Karim*, étudiant médecin algérien, travaille en France depuis 2015. En juin dernier, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) lui a été adressée par la Préfecture du Rhône, puis annulée par la justice en septembre. Le médecin attend son titre de séjour, sans quoi il ne peut retourner à l’hôpital de Saint-Etienne. Une enquête révélée par Mediapart.
Voilà quatre mois que Karim* n’a pas pu retrouver ses patients du Centre Hospitalier universitaire de Saint-Etienne (Loire). Ce médecin, diplômé en Algérie en 2014, est venu parfaire ses connaissances en France. Depuis sept ans, il étudie l'oncologie, c'est-à-dire le traitement des cancers, à l’université et exerce en parallèle à l’hôpital sous le statut d'interne (médecin faisant fonction d'interne (FFI)).
Chaque année, depuis 2015, son titre de séjour a été renouvelé sous le statut d’étudiant…sauf en juin dernier. La Préfecture du Rhône lui a même adressé une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une situation ubuesque en pleine crise du personnel soignant, que révèle Mediapart, dans son enquête du jeudi 3 novembre.
Deux mois pour délivrer un titre de séjour
L'OQTF, délivrée par la Préfecture du Rhône, a été annulée par le tribunal administratif de Lyon en septembre dernier. Une décision prise compte tenu du "caractère sérieux de ses études" et de "la cohérence de son cursus avec son projet professionnel". Karim* a en effet obtenu six diplômes depuis 2015.
Dans son délibéré que nous avons pu consulter, le tribunal administratif écrit : "il est enjoint au Préfet du Rhône de délivrer à [M. X] un certificat de résidence portant la mention "étudiant" dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt". En outre, la justice requiert à l'Etat de verser "une somme de 1000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative".
L'autorité préfectorale aura donc jusqu'au 20 novembre pour délivrer le titre de séjour de Karim*. Des papiers sans lesquels ce médecin faisant fonction d'interne (FFI) ne peut exercer. Il les attend d'ailleurs toujours. Et l’hôpital de Saint-Etienne aussi.
"Son absence pénalise l'équipe médicale"
Au service oncologie, dans lequel exerçait l’interne, son absence se fait ressentir. Pire encore, elle aurait même précipité la fermeture de neuf lits, d’après Mediapart. Dans un document destiné au tribunal administratif, récupéré par nos confrères, le chef de service au CHU avait même indiqué que "la suspension brutale de son activité (...) ne permet plus d’assurer correctement la sécurité des patients hospitalisés et la continuité des soins, d’autant plus que la période actuelle est très difficile et qu’il est impossible de recruter un médecin remplaçant rapidement"
Nous ne souhaitons pas nous exprimer sur la situation individuelle du médecin, mais son absence pénalise l'équipe médicale. Une équipe qui attend son retour le plus rapidement possible.
Direction du CHU de Saint-Etienneà France 3 Rhône-Alpes
Contacté par France 3, le CHU ne veut pas s'étendre davantage sur la situation. La direction déclare : "Nous ne souhaitons pas nous exprimer sur la situation individuelle du médecin, mais son absence pénalise l'équipe médicale. Une équipe qui attend son retour le plus rapidement possible."
"Multiplier les OQTF"
Maître Youcef Idchar, avocat du médecin, n’a pas voulu s'exprimer à nouveau sur ce dossier. "Mon client n’a pas encore réussi à récupérer son titre et ne souhaite pas que cette affaire puisse nuire au CHU qui a déjà été sollicité à de nombreuses reprises (sans faire de commentaire)", écrit-t-il, dans un mail, sans donner suite à nos sollicitations.
A nos confrères de Mediapart, le défenseur évoque un contexte de "politique migratoire qui s’est crispée dans l’objectif de faire du chiffre et de multiplier les OQTF", et un "traitement à la chaîne" des dossiers, qui pourraient expliquer la décision de la Préfecture du Rhône.
Karim* a sollicité l'aide du député de LREM de la Loire, Quentin Bataillon, qui a pu l'accompagner dans ses démarches. A travers cette erreur préfectorale, c'est en effet la population du département qu'il représente qui a pu être pénalisée. L'élu explique : "C'est sûr qu'on a des services en tension, et ce médecin était vraiment apprécié pour ses compétences; pour ses qualités, son professionnalisme". Le député suit de près l'affaire depuis plusieurs mois, "un cas très particulier". Plus que les conséquences sur le CHU, Quentin Bataillon aimerait surtout que la situation individuelle de Karim soit prise en compte. "Sa situation est humainement difficile. Lui a été mis de côté pour une erreur administrative. C'est quatre mois sans travail, sans salaire. Il souhaite, en plus, garder l'anonymat pour qu'il n'y ait pas de répercussions sur le CHU. Et je trouve son attitude remarquable."
*Karim est un nom d'emprunt