Comment les adultes autistes vivent-ils cette période de crise sanitaire et de confinements successifs ? Rencontre avec Franck Derrien qui vit dans le Vercors, en Isère. Plus encore que chacun d'entre nous, ce trailer de Villard-de-Lans espère retrouver, bientôt, ses repères.
Il est difficile à suivre Franck. Lui, dont les jambes sont aussi rapides que le cerveau. Pour cet adulte, autiste, atteint du syndrome d'Asperger, le trail est plus qu'une dicipline sportive. C'est une bouffée d'oxygène, un moyen surtout d'échapper à ses angoisses et à sa solitude. Alors, il n'en finit pas de courir dans le Vercors sur des sentiers qu'il connaît par coeur.
"La montagne m'aide beaucoup. Le Vercors ou ailleurs. J'aime beaucoup être dehors. Le monde est assez anxiogène, surtout en ce moment. La nature m'apaise et il y a une solidarité avec les gens que l'on croise qui me plaît beaucoup en montagne. Les rapports sont plus sympas. Il y a beaucoup moins de jugement, beaucoup moins de polémiques que dans la vie classique".
Teddy, son fidèle compagnon
L'autisme de Franck Derrien ne se voit pas au premier coup d'oeil. Et à l'entendre parler, il est difficile de s'imaginer qu'il rencontre des problèmes de communication. Son handicap se porte surtout sur les interactions sociales et dans de petites choses du quotidien. Elles paraissent vite pour lui insurmontables.
"Il y a beaucoup de choses qui peuvent paraître bêtes pour la plupart des gens et qui sont pour moi très anxiogènes. Il y a beaucoup de choses de la vie quotidienne, comme se laver ou se raser, qui sont très compliquées. C'est très angoissant, ça me prend beaucoup de temps", explique-t-il.
Il y a moins de jugement en montagne. Les rapports avec les gens sont plus sympas
Pour se rassurer, Franck Derrien emmène partout avec lui Teddy, son ours en peluche. Une star, désormais, sur les réseaux sociaux, notamment sur son profil Facebook. Des photos de Teddy au sommet du Col Vert, sur le plateau des Ramées ou dans le vallon de la Fauge. "C'est un ami sur qui je compte tout le temps. Je suis né avec lui, je mourrai avec lui", confie Franck. "Je veux montrer qu'il y a quand même des choses positives malgré une vie difficile, ça me permet de donner un petit message d'espoir".
Teddy vous souhaite un bon vendredi depuis le hameau des clots sous la neige juste a cote de chez moi
Publiée par Franck Derrien sur Vendredi 11 décembre 2020
"Sur les courses de trail, tout le monde est égal"
Mais ce dont Franck est le plus fier, c'est de voir Teddy arborer sa médaille de vice-champion de France de cross en sport adapté, acquise en 2018.
"C'est un très bon souvenir. L'année suivante, j'étais cinquième. Je pense que je n'ai pas forcément le niveau mais ce jour-là, j'ai eu de la chance et je remercie mon club Eybens Sport Adapté qui m'a poussé à le faire. C'est de la reconnaissance, ça m'a apporté plus de confiance en moi. Par rapport à mon handicap, ça m'a beaucoup aidé de voir que finalement, même en étant autiste, quand tu es sur une course, il n'y a pas de différences. Tout le monde est égal", explique Franck.
Et si, dans son tout petit appartement de Villard-de-Lans, les coupes s'entassent, comme autant de rappels de ses victoires, Franck Derrien a choisi de ralentir le rythme des compétitions. "Trop de fatigue", "trop de difficultés à gérer dans ma vie personnelle", dit-il. "Maintenant, je fais des courses pour le plaisir. Je suis moins à fond dans la recherche de la performance".
La crise sanitaire, des angoisses supplémentaires
Franck aurait rêvé d'être guide ou accompagnateur de montagne. "J'aime beaucoup expliquer aux gens, les renseigner sur les itinéraires". Mais pour être guide, "il y a beaucoup de responsabilités et avec mon handicap j'ai du mal à gérer l'imprévu. J'aurais sûrement du mal à gérer d'éventuelles angoisses liées à des problèmes, liées à des clients s'il y avait un accident", regrette le trailer. Idem pour un poste de contrôleur dans les trains, son autre passion.
Des peurs qui se sont accrues en 2020 avec la pandémie. "Même si le regard des gens sur l'autisme s'est amélioré, la situation globale se détériore. Le monde actuel est de plus en plus angoissant, et pas uniquement avec l'apparition du virus".
Pour atténuer ses angoisses, Franck se rendait régulièrement à Grenoble, au restaurant-café Atypik, une structure associative dédiée aux adultes autistes. Un lieu refuge pour lui. "Le café permet de rencontrer d'autres personnes qui vivent le même handicap que moi. De temps en temps, j'ai pu les aider en faisant de l'essuyage [de la vaisselle] et il y a aussi des ateliers. On a organisé des randonnées en montagne. C'est un manque que je ressens, le lien social me manque".
Car le café-restaurant est fermé, en raison de la crise sanitaire. Finis les allers-retours à Grenoble. Alors Franck tourne en rond dans son petit appartement de Villard. Et même s'il bénéficie de beaucoup de solidarité dans le Vercors, il se sent de plus en plus isolé. C'est en montagne, qu'il tente, chaque jour, d'évacuer ses idées noires.
Il faudra pour lui passer l'hiver, en attendant les beaux jours, en attendant surtout un semblant de retour à la normale. Il espère, en 2021, retrouver ses repères.