Des prairies grillées par le soleil, une production de fourrage en baisse, la sécheresse impacte toutes les filières agricoles. Les éleveurs qui produisent des fromages AOP, comme la Fourme de Montbrison, espèrent obtenir des dérogations sur le fourrage. Mais alors, la fourme aura-t-elle un autre parfum cette année ?
«Maïs, tourteaux, colza et fourrage», c'est le repas du matin pour les cinquante vaches laitières de Cédric Mollin. Une ration bien hivernale… Bien éloignée de l’image d’Epinal.
Ici, à Roche-en-Forez, dans la Loire, comme partout ailleurs, les prairies ont souffert. Faute d’herbe verte suffisante et de pâturages humides, on ne peut pas laisser sortir les bêtes toute la journée.
Les stocks d’hiver déjà entamés
«Ça fait un mois et demi, depuis début juillet, qu’elles sont enfermées en ration hivernale complète», ajoute l’agriculteur ligérien. D’habitude, il pioche dans les stocks d’hiver à partir du 15 octobre. Cette année, Cédric Mollin les a entamés fin juin. «C’est du jamais vu» 20% de ses réserves y sont passées.
Heureusement, depuis quelques jours, les pluies sont de retour sur les monts du Forez, et les vaches, dans les champs. «Ça fait une semaine et demie qu’on a réattaqué le pâturage extérieur l’après-midi», mais ce ne sera pas suffisant pour sauver la saison.
« Donc soit on trouve du stock, soit on vend des vaches, c’est tout l’enjeu ».
Cédric Mollin, agriculteur
Impensable, pour ce jeune agriculteur qui a encore des emprunts à rembourser.
Les contraintes de l’AOP
C’est de toute une appellation dont il est question. Cédric Molin produit du lait pour la fabrication de la fourme de Montbrison. Un fromage AOP. Et qui dit AOP, dit cahier des charges. Ses bêtes doivent être exclusivement nourries avec des fourrages provenant de la zone d’appellation. Si sur son exploitation, il ne manque pas de fourrage, ce n'est pas le cas de ses voisins.
«Les prairies ont été grillées par les températures qui sont très élevées et par le manque d’humidité, donc la grande majorité des agriculteurs de l’AOP a un déficit fourragé net», assure Hubert Dubien, le président du Syndicat de la fourme de Montbrison.
Demande de dérogation
«Mais ce n’est pas la première fois que ça nous arrive, on sait que ce sera un phénomène récurrent, donc pour ça, on s’organise…» En prévision d’un été difficile, le syndicat a, pour la première fois cette année, fait un inventaire des stocks de fourrage disponibles sur toute la zone d’appellation.
«Il y a parfois des foins, des ensilages d’herbe ou de l’enrubannage par exemple qui sont disponibles. Plutôt que de les vendre à l’extérieur, il vaut mieux qu’ils soient consommés par les animaux qui produisent du lait en AOP», explique Hubert Dubien. Une centaine de tonnes de fourrages ont déjà transité entre exploitants de la zone, «mais ce n’est pas suffisant».
La seule solution ? S’adapter
Soit on baisse la production, c’est déjà en cours d’ailleurs, que cela soit volontaire ou pas, parce qu’avec ces chaleurs, les animaux produisent moins… Soit on demande une dérogation, c’est la solution ultime
Hubert Dubien, président du Syndicat de la Fourme de Montbrison
Le syndicat de l’AOP a l'intention de demander à l’INAO, l’Institut national de l'origine et de la qualité, d’autoriser les agriculteurs à acheter une part d’aliments à l’extérieur de la zone, à hauteur de 20%.
Autre requête, la limitation du nombre de jours exigés en pâturage. Elle est aujourd’hui de 150 jours par an. «Mais comme on a eu de la sécheresse, on a nourri nos bêtes avec les ensilages faits au printemps, et du coup, on n’a pas fait pâturer nos bêtes cet été», explique encore Hubert Hubien. «Atteindre les 150 jours, on se rend compte qu’on ne va pas y arriver. On demande de baisser à 120 jours».
Quel impact sur les caractéristiques du fromage ?
S’adapter, donc, mais à quel prix ? Faire modifier le cahier des charges d’une AOP comporte toujours des risques. Quelles seront les conséquences sur la qualité du fromage ? Sur son goût ?
Dans sa cave d’affinage, moins humide que d’habitude, Alexis Masson pique régulièrement ses fourmes pour s’assurer de leur état. «Celle-ci, elle est à point», sourit-il.
Autoriser les fourrages venant de l’extérieur pour l’AOP, c’est devenu une nécessité pour certains agriculteurs, mais avec un impact non négligeable. «Il y aura forcément un goût différent, mais lequel ? Je ne peux pas vous dire», affirme le producteur de fourme.
«Demain, si je vais faire la même fabrication en Bretagne, que je prends le même procédé, je n’aurai pas le même goût de fromage, c’est sûr». L’alimentation de la vache a un impact sur la qualité nutritionnelle du lait, «cela fait varier le gras, la protéine, l’acidité, et donc ça fait varier le lait en cuve», raconte Alexis Masson.
Agir vite
Une problématique à laquelle le syndicat de l’AOP est très attentive. «On veut s’assurer que tous les jours de l’année, la vache qui produit du lait pour l’AOP, elle ait une part d’aliment provenant de la zone d’appellation», assure Hubert Dubien, qui veut rester «extrêmement vigilant» sur les demandes de dérogation.
Diluer les aliments achetés à l’extérieur permettra de sauvegarder l’authenticité. «Il faut donc réagir très vite », implore le président du syndicat. Si la demande de dérogation est acceptée trop tardivement, les agriculteurs seront dans l’impasse. «Parce que si on se retrouve au mois de février ou mars avec uniquement des aliments extérieurs, ce n’est pas bon».
Et pour s'adapter au changement climatique, les agriculteurs de l'AOP explorent toutes les pistes. Ils étudient par exemple de nouvelles variétés d’herbes, des pâtures plus résistantes aux conditions climatiques. «S’adapter ne se fait pas du jour au lendemain».