Il écrase tout sur la piste et n'a pas la langue dans sa poche en dehors: Martin Fourcade est un leader naturel, aussi coriace pour dominer ses adversaires que droit dans ses bottes quand il s'agit de défendre des valeurs qui lui sont chères. Portrait du champion.
En décrochant lundi la médaille d'or de la poursuite, le Pyrénéen de 29 ans a rejoint le légendaire Jean-Claude Killy en tant que Français le plus titré des Jeux d'hiver (3), confortant sa stature de champion hors-normes. Ce 3e titre olympique, qui s'ajoute à 11 médailles d'or mondiales, le fait entrer définitivement dans la légende du sport tricolore.
Cela fait maintenant sept ans que la planète biathlon est sous le joug du roi Fourcade, parti chasser sur les traces du Norvégien Ole-Einar Bjoerndalen, longtemps la référence absolue de la discipline. Intouchable sur les skis et d'une efficacité chirurgicale au tir, le Français n'en finit pas de jouer les cannibales à coups de records (six Globes de cristal d'affilée, 14 victoires sur une seule saison en 2016-2017) et de performances de haut vol.
Mais Fourcade, c'est aussi un charisme et un caractère entier, avec un regard acéré sur le monde du sport et l'actualité. Un cocktail qui a poussé les athlètes français à le plébisciter comme porte-drapeau de la délégation tricolore à Pyeongchang.
Fourcade vs Trump
"Biathlète parfait", selon les termes de l'entraîneur de l'équipe de France Stéphane Bouthiaux, ce grand brun ténébreux ne manque jamais une occasion de dire tout haut ce qu'il pense. Dopage, politique française et internationale, tout y passe. Après les révélations du rapport McLaren qui a mis au jour un système de dopage institutionnalisé en Russie, il avait menacé la Coupe du monde de boycott avant de prendre la tête de la fronde des biathlètes en janvier 2017, obligeant la Fédération internationale (IBU) à organiser un Congrès extraordinaire à la veille des Mondiaux afin de durcir à l'avenir ses sanctions contre les tricheurs.Il a également publiquement soutenu la décision du Comité international olympique (CIO) de suspendre la Russie des JO-2018, n'hésitant pas à braquer un pays où il reste très populaire. En 2017, l'homme aux 70 succès en carrière avait déjà provoqué une grosse tension avec les Russes aux Championnats du monde après avoir pointé du doigt sur les réseaux sociaux Alexander Loginov, revenu d'une suspension pour dopage. Les Russes avaient alors refusé de lui serrer la main sur le podium du relais mixte.
En janvier, c'est Donald Trump "himself" qui en a pris pour son grade, en pleine polémique après ses propos sur "les pays de merde", Fourcade fustigeant "la théorie stupide" du président des Etats-Unis.
"Je suis fier de ce qu'il fait", insiste Bjoerndalen
De quoi susciter l'admiration de ses pairs, et non des moindres, comme le mythique Bjoerndalen: "Parfois il est trop direct et ça vient interférer avec la compétition. C'est important de ne pas mélanger le sport et la politique. Mais il fait ce qu'il pense être le mieux pour son sport et je suis vraiment très fier de ce qu'il fait. Il doit poursuivre dans la même voie".Très actif sur les réseaux sociaux, il s'est mué en VRP de luxe du biathlon, popularisant une discipline plutôt confidentielle en France avant son éclosion. La Chaîne L'Equipe, qui retransmet les épreuves de Coupe du monde en clair, peut lui dire un grand merci puisqu'elle bat régulièrement des records d'audience grâce à ses exploits chaque week-end.
Malgré des revenus annuels estimés à 1 million d'euros, Fourcade n'oublie pas non plus d'où il vient et voue notamment "une dette" à l'Armée de terre qui vient de le promouvoir au grade de sous-lieutenant. "J'ai commencé le ski jeune et jusqu'en 2008, ce sont mes parents qui m'ont financé, a-t-il expliqué en novembre à l'AFP. L'armée de terre m'a alors proposé d'intégrer l'équipe de France militaire de ski et sans leur soutien, au moment où les sponsors n'étaient pas encore là, je sais que cela aurait été compliqué de poursuivre."
Mais de quel bois est fait le natif de Céret? "Il a une intelligence sportive et une intelligence tout court, selon Stéphane Bouthiaux. Il a une confiance en lui inébranlable. Ses adversaires le craignent également". Vu qu'il lui reste encore 4 épreuves d'ici la fin des Jeux (Individuel, mass start, relais, relais mixte), ils n'ont pas fini de souffrir.