Depuis plusieurs mois, le Réseau éducation sans frontières de la Somme alerte sur la situation des familles qui dorment dans la rue. Les femmes seules avec enfants sont nombreuses et cherchent par tous les moyens un abri. Nicky, congolaise, a accepté de nous raconter ses conditions de vie.
Comme tous les jours depuis deux ans, Nicky passe ses soirées et parfois ses nuits à la gare. Avec ses trois enfants de 17 ans, 9 ans et 4 ans, elle cherche un peu de chaleur en attendant un appel du 115.
Une vie à la rue
Cette famille congolaise, déboutée du droit d’asile en 2023, est à la rue, sans hébergement. Parfois, les services de l’État la logent, une semaine, mais le plus souvent, c’est dans la rue que Nicky et ses enfants passent la nuit. "Certains compatriotes nous aident. La nuit dernière, une amie, dans la même situation que moi, mais hébergée dans un foyer, a profité que l’assistante sociale soit absente pour m’accueillir dans son logement, mais c’est interdit", explique la mère de famille.
Arrivée vers 23h dans le logement, la famille doit ensuite quitter les lieux tôt le matin. Nicky accompagne alors ses enfants à l’école, à Étouvie. "Les enfants sont très fatigués. La maîtresse de mon petit a constaté qu’il était toujours malade. Hier, je suis allée à l’hôpital avec lui. Le médecin m’a dit que son état de santé ne pouvait pas s’améliorer s’il restait à la rue. Il faut qu’il soit au chaud."
La journée, Nicky se rend à La Pause, un lieu d’accueil de jour pour femmes seules ou avec enfants, géré par l’association Agena. "J’arrive le matin pour me réchauffer et j’y reste jusqu’à 17h pour aller récupérer mes enfants à l’école. Puis, on va à la gare où ils essaient de faire leurs devoirs. Et puis, ça recommence. J’appelle le 115, à nouveau, dès le matin et jusqu’à 23 heures." Une vie d'errance pour cette femme qui a dû quitter la République démocratique du Congo après des menaces de morts. "Mon fils de 9 ans pleure tous les jours parce qu’il ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas hébergés. Le 115 héberge des familles, des couples sans enfants. Comment peuvent-ils laisser un enfant de 4 ans dormir dans le froid ?"
Plusieurs familles en attente d'hébergement d'urgence
La situation de Nicky n’est pas isolée. Louis Patoor, membre du collectif Réseau éducation sans frontières de la Somme, l’observe depuis plusieurs mois. Devant l’ampleur du phénomène, il a décidé de faire des maraudes à la gare chaque soir, dès 22h, pour rencontrer les personnes à la rue. "En général, ce sont deux familles avec mères et enfants qui viennent à la gare pour se réchauffer et attendre une réponse pour un logement d’urgence. Je signale systématiquement ces situations au 115 et s’il n’y a pas de place d’hébergement, j'appelle le numéro d’astreinte de la préfecture."
Ce jeudi 14 novembre, à la gare, Louis a repéré deux mamans avec cinq enfants. "Elles attendent dans le hall de la gare jusqu’à ce que les portes ferment et que le gardien les mette dehors, entre 21h et 23h30. Elles se déplacent ensuite à l’extérieur, sur des bancs." Le plus souvent, le 115 accorde une place pour une famille, mais pour la seconde, ce sont les membres du collectif RESF qui se chargent de son hébergement, à l’hôtel ou grâce à la solidarité citoyenne.
"Chaque soir, cela se répète. Des personnes se retrouvent sans abri et nous sollicitent pour leur venir en aide, parfois tard dans la nuit. Les enfants sont épuisés par ces longues soirées d’attente à la gare alors qu’ils vont à l’école tôt le lendemain. Nous ne pouvons nous résoudre à les abandonner aux dangers de la rue", explique RESF Somme.
Le plus souvent, ces dernières semaines, Louis Patoor avance les frais d’hôtel pour les familles et ce sont les dons du collectif et parfois les propres deniers des militants qui permettent aux familles de dormir au chaud. RESF tente de pallier le manque d’hébergement environ un jour sur deux depuis le début de l’été 2024 et alerte la préfecture sur son devoir "d’assurer un toit à chacun". Selon de nombreux bénévoles régulièrement présents sur le terrain et en contact avec les familles, 60 % des personnes à la rue sont des enfants, à Amiens et ailleurs, dans d’autres villes françaises.
Des hébergements d'urgence insuffisants dans la Somme
Sollicitée sur l’hébergement d’urgence, la préfecture de la Somme répond : "À partir du 1er novembre 2024, 50 places supplémentaires [sont] dédiées à la période hivernale [à Amiens]. Dix places de mise à l’abri pour un public hommes à La Passerelle, vingt places pour un public hommes ou femmes à la Croix-Rouge et vingt places supplémentaires à la halte de nuit d’Avenir pour un public famille." Elle annonce également 50 places disponibles dès le mois de janvier 2025.
Mais, selon les membres de RESF, la situation ne s’est pas améliorée depuis le 1er novembre. Sybille Luperce, membre de RESF 80, constate une augmentation des familles à la rue depuis cette date. "Le flux est variable selon les périodes, mais, depuis quinze jours, je suis quotidiennement en contact avec quatre familles sans solution, dont deux mamans isolées. De toute évidence, il n’y a pas suffisamment de places d’hébergement."
Ce vendredi 15 novembre, RESF 80 appelle à un rassemblement, à 19h, devant la maison de la culture, à Amiens, pour demander la mise à disposition immédiate de places d’hébergement.