Avec une arrivée de l’extrême droite aux portes du pouvoir, une recomposition inédite du paysage politique et des élections législatives plus que décisives, peut-on faire le lien avec certains épisodes du passé politique français ? Selon Françoise Fernandez, historienne spécialiste du XXème siècle, l'analogie est possible mais a ses limites.
Un Front populaire, un parti d’extrême droite aux portes du pouvoir et des élections législatives décisives. Non, ce n’est pas le récit d’une période ancienne de l’Histoire de France. C’est bien le champ lexical qui occupe le paysage politique français depuis plusieurs semaines maintenant. Alors, l’Histoire se répète-t-elle ? Quelles similitudes avec le passé ? Françoise Fernandez, historienne, spécialiste du XXème et de la résistance en Auvergne, nous éclaire sur cette période “inédite” de l’Histoire de France.
“Pas le même contexte”
“Je crois que nous sommes à la fin d’une époque”, commence par analyser l’historienne. Selon Françoise Fernandez, “une étape de civilisation” a été franchie. Le contexte politique peut sembler inédit. En effet, l'historienne affirme que la France a connu “quelques précédents, mais rien d’équivalent”. Une différence qui s’explique par un contexte singulier : “Il ne nous faut pas toujours avoir le regard vers le rétroviseur. La crise des années 30 s’est nourrie d’un nationalisme exacerbé, d’une crise économique mondiale. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le même contexte. Il faut analyser avec beaucoup plus de prudence, de circonspection. On ne peut pas plaquer des schémas anciens sur des réalités nouvelles. L’extrême droite est arrivée au pouvoir, chez nous, au moment d’une grande défaite militaire, d’un grand désastre. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Actuellement, l’extrême droite est aux portes du pouvoir dans un contexte de crise de nos institutions démocratiques. Les citoyens ne se sentent plus représentés par ces dernières”.
Une constante : le désir de retour à l’ordre
L’historienne relève néanmoins une similitude avec le passé : la volonté du retour à l’ordre. “Dans les années 30, on avait un désordre, lié à la crise économique, équivalent avec les émeutes de l’an dernier ou durant les gilets jaunes, souligne-t-elle. On avait d’un côté des gens qui aspiraient à autre chose, et de l’autre des personnes qui voulaient un retour à l’ordre. Non pas de l'ordre républicain mais de l’ordre autoritaire. C’est constant. C’était cela dans l’Allemagne, l’Italie des années 20 et la France des années 30. Cette volonté d’ordre s’appuie sur des boucs émissaires. Et c’est souvent l’autre : le différent. Et on retrouve cela aujourd’hui”.
Françoise Fernandez décrit le RN comme un “héritier du Front national, fondé en 1972 par des nostalgiques de Vichy et de l’Algérie française". Ainsi, selon l’historienne, le parti s’inscrit "dans l'extrême droite française connue par le passé, façonnée par le nationalisme xénophobe, violent et méprisant à l’égard de la démocratie parlementaire”.
“On a failli dans le devoir de mémoire”
Aujourd’hui, en tant qu’historienne et conseillère scientifique pour le musée de la résistance du Mont-Mouchet en Haute-Loire, elle estime que le devoir de mémoire a quelque part failli. Elle explique : “À Oradour-sur-Glane, l’extrême droite a récolté plus de 40% des voix. En tant qu’historienne, j’ai l’impression que nous sommes dans une amnésie collective. Quand vous voulez alerter, vous passez pour un trouble-fête. On met sous le tapis ce qui dérange. Et à force de mettre sous le tapis cela, un beau jour la poussière sort et vous étouffe”.
Elle poursuit : “La France de Pétain, c’était il y a 80 ans. C’est une absence de culture historique dont nous sommes peut-être collectivement responsables. Cette Histoire ne parle plus aux gens. On a beau faire des documentaires pour expliquer que des partis politiques ont emmené des gens dans des camps de concentration, tout cela ne parle plus. L’Histoire devient un grand spectacle. La commémoration du Débarquement est devenue un grand spectacle festif. Les 80 ans de la Libération sont devenus un carnaval déguisé où l’on joue à la guéguerre. Par conséquent, il y a une banalisation de tout cela”.
Le 2 juillet 2024, un millier d’historiens ont appelé à voter contre le Rassemblement national dans une tribune publiée dans Le Monde. Frédéric Fernandez affirme soutenir la tribune.