Coronavirus : le monde va-t-il changer à cause de la crise ?

Le 13 avril, Emmanuel Macron invitait les Français à  « sortir des sentiers battus, des idéologies » et les a encouragés à se « réinventer, (lui) le premier ». Le coronavirus, responsable d’une épidémie de Covid 19, sera-t-il aussi à l’origine d’un changement de notre société ?

Dans son garage de Romagnat (Puy-de-Dôme), Yann Vodable ressent une certaine fierté devant son imprimante 3D. Grâce à elle, et aux quatre autres prêtées par son établissement - le lycée Lafayette à Clermont-Ferrand – ce professeur de sciences industrielles a fabriqué des centaines de visières de protection. « J’en ai passé aux gendarmes à côté de chez moi, à l’Ehpad des Opalines, à des médecins généralistes et à la pharmacie » détaille l’enseignant. Il a aussi livré 700 visières au CHU. C’est sa contribution à la lutte contre la propagation du coronavirus SARS-CoV-2.

Depuis quelques jours, l’enseignant investit beaucoup de temps et d’efforts dans ce projet citoyen. Après l’avoir découvert sur les réseaux sociaux, il a œuvré à minimiser le plastique nécessaire à la fabrication de ces protections et à en réduire le temps d’impression. Il en est à la 19ème version du modèle, repris partout en France. Il dit même avoir reçu des appels d’industriels à la recherche de quelques conseils. La crise liée au nouveau coronavirus voit se multiplier les initiatives des particuliers et les élans de solidarité essaiment dans tout le pays.
  

Altruisme intéressé

C’est la première fois que l’enseignant participe à une telle démarche. « Le déclencheur, c’est un instinct de protection » explique-t-il. Quand il se lance, les masques manquent pour les professionnels de santé alors il décide de les aider.  « Je ne le fais pas par mission publique, je le fais par solidarité humaine. Je n’ai pas envie qu’ils soient malades parce que si je tombe malade, je n’ai pas envie qu’ils aient à choisir entre moi et ma mère parce qu’il manquera des soignants pour s’occuper de tout le monde ». Une forme d’altruisme intéressé reconnaît-il.

« Quand vous regardez dans les hôpitaux, dans les premiers jours, il y a eu une sorte d’engouement collectif où l’on a demandé à tous d’être héroïque. Mais après quatre semaines de confinement, il y a une sorte de normalité. Les craintes, les difficultés, au bout d’un moment reprennent le dessus parce qu’on ne peut pas être héroïque pendant des semaines » analyse Christophe Gobbé, sociologue et professeur à l’université Clermont Auvergne.

D’ailleurs, quand tout sera fini, Yann Vodable ne croit pas que la société aura changé. « On était dans un monde de confort et automatiquement on va vouloir y retourner. Dans un mois, ce sera oublié ».
   

Solidarité passagère

Lui-même dit ne pas vouloir s’engager au-delà de la crise. « Ca me prend beaucoup d’énergie. Ça fait deux semaines que je me couche à 2h du matin et que je me lève à 7h ». Alors après, « Je reprendrai ma vie normale : faire du sport, bricoler… profiter de mes enfants » confie-t-il. L’association avec laquelle il s’est engagé devrait être dissoute après l’épidémie. Ses fonds seront reversés à d’autres. A chacun sa part du boulot en somme.

« La clef de l’entraide durable, c’est la mise en relation, la création de liens » explique Christophhe Gobbé. Une fois revenu à une situation où l’on retrouvera famille et amis, les rencontres de circonstances pourraient donc être vite oubliées. « Les comportements sociaux sont quand même extrêmement ancrés dans des habitudes et extrêmement contraints par le milieu dans lequel on vit. Si on retombe dans les mêmes conditions de vie, on va retomber dans les mêmes  comportements » prévient le sociologue. Cela vaut pour notre quotidien comme pour notre économie.
   

