Le givre, cette fine couche de glace se formant par temps brumeux, va être au centre de l’œuvre artistique de Sabine Mirlesse, au sommet du Puy de Dôme. Une exposition rendue possible grâce à la science.
Le givre est une affaire de famille pour Sabine Mirlesse. Elle en a fait l’objet artistique de sa prochaine installation éphémère, "Crystalline Thresholds, Les Portes de Givre", au sommet du Puy de Dôme. Une œuvre éphémère réalisée en collaboration avec l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand (OPGC).
Pendant le premier confinement, quand l’artiste franco-américaine a rangé la maison de sa grand-mère paternelle, en France, elle a fait une découverte. “Je suis tombée sur une boîte de pellicules anciennes. Et je savais que c'était à mon grand-père. Mais, il n’y avait pas beaucoup d'explications. C'était un peu un puzzle au départ. Et puis, j'ai trouvé une étude qui était publiée par le ministère de l'air sur le givre au sommet du Puy de Dôme en 1936, et signée par mon grand-père. Il était ingénieur.”
J’étais intriguée parce que ça rentre dans mon univers
Sabine Mirlesse, créatrice des 'Portes de givre'
Il était venu tester le givre sur les ailes des avions. Aujourd'hui encore, le lieu est utilisé par le chalet de l'OPGC, afin de tester la résistance des instruments et des capteurs aéroportés sur des nuages naturels. “Quand je regardais les pellicules, c'était des images parfois floues, parfois magnifiques avec les zooms sur les formations de givre. J’étais intriguée parce que ça rentrait dans mon univers.” Suite à cette découverte, l'idée a fusé dans la tête de l'artiste passionnée par les volcans. Refaire l'expérience familiale, dans le cadre d'une exposition.
"Pour aboutir aux portes de Givre, j'ai réfléchi un peu." Elle s'est interrogée sur sa fascination pour les volcans. "C’est cette idée du cœur invisible de la Terre qui devient visible" lors d'une éruption raconte-t-elle.
Pendant le deuxième confinement, elle a proposé son projet à Nathalie Huret, la directrice de l’observatoire du Globe de Clermont-Ferrand. Cette dernière a tout de suite été conquise. "C'est quelque chose d'étonnant. C'est culturel et scientifique" décrit-elle. "Sabine avait des photos très anciennes, ça intéressait les collègues. Ça matchait bien."
Après un appel à projet remporté auprès du ministère de la Culture, intitulé Mondes Nouveaux, lui permettant d'acquérir les moyens financiers du projet, et après l'obtention de l’accord du conseil départemental pour la mise en place des sept portes de givre, Sabine Mirlesse, s’est penchée sur la réalisation de l’ouvrage.
Pour la logistique, elle a reçu l'aide de l'observatoire de Clermont-Ferrand. “Tous les collègues sont montés avec elle. Ils ont testé les implantations. On a travaillé avec le bureau d'études”, afin de calculer les risques d’arrachement de la structure par les vents très forts qu’il peut y avoir au sommet. Il a également fait des calculs pour prévoir “la résistance du poids du givre” sur les portes.
Une installation mobilisant une fonderie auvergnate
L'aluminium recyclé, la matière des structures choisies par l’artiste, s'inscrit dans la continuité de l’étude de son grand-père. “C'est le même matériel utilisé pour les ailes des avions”, explique Sabine Mirlesse. Pour réaliser les portes, “je voulais trouver une fonderie en Auvergne. Une copine artiste m’a parlé de Fusion", une fonderie située à Charbonnières-les-Vieilles, dans le département. "J'ai passé une journée avec eux. Ils m'ont dit qu'ils avaient toujours rêvé de faire quelque chose au sommet du Puy de Dôme.”
Au-delà de l’aspect logistique, il y a également la problématique des prévisions de givre. Pour y répondre, l’observatoire de Clermont lui a conçu "un logiciel spécifique afin de prévoir les événements de givre à trois, quatre jours", évoque Nathalie Huret.
Le givre se forme dans des conditions particulières
Pour qu’il y ait du givre, "Il faut du vent et des nuages surfondus. ce sont des nuages où les températures de l'air sont inférieures à 0 degré." À cette température, "les gouttelettes d'eau sont encore sous forme liquide dans l'atmosphère et avec le vent, elles vont impacter une structure. Elles vont givrer automatiquement", détaille la directrice de l'observatoire du Globe de Clermont-Ferrand. C'est alors que les gouttelettes s'agglomèrent entre elles, et que la neige peut s’y déposer.
Afin d’optimiser ce phénomène naturel, les sept portes ont été installées selon la démarche artistique de Sabine Mirlesse, tout en tenant compte des vents venant de l’Atlantique. Ces structures vont rester pendant l'hiver et les promeneurs pourront aller voir leur prise au givre. Sabine Mirlesse va les photographier. "On va peut-être faire du 3D ou même des visites en drones. Derrière ça, il y aura une grosse exposition", indique Nathalie Huret.
Une œuvre rentrant dans le cadre du Land Art
Cette installation éphémère rentre dans le cadre du Land Art, "C'est un peu un coin de l’art qui existe partout mais c'est vrai que la plupart des œuvres, éphémères où permanentes, vivent à travers les photographies et la documentation. Car elles ne sont pas dans des endroits forcément faciles d’accès.”
Dans cette exposition, il y a également une volonté de montrer le changement climatique. “On est quand même dans un monde qui est très diffèrent cent ans plus tard", fait remarquer Sabine Mirlesse. "Et le Puy de Dôme, c'est un microclimat. Il y a toujours eu ces formes de givre tous les hivers. Mais ça commence de plus en plus tard. Maintenant, il y a des courants d'air chaud créant des changements un peu extrêmes. Ça givre, puis ça s'en va, ça givre, puis ça s'en va..."
L'installation éphémère, au sommet du Puy de Dôme, est donc accessible à tous, durant tout l'hiver 2022/2023, à partir du samedi 4 décembre. Il sera possible de suivre l'évolution de l'œuvre sur le site de l'Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand.