Le nom de Cocconato, un petit village du Piémont, occupe une large place dans les gazettes gourmandes italiennes. Le 21 juin, la branche italienne des "disciples d'Escoffier" y organise un diner-colloque international sur l'un des papes de la cuisine française.
Pour que, 87 ans après la disparition du cuisinier, l'œuvre d'Auguste Escoffier soit l'objet d'un colloque international à Cocconato, il aura suffi de quelques mots. Ce petit village du Piémont d'un millier d'habitants va être le théâtre d'un événement dédié à l'un des monuments de la gastronomie française, mardi 21 juin.
“Carlton Hotel, Pall Mall, London. 14 mai 1918. Mon cher Silvestro, bien que mon temps soit très limité, je ne veux pas vous faire attendre la recette du homard". Ce sont les mots du grand chef français Auguste Escoffier dans une lettre envoyée d'Angleterre à son ami piémontais Silvestro Cavallito, alors que la Première Guerre mondiale touche à sa fin.
Parle-t-il de son fameux homard sauce thermidor ? Toujours est-il que lorsqu'Adriano Cavallito, un lointain parent de Silvestro, entre en possession du restaurant Osteria della Pompa de Cocconato, il hérite de quatre lettres d'Auguste Escoffier.
Le "maestro" français des fourneaux y parle cuisine, bien sûr, en donnant certains détails sur ses recettes, y livre des observations personnelles aussi. S'y adjoint un précieux carnet de cuisine de l'hôtel Carlton de Londres, rédigé à l'époque charnière, entre les XIXe et XXe siècles.
Une belle époque particulièrement créative pour celui qui est alors le principal ambassadeur de la gastronomie française dans le monde.
"Le roi des cuisiniers, le cuisiner des rois"
"Escoffier, c'est peut-être le plus grand cuisinier de tous les temps", insiste pour sa part Aldo Rodino, un historien de la gastronomie piémontais, originaire de Cuneo.
"Ce n'est pas par hasard que l'on a dit de lui qu'il était le 'roi des cuisiniers, le cuisinier des rois'. Ce qui est tout de même une définition réductrice de son art, juge-t-il. Derrière ses fourneaux, c'est aussi l'inventeur de la fameuse 'brigade' : cette organisation pyramidale d'origine militaire avec, à sa tête, ce que l'on appelle maintenant communément un chef."
Une correspondance truffée de recettes inédites
Dans le carnet de cuisine du Carlton qu'il offre à son ami italien, Escoffier semble au sommet de son art. Y figurent des recettes inédites accompagnées de leurs variantes, mais aussi de véritables menus composés pour de grands événements, signés par lui ou par d'autres grands chefs ayant travaillé sous sa direction. Que ce soit dans sa "brigade" du Grand hôtel de Monaco, du "Savoy" de Londres, ou encore celle du "Ritz" à Paris. Excusez du peu.
C'est en tout cas parmi ces menus de grands chefs que figure la signature de Silvestro Cavallito. Le Piémontais originaire de Cocconato (1868-1944) a en effet travaillé dans la brigade d'Escoffier lors de son émigration en Angleterre. La correspondance entre les deux hommes en témoigne.
C'est d'ailleurs grâce à l'argent gagné lors de son passage dans les cuisines d'Escoffier qu'il fonde à son retour dans son village, en 1924, son restaurant baptisé Bottiglieria della Pompa.
"L'or de Silvestro"
C'est dans cette même auberge, connue désormais en tant qu'Agriturismo osteria della Pompa - la ferme auberge de la pompe, que le 21 juin, l'association internationale des disciples d'Escoffier se réunira lors d'un colloque intitulé "L'or de Silvestro Cavallito, collaborateur et premier disciple italien du chef Auguste Escoffier".
C'est que la parole du maître a eu le temps d'infuser dans le monde entier. Reprenant son idée de 1912 de créer la Ligue des gourmands, c'est en 1954 que Jean Ducroux, chef de cuisine à Nice et ancien élève d'Escoffier, crée l'association des Disciples d'Auguste Escoffier qui compte aujourd'hui 25 000 membres dans le monde. Son objectif est de réunir les chefs et professionnels de cuisine et de salles du monde entier, en associant également les producteurs de qualité et les gastronomes.
Le président de l'association, devenue Disciples Escoffier International pour l'Europe, devrait d'ailleurs être du voyage à Coconato. A ses côtés, de nombreux disciples des régions Piémont et vallée d'Aoste ainsi que la responsable du centre d'études de l'Académie de cuisine italienne.
Au hasard du menu proposé le soir, les disciples (et non disciples) pourront déguster des huîtres Belon, de la quiche lorraine, des cailles à la mode du Dauphiné… Et en dessert, bien sûr, l'incontournable pêche melba.