Pas de changement majeur

« On est déjà sorti de crises précédentes en se disant que tout allait changer et rien n’a changé » acquiesce Claude Vincent, le président du Medef du Puy-de-Dôme. Et de prendre pour exemple la crise financière de 2008 qui n’a pas chamboulé les modèles établis.  Rien de nouveau sous le soleil ? « Si on prend la question du système de santé, ça fait quand même des années que les soignants lancent des alertes, illustre le sociologue Christophe Gobbé.  Le problème climatique est bien connu mais il n’y a pas de changement radical des comportements. Après l’épidémie, on peut très bien avoir un retour hédoniste et les belles préoccupations économiques ou écologiques vont retourner dans nos poches ».

 « Je ne vois pas de bouleversement, mais des évolutions sur des points de détails » prédit tout de même Claude Vincent. Le confinement a généralisé de nouveaux comportements comme le télétravail et les visioconférences. « Est-ce que ça vaut encore le coup pour une réunion de 2h du Medef à 150 personnes de monter à Paris ? » s’interroge le président Puy-dômois. « On a vu qu’on pouvait faire autrement et finalement ce n’est pas plus mal ».

Un changement des habitudes du monde professionnel salué aussi par le président du conseil départemental de l’Ardèche : « La crise montre qu’on peut travailler différemment. On n’est pas obligé d’aller au bureau tous les jours, de prendre sa voiture, de polluer… ». L’élu socialiste ne croit pas non plus en une révolution, mais il plaide pour un accompagnement des changements qui se sont révélés suite au confinement. « Les agriculteurs se sont organisés pour se regrouper et livrer les consommateurs. Ça peut rester. Il faut mettre les moyens à la relance pour conserver ses nouvelles solidarités sinon elles vont s’arrêter » prône Laurent Ughetto. Mise à disposition de locaux et aide à l’acquisition de véhicules frigorifiques font partie des mesures concrètes avancées pour pérenniser ces démarches.
   

Repenser l’économie

Avec 18 autres présidents socialistes de départements, Laurent Ughetto milite pour la création d’un revenu de base pour limiter les effets de la crise économique qui se dessine à la sortie du confinement. Il remplacerait les diverses aides versées aux allocataires. Tout le monde y aurait droit mais son montant serait dégressif en fonction des ressources de chacun. « L’idée c’est de ne pas relancer l’économie sur une forme qu’on avait avant mais plutôt d’aller vers une économie plus humaine. Le revenu de base est un pilier essentiel pour redistribuer la richesse. L’économie s’est arrêtée aujourd’hui avec beaucoup de chômage partiel. Mais il va y avoir de la casse et ça va déboucher sur du chômage réel » justifie-t-il.
Il prévoit une augmentation de 5 à 10% du nombre de bénéficiaires du RSA sur son territoire dans quelques semaines.

Du côté des entreprises, on mise toujours sur une relance de la croissance pour sauver l’économie. Le président du Medef du Puy-de-Dôme aimerait tout de même voir un virage s’opérer dans l’économie française. « J’espère qu’on va réindustrialiser la France parce qu’on se rend compte que c’est débile de dépendre de la Chine ou d’autres pays. C’est une évidence qu’on ne peut pas dépendre de la mondialisation. Mais pourquoi y est-on venu ? A partir du moment où on y aura répondu on sera capable d’en sortir ».

Pour le reste, le patron des patrons du Puy-de-Dôme pense que la crise n’est qu’un révélateur des changements de notre société. « Les réflexions avaient déjà commencé avant, notamment sur les questions d’écologie. La crise va sûrement accélérer les choses ». Un point de vue partagé par Laurent Ughetto. « On avait noté sur les questions alimentaires la volonté des habitants de bousculer les codes, d’aller vers plus de proximité. Avec la crise, la plupart des grandes surfaces se sont retournées vers le local. Elles s’approvisionnent plus chez les producteurs locaux ».

Le « plus » est à souligner. La crise ne ferait que renforcer des tendances déjà en cours dans notre société depuis quelques années. Iront-elles jusqu’au bout ? « Est-ce que les Français sont prêts à payer plus cher pour consommer français ? » s’interroge Claude Vincent.  « Je ne sais pas ce que sera la suite mais en tout cas la crise est un drame de notre système d’avant » affirme le président du conseil départemental de l’Ardèche. « Ce n’est pas la crise en soi qui mène à des changements. C’est ce qu’on en fait » résume le sociologue Christophe Gobbé.
Comme disait Gandhi « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde».
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