Manque de personnel, charge de travail lourde…au CHU de Clermont-Ferrand, des soignants décrivent une situation critique. Ils participeront vendredi 28 janvier au mouvement des minutes de silence, afin de défendre l’hôpital public.
Vendredi 28 janvier, sur les trois sites du CHU de Clermont-Ferrand, des soignants vont observer à 14 heures une minute de silence afin de défendre l’hôpital public. Les professionnels de santé rejoignent ainsi un mouvement national, initié à Strasbourg. Par ce geste, ils veulent défendre « le système hospitalier qui se meurt dans une indifférence quasi-totale » selon eux.
Des hôpitaux solidaires
Le Pr Michel Canis, praticien hospitalier et chirurgien gynécologue au CHU de Clermont-Ferrand, est membre du collectif inter hôpitaux. Il explique : « Il y a une solidarité entre les hôpitaux qu’il faut absolument maintenir car les difficultés sont multiples. Hier j’entendais qu’à Montluçon, il y avait 3 médecins là où il y avait 21 postes normalement. A Clermont-Ferrand, on a des difficultés aussi car on manque de personnel de manière chronique. Clermont-Ferrand n’est pas épargné par ces difficultés ».
"Il y a un malaise dans tous les CHU, y compris ici"
Le médecin décrit les problèmes auxquels il est confronté à Clermont-Ferrand : « Il y a un malaise dans tous les CHU, y compris ici. Il y a beaucoup d’absentéisme parmi le personnel, ce qui traduit bien les difficultés des conditions de travail. On manque de personnel un peu partout. Un infirmier de bloc opératoire nous dit que dans sa corporation il lui manque 9 membres dans l’équipe. C’est très fréquent. Le matin on arrive et on se rend compte que dans un service de chirurgie il n’y avait qu’une seule infirmière pour toute la nuit pour 22 malades, bien entendu avec plein de malades opérés la veille ou l’avant-veille, donc les conditions de sécurité sont plus que limites. On découvre cela le lendemain matin. Il y a plein de choses comme cela. Dans un service avec des personnes âgées, une infirmière me raconte qu’elle fait des choix toute la journée : elle a un patient qui veut aller aux toilettes et une pompe à morphine à préparer pour une personne qui souffre beaucoup. C’est très compliqué à gérer car quel que soit le choix, il n’est pas bon, il y a quelqu’un qui va en pâtir. Ce sont des difficultés quotidiennes qui font que les gens craquent. Quand on écoute les infirmières, il y en a de plus en plus qui veulent partir ».
"Il va falloir continuer à payer les soignants mieux qu’ils n’étaient payés"
Selon le Pr Michel Canis, le Ségur de la santé est loin d’avoir résolu tous les problèmes : « Le Ségur de la santé a revalorisé un certain nombre de salaires. Le gouvernement dit qu’il a investi beaucoup d’argent dans les salaires des hôpitaux mais c’est de l’argent qui n’avait pas été investi et qui était à rattraper. Il va falloir continuer à payer les soignants mieux qu’ils n’étaient payés, c’est une nécessité absolue ».
Des soignants "en difficulté"
Il poursuit : « Les soignants sont en grande souffrance à Clermont-Ferrand. Je pense qu’il y a beaucoup de personnes en difficulté. L’infirmière qui a passé la nuit toute seule avec 22 malades a passé une nuit terrible. Elle a tenu le coup. Je ne fais pas le procès de la direction car on lui donne un budget et elle fait ce qu’elle peut avec. La direction est sans cesse en train de choisir entre les contraintes budgétaires et une contrainte de soins. Elle sait que si le budget ne s’adapte pas complètement, c’est le soin qui va répondre. L’infirmière a couru toute la nuit et elle est rentrée chez elle en ayant eu peur de faire des bêtises. Les patