ALIMENTATION. Les insectes pourraient-ils remplacer le steak dans nos assiettes ?

De plus en plus de fermes d’un genre nouveau voient le jour en France : des fermes d’insectes. Sources de protéines dont l’élevage semble moins néfaste pour l’environnement, les insectes pourraient-ils vraiment remplacer la viande ? Un expert en nutrition humaine nous apporte des éléments de réponse.

Petite taille, mais grand intérêt : les insectes pourraient bientôt faire une arrivée en force dans nos assiettes. Les fermes d’insectes se multiplient en France, marqueur d’un intérêt grandissant pour ce nouveau produit. Un intérêt confirmé par Didier Rémond, chercheur en nutrition humaine à l’INRAE de Clermont-Ferrand : “Ces dernières années, il y a eu beaucoup de travaux qui ont été réalisés pour caractériser cette valeur nutritionnelle, que ce soit l’apport en protéines, en lipides...” L'origine de l'intérêt pour les insectes vient d’abord de leur apport en protéines. "Quels que soient leur famille et leur stade de développement, ils sont assez riches en protéines. Dans le contexte actuel mondial, où on dit qu’on risque probablement de manquer de protéines pour alimenter une population mondiale croissante, c'est une alternative plutôt intéressante. Beaucoup de travaux se sont intéressés à caractériser la qualité nutritionnelle des protéines des insectes. Les insectes sont des animaux, ce sont donc des protéines d'origine animale. En général, elles sont plutôt de bonne qualité" , explique Didier Rémond. 

Des protéines "disponibles"

La concentration en protéines n’est pas une donnée suffisante. Il faut ensuite s’intéresser à la possibilité pour le corps humain d’assimiler et digérer ces protéines. “La capacité qu'a la protéine alimentaire à couvrir nos besoins en acides aminés, les acides aminés étant les constituants des protéines, tient à 2 choses.
D’abord, à l'intérieur de la protéine, le pourcentage d'acides aminés dits “indispensables”. Ce sont les acides aminés que notre corps ne peut pas synthétiser et qu'on doit trouver dans l'alimentation. La proportion est variable selon le type de protéines et leur source. Dans le cas des insectes, l'équilibre en acides aminés indispensables est plutôt satisfaisant. Il n’y a pas beaucoup d'acides aminés qui sont limitants par rapport à nos besoins. Peut-être que les acides aminés soufrés seraient, dans certains cas, les plus limitants. Le 2e point qui est intéressant, c'est qu'il ne suffit pas qu'il y ait des protéines et des acides aminés dans les aliments, il faut en plus que ce soit disponible et digestible"
, précise Didier Rémond. 

Une nourriture digeste

Se nourrir d’insectes pose de nombreuses interrogations car ceux-ci n'étaient pas des sources protéiques beaucoup étudiées jusqu'alors dans les pays occidentaux. Par conséquent, jusqu’à récemment, il y avait peu de données disponibles dans la littérature scientifique sur la digestibilité de ces insectes. "Pour l’instant, on trouve quand même une assez bonne digestibilité des protéines des insectes. Ça va dépendre beaucoup du stade de développement.

Dans le cas des larves, on va avoir en général des aliments qui sont très bien digérés. Quand on est sur le stade adulte, par exemple les criquets, on rapporte une digestibilité un petit peu plus faible, mais ce n'est pas dramatique non plus. Si on se réfère à ces deux aspects-là, composition en acides aminés et digestibilité, les premières études montrent que ce sont plutôt des protéines de bonne qualité" , raconte Didier Rémond. 

"Pour avoir le même apport, il faudrait manger plus d'insectes"

Ces études montrent cependant que pour obtenir la même quantité de protéines que celle apportée par la viande, il faudrait manger une quantité plus importante d’insectes, selon Didier Rémond : “Il y a quand même plus de protéines dans les viandes, quand on se réfère à la matière sèche. Dans les insectes, la matière va être essentiellement sèche, alors que dans les muscles, il y a quand même beaucoup d'eau. Quand on se réfère à la matière sèche, il y a plus de protéines dans les viandes. Pour avoir le même apport, il faudrait manger plus d'insectes.

En revanche, dans les insectes, il n'y a pas que des protéines. Il y a aussi une part assez importante et variable de matière grasse, alors que dans les viandes, surtout les viandes qu'on trouve en Europe, la teneur en matière grasse est plutôt faible. On a des teneurs entre 5 et 15% alors que la teneur en matière grasse des insectes va plutôt varier entre 10 et 30%”.  

Des freins à la consommation

Dans les pays européens, il n’y a que 3 sources d'insectes autorisées par les agences et commercialisables : le grillon, le criquet migrateur et le ver de farine. Mais l'entomophagie, dans les pays où elle est une pratique culturelle, induit aussi la consommation de scarabées ou même d'insectes volants comme les abeilles. “En Europe, on cible certaines espèces qui vont avoir un intérêt particulier pour leur capacité à être transformées. Un des freins importants à la consommation des insectes, en Europe, est qu'on n'y est pas habitués. La plupart des gens, quand on leur présente une assiette avec des criquets à l'intérieur, vont avoir un frein assez important à les consommer comme ça. Le goût n'est pas forcément extraordinaire. Une des parades est d'en faire de la farine. Cette farine-là, ensuite, peut être utilisée dans n'importe quel aliment. Je ne sais pas si, à l'heure actuelle, il y en a déjà qui sont commercialisées mais c'est probable. On peut l'utiliser à l'intérieur d'aliments en tant que source de protéines” , explique Didier Rémond.

