Radins, chauvins, paumés au milieu de nulle part. Les Auvergnats ont leur lot de clichés comme toutes les régions de France. Et si ces clichés sur les Puy dômois, les Bourbonnais, les Cantalous et les Altiligériens, avaient une histoire, une justification ou étaient simplement faux.
Délocalisée en Auvergne depuis quatre ans, je suis arrivée à Clermont-Ferrand, avec mes préjugés. Les Auvergnats sont près de leur sou, on mange de la truffade en hiver comme en été, l'Auvergne est inaccessible et loin de tout... Les clichés ont la vie dure. Finalement pourquoi autant de stéréotypes sur le pays des volcans ? Sont-ils justifiés ? Et d'où viennent-ils réellement ces lieux communs ?
Pour un Auvergnat, "un sou est un sou" ?
Dans le dictionnaire de l'argot parisien, "faire l'Auvergnat" signifie "être radin, avare". L'avarice des Auvergnats est légendaire, mais s'explique à travers l'histoire, à l'époque des fameux "bougnats" (diminutif de charbonnier et Auvergnat, "charbougnat" en patois), comme on les appelle. Les Auvergnats de Paris ont immigré dans la capitale dès le 19ème siècle avec la crise agricole pour devenir essentiellement porteurs de charbon. Ils montaient le charbon dans les immeubles des riches parisiens. Longtemps au bas de l'échelle sociale, ils deviennent petit à petit les tenanciers de brasseries parisiennes. L'Institut national de l'audiovisuel retrace le parcours et l'histoire d'un Auvergnat à Paris."Les Auvergnats sont d'anciens pauvres parce que la région était pauvre et enclavée, le climat y était difficile, raconte Anne-Sophie Simonet, présidente de l'association Amis du Vieux Clermont. En fait, ils sont économes et ils ont peur du lendemain. C'est un natalisme. Aujourd'hui, c'est devenu un folklore".
En 2016, ils seraient au moins 500 000 Auvergnats à être encore à Paris et dans la région parisienne. Aujourd'hui, ils possèdent encore la moitié des brasseries et restaurants parisiens. Même si les jeunes générations font des études supérieures et délaissent ce métier pénible, parfois peu sûr et moins profitable (notamment à cause de la baisse de consommation de tabac).
Alexandre Vialatte est un écrivain du 20ème siècle, de souche auvergnate, dans la région d'Ambert plus exactement. Il aime se moquer gentiment, mais fréquemment de sa région dans "L'Auvergne absolue", un livre qu'il écrit en 1963.
"L'Auvergne est un pays où l'argent coûte cher (...) L'Auvergnat est resté longtemps un gagne-petit. Il devait s'arranger pour vivre sur sa terre n'achetait au-dehors que le fer et le sel. On prospérait en n'achetant pas. D'où l'habitude de marchander : tout est trop cher".
Les temps ont changé depuis, mais les lieux communs perdurent à travers les générations. Les clichés sont ancrés sur toute la France. Pour se défendre les Auvergnats ont pratiqué la solidarité régionale, l'autodérision, et eux-aussi portent un regard sur les autres régions françaises, comme en atteste la carte ci-dessous, toujours avec de l'humour.Cette avarice qu'on reproche à l'Auvergnat est méfiance, prévoyance, plus que sécheresse de cœur
Charles Thiallier est Auvergnat, né à Pontaumur. À 27 ans, il a lui aussi fait l'objet de nombreux clichés. Pour lui, la radinerie auvergnate n'est qu'un mythe : "je ne suis pas certain que ce soit vrai pour ma génération. Radin pour moi, c'est vraiment ne jamais dépenser son argent, ne jamais offrir un verre à quelqu'un par exemple. Et de mon expérience en Auvergne, j'ai plus l'impression que les gens sont généreux".
La générosité. C'est un caractère qui définit aussi un Auvergnat : vous serez toujours bien reçu et on fera toujours tout pour que vous ne partiez pas avec la faim lors d'un repas. Alexandre Vialatte proclamait :
Le chanteur français, George Brassens, a chanté lui-même la générosité des Auvergnats :Rien ne surpasse l'avarice d'un Auvergnat, si ce n'est... sa générosité.
"Elle est à toi, cette chanson,
Toi, l'Auvergnat qui, sans façon,
M'as donné quatre bouts de bois
Quand, dans mavie, il faisait froid.
Toi qui m'as donné du feu
Quand les croquantes et les croquants,
Tous les gens bien intentionnés
M'avaient fermé la porte au nez..."
Il n'aime juste pas gaspiller... Une qualité, à une époque où le zéro déchet est devenu important pour la sauvegarde de la planète.
"Les Auvergnats ne sont pas accueillants" ?
