le monde ! Mais tant qu’on a pas le feu vert de l’Agence Régionale de Santé, on ne peut rien faire".
Depuis longtemps, les médecins sont vus comme des emmerdeurs
Avant de raccrocher, l’opératrice reconnaît qu’il y a "énormément de vaccins disponibles à Alpexpo". Jean-Paul Stahl décrit cette situation ubuesque comme une "lourdeur" et "un manque de confiance de l’administration dans les acteurs de terrain". "Depuis longtemps les médecins sont vus par les administratifs comme des emmerdeurs qui ne cherchent qu’à dépenser et à contourner les règles, regrette-t-il avec amertume. Je le répète : nous ne sommes plus dans une situation de pénurie. Il faut vacciner tous les volontaires !".
Cette stratégie vaccinale, de plus en plus décriée, pourrait empêcher le gouvernement d’atteindre son objectif initial : proposer un vaccin pour "tous les Français adultes" "d'ici la fin de l'été".
Selon le site CovidTracker, "pour vacciner l'ensemble de la population adulte (52 millions de personnes) d'ici à août 2021, il faudrait injecter 593 441 doses chaque jour". Au rythme actuel, l'objectif de vacciner l'ensemble de la population adulte serait atteint le 5 janvier 2022.