Mais les protéines ne sont pas la seule valeur nutritionnelle des insectes : “Les insectes ont une part de fibres assez intéressante. La part des acides gras saturés est un peu moins importante, il y a plutôt des mono-insaturés, des poly-insaturés, c'est intéressant pour la santé.”  

Des protéines, est-ce suffisant ?

Mais alors, ces insectes pourraient-ils remplacer les steaks ? “Non” , prévoit Didier Rémond, “parce qu'il faudrait avoir des productions à très grosse échelle et il y a quand même des inconnues. On nous vante beaucoup la production d'insectes pour leur moindre impact environnemental, mais ça reste de la production industrielle et à très grande échelle, je ne suis pas sûr qu'on dresse le même bilan.” Ce n’est pas la seule raison.

Pour lui, d’autres apports nutritionnels manquent à l’appel : “Un des principaux intérêts de la viande, c'est effectivement son apport en protéines, mais il y a aussi son apport en vitamines, notamment en vitamine B12 ou encore son apport en fer biodisponible.
Si on regarde dans les insectes, globalement, la vitamine B12, ça va être très variable en fonction des espèces, mais on en trouve en quantité assez satisfaisante, donc on pourrait dire "Pourquoi pas ?"
Si on regarde le fer, c'est pareil, c'est très variable en fonction des espèces. On manque de données, mais je pense que la biodisponibilité est beaucoup moins élevée que ce qu'on peut observer dans le cadre de la viande. Sur ces deux aspects-là, je pense que ça peut être limitant et je pense que là aussi, on rencontrera les freins très sérieux au niveau de la population.”
 

Un apport "complémentaire"

Mais pour lui, remplacer totalement la viande n’est non seulement pas possible, mais pas souhaitable : “On ne voit pas bien quel est l'intérêt. On se rend compte que, par exemple, on ne pourra pas se passer d'élevage parce que si on se passe d'élevage, le paysage serait complètement chamboulé. On se priverait surtout d'une source de protéines immense, toutes les protéines qu'on va retrouver dans les fourrages qui ne sont consommés que par les animaux ruminants. En revanche, un apport complémentaire, oui, pourquoi pas. Si les insectes pouvaient remplacer 10% ou 20% dans notre consommation de produits carnés, ce serait déjà beaucoup. Ça pose quand même le problème de l'acceptabilité. Pour l'instant je pense que si vous réalisez un test au niveau des consommateurs, il n'y aura pas photo. La plupart vont quand même préférer manger un bon morceau de viande qu'aller consommer une assiette de grillons.”  

Sur les aspects sanitaires, il y a pas mal de voiles à lever sur ces produits-là.

Didier Rémond, spécialiste en nutrition humaine

De plus, avant de populariser la consommation d’insectes pour les humains, des précautions sanitaires doivent être prises : “Si on veut être efficace dans la production de ces animaux, ça serait en leur faisant consommer les résidus de l'agroalimentaire, tout ce qu'on ne peut pas manger. On pourrait par exemple les élever sur des déchets, mais ça pose le problème des aspects sanitaires, avec des possibles transmissions de contaminants. Comme tous les animaux, ce sont des accumulateurs. Ce que vous leur faites manger, vous allez le retrouver à l'intérieur. Sans compter que ce sont aussi des vecteurs de maladie, de virus” , alerte Didier Rémond. 

Des sources alternatives de protéines

Malgré ces contraintes, il est probable que les insectes fassent prochainement leur apparition dans les assiettes, venant compléter notre alimentation. D’autres pistes sont également explorées pour venir compléter les apports en protéines de la viande : “C'est une des sources probables qu'on va voir arriver petit à petit, un aliment parmi d'autres, mais vous avez d'autres sources alternatives de protéines qui se développent.

On entend beaucoup parler des algues, on entend parler des protéines de champignons, sans compter les protéines végétales bien entendu. Il y a plein d'alternatives qui vont arriver. À mon avis on arrivera à couvrir les besoins en protéines de la population dans les années à venir. Il n’y a pas de compétition, il y a de place pour tous ces aliments. C'est la combinaison de tout ça qui fera qu’on pourra y arriver.”

Une production de plus en plus importante

Didier Rémond pense que la consommation d’insectes va dans le sens de l’histoire : “Il y a de plus en plus de fermes d'insectes qui se constituent. Pour l'instant, le plus gros du marché, ça reste quand même de la production pour les élevages, pour l'élevage piscicole, pour l'élevage de volailles... En nutrition humaine, pour l'instant, le marché est encore assez limité. Je pense qu'il y a tout à fait une carte à jouer.”

D'ici à 2030 ou 2040, la production de protéines d'insectes pourrait avoisiner les 500 000 tonnes voire plus, anticipe Hélène Ziv, la directrice de l'approvisionnement et de la gestion des risques pour l'activité Cargill Nutrition animale, auprès de nos confrères des Echos.

Découvrez dans "l'info en plus Climat une usine du Puy-de-Dôme qui fabrique des aliments pour animaux à base d'insectes et qui ne compte pas s'arrêter là. La nourriture pour les humains est un axe de développement fort.

"L'info en plus climat" une émission à retrouver en replay sur France.tv

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