Il faut juste faire ses preuves quand on arrive en Auvergne, il faut un temps d'adaptation. Pour être admis, ne venez pas avec vos gros sabots et de l'arrogance. "C'est comme les Corses et les Basques. Ce sont des régions de montagnes et la géographie commande l'histoire. L'Auvergnat est méfiant et il a peur de perdre. Humble, méfiant, c'est lié à un héritage naturelle.", évoque Anne-Sophie Simonet, auvergnate de naissance.Pour Charles Thiallier, notre jeune Auvergnat, il faut savoir être discret, modeste, ne pas trop parler de soi et surtout ne pas prendre les gens de haut. Pour lui, il y a une personne qui rassemble toutes ces qualités : l'ancien joueur de rugby de l'ASM, Aurélien Rougerie.“Pour moi, c'est un peu l’archétype de l'Auvergnat "parfait". Ça a été un grand joueur, il a été en équipe de France. Il aurait pu sans doute partir ailleurs pour beaucoup plus d'argent. Mais il est toujours resté fidèle. En plus, il a le petit accent. Il représente bien ce qu'est l'Auvergne”.
Attention il faut aussi adopter un certain parler auvergnat, notamment l'emploi des "y" ! Alors "Faites-y" et testez ensuite vos connaissance sur les expressions auvergnates.
Chaque région n'est pas acceptée de la même manière comme certains s'en amusent. Le groupe Front de libération Auvergnat, organisation qui milite pour l'indépendance de l'Auvergne, s'en ait justement amusé dans une vidéo détournée d'un épisode de la chaîne de télévision américaine axée sur l'humour et le rire, Comedy Central. Et surtout, comme en Corse, ne dites pas tout de suite que vous venez de Paris ou de la région parisienne.
"L'Auvergne est loin de tout" ?
Qui n'a pas déjà entendu "l'Auvergne est loin et perdue au milieu de nulle part" ? Ou pire : "c'est où l'Auvergne ?" Pourtant, lorsque vous y êtes, vous vous trouvez géographiquement au centre de la France. Mais encore une fois, historiquement, la situation géographique n'a pas toujours été un avantage."Il y avait une économie très autarcique. L'Auvergne est devenue isolée au moment de l'industrialisation, car son relief n'était pas facile d'accès pour les machines", explique Anne-Sophie Simonet.
Aujourd'hui encore, depuis la fusion des régions en 2015, un sentiment d'abandon et d'un retour à l'enclavement traverse l'Auvergne . "C'est très néfaste pour la région, on revient à un sentiment d'abandon, d'oubli, l'Auvergne est une banlieue, mais qui n'est pas dans les radars de la grande région", continue la présidente de l'association Amis du vieux Clermont.
Les jeunes générations portent un autre regard sur ce cliché. Charles Thiallier, justement, a souvent été confronté à ce stéréotype de vivre au milieu de nulle part et ne comprenait pas toujours cette réflexion. "Maintenant, je peux le comprendre : on est en plein milieu de la France, et il n'y a pas de TGV. Mais finalement, je n'aimerais pas voir des centaines de touristes dans les volcans tous les jours, ou que la place de jaude soit pleine de monde (sauf pour la victoire de l'ASM en Top 14)".Je trouve que la tranquillité, la nature, cet aspect un peu sauvage, c'est ce qui rend la région spéciale, et un peu unique
Sur la ligne TGV, l'humoriste Fabrice Eboué a lui aussi ironisé sur la liaison SNCF Clermont-Ferrand/Paris.
"Auvergnat un jour, Auvergnat toujours" ?
Pour connaître la région et comprendre ce qui fait la spécificité de l'Auvergne, rien de mieux qu'un stage d'immersion. Lorsqu'on a commencé à parcourir les quatre départements auvergnats, il est difficile d'en sortir, et ce n'est pas dû au manque de transports. Il faut déjà observer les habitants eux-mêmes : ceux qui partent, reviennent toujours. Charles Thiallier, en l'occurrence, est parti pour son travail. Mais comme ses ancêtres : "je me vois bien revenir. Ca me manque, les Volcans, la nature, les loyers pas très chers, c'est quand même agréable. Avoir autant de nature à côté d'une ville, c'est un luxe, je trouve".
"Tous les Auvergnats grandissent un peu de la même façon : je simplifie, mais en gros, tu manges de la truffade, tu sors dans les volcans, tu regardes l'ASM. Quand je rencontre des Auvergnats en dehors de l'Auvergne c'est quasiment à chaque fois les premiers sujets de conversation", continue Charles Thiallier.
Pour Anne-Sophie Simonet, cet attachement qui pourrait être assimilé à du chauvinisme, "c'est la solidarité, on est attachés à la terre parce qu'elle est ingrate. On l'aime d'autant plus parce qu'elle est dure. Moi, je suis née à Clermont-Ferrand, j'ai fait mes études ici, je travaille ici, mais je me sens surtout et avant tout Auvergnate, au sens tribal : les Arvernes".
Dans le Cantal, on porte aussi fièrement les couleurs du département... à travers le monde ! Le rectangle rouge a fleuri un peu partout, sur les tee-shirts ou encore les plaques d'immatriculation.
Finalement, l'Auvergne est une région où il fait bon vivre, mais c'est un secret bien gardé par ses habitants. Une région d'irréductibles qui résistent encore et toujours à l'envahisseur du reste de la France. Et aujourd'hui, je suis moi aussi rassurée lorsque j'aperçois le Puy-de-Dôme au loin. Je suis enfin en Auvergne.