Après l’adoption de la motion de censure, Michel Barnier a remis la démission de son gouvernement à Emmanuel Macron ce jeudi 5 décembre. Cette censure plonge le pays dans l’incertitude. Pierre-Nicolas Baudot, chercheur contractuel au CNRS, ancien enseignant à l’Université Clermont Auvergne, nous donne quelques clés pour analyser cette situation politique.
Mercredi 4 décembre, 331 voix ont suffi pour faire tomber le gouvernement Barnier. Une première depuis 1962. Ce jeudi 5 décembre, Emmanuel doit s’exprimer à 20 heures à la télévision. Pierre-Nicolas Baudot, chercheur contractuel au CNRS, ancien enseignant à l’Université Clermont Auvergne, nous donne quelques clés pour analyser cette situation politique.
Depuis l’adoption de la motion de censure est-on entré dans une importante zone de turbulences ou est-ce un euphémisme ?
Pierre-Nicolas Baudot : “On peut parler de crise politique durable. C’est un fait historique, c’est la première fois depuis 1962 que le gouvernement est renversé. On a assez peu de perspectives pour la suite. Si on compare à 1962, le général De Gaulle avait pu dissoudre l’Assemblée nationale et redonner une légitimité politique à Georges Pompidou qu’il avait renommé. Là, Emmanuel Macron ne peut pas le faire. On a très peu de perspectives sur les jours à venir, sur le vote du budget mais plus largement sur la composition du gouvernement et sur les alliances qui vont pouvoir être faites”.
Vous parlez de crise politique. N’est-ce pas une crise de régime ?
Pierre-Nicolas Baudot : “Les deux fonctionnent ensemble. La crise politique à laquelle on assiste depuis la dissolution au mois de juin dernier repose sur les difficultés et les impasses de la Ve République, et notamment les rapports du Parlement avec le président. On s’est retrouvé avec une chambre où il n’y avait pas de majorité absolue, ce qui est un point aveugle dans le fonctionnement de la Ve République, fondée sur la place du président. On a un appel à des pratiques parlementaires avec un parlementarisme très faible. La crise politique que l’on traverse est le résultat mécanique d’une crise de système plus large”.
Est-ce que la nomination d’un nouveau Premier ministre va tout résoudre ?
Pierre-Nicolas Baudot : “Probablement pas. Pour Emmanuel Macron, l’équation est de trouver un Premier ministre qui puisse avoir une majorité. Or, l’Assemblée nationale est dans un tel état qu’on a du mal à imaginer une coalition. Il cherche probablement une figure alternative à celle de Michel Barnier. Il peut essayer de matérialiser des proximités entre le socle commun et l’extrême droite et chercher une figure intermédiaire que ne censureraient ni les Macronistes ni le RN, par exemple, avec Bruno Retailleau. Mais il faudrait encore une fois faire des comptes d’apothicaire pour voir, député après député, si cette majorité tient. Dans tous les cas, il n’y a pas subitement une incarnation qui pourrait trouver un compromis. L’autre alternative est celle d’un gouvernement technique, avec une figure relativement consensuelle. Mais très vite, on arrive à une impasse là-aussi. En réalité, quels sont les sujets sur lesquels les différents groupes politiques pourraient s’entendre ? Sur la question de la réforme des retraites, du chômage, du budget, il y a des différences fondamentales entre les groupes politiques”.
Par la suite, quels rôles vont jouer le Rassemblement National et le Nouveau Front Populaire ?
Pierre-Nicolas Baudot : “Ils ont été et ils peuvent encore être des arbitres du maintien ou non d’un gouvernement. Pour le RN, la question se pose peut-être de manière encore plus pertinente car la censure a été une relative surprise. On n’avait aucune garantie du fait qu’ils allaient jouer ce rôle-là car les députés étaient plutôt conciliants avec le gouvernement jusqu’à présent. Ils sont plutôt en position de force car ils ont un rôle pivot. Les députés du RN sont les faiseurs de roi dans cet hémicycle. Ils peuvent se servir de cela comme moyen de pression pour faire avancer leurs idées. Les députés du NFP ont appelé à la censure depuis le début. La question qui se pose est celle de l’unité du Nouveau front populaire car il y a des divisions très fortes entre la France insoumise qui veut pousser Emmanuel Macron à la démission, pour anticiper une élection présidentielle, et le Parti socialiste qui refuse cette option, qui a envie de se relégitimer comme parti, et qui aimerait avoir des fonctions au gouvernement”.
L’hypothèse de la démission d’Emmanuel Macron est-elle plausible ?
Pierre-Nicolas Baudot : “C’est dur à dire. A priori, il est difficile de croire à la démission d’Emmanuel Macron. Le président a lui-même évacué cette hypothèse. Mais la dissolution du mois de juin a été difficile à anticiper et pourtant, elle a eu lieu. Je ne suis pas dans la tête d’Emmanuel Macron. Mais une démission serait très surprenante. Il y a assez peu de chances que cela résolve quoi que ce soit par les difficultés liés au régime et à l’état de l’Assemblée perdureraient si on changeait de président”.
Emmanuel Macron est-il responsable de cette situation inédite ?
Pierre-Nicolas Baudot : “Oui, d’un point de vue pratique car il a dissous l’Assemblée dans un pays qui n’y était pas du tout préparé. De fait, cela a accouché d’une Assemblée ingouvernable, qui fait que les gouvernements ne peuvent pas se maintenir. Il doit sans doute regretter les gouvernements précédents qui avaient une majorité relative mais qui pouvaient, texte par texte, trouver des accords. Cette ingouvernabilité est liée à la dissolution mais plus largement, elle est liée à la Ve République, et aux difficultés du travail parlementaire”.
Cela signifie-t-il qu’il faudra revoir la Ve République ?
Pierre-Nicolas Baudot : “Cela fait partie des hypothèses les plus crédibles qui sont sur la table, une évolution de ce système. En effet, on est dans un fonctionnement très présidentialisé. Il a été mis en place en ayant en tête une Assemblée qui ait une majorité absolue, celle du président. Or, on constate depuis juin dernier que c’est impossible. Le régime dysfonctionne lorsqu’il n’y a pas de majorité absolue pour le gouvernement et le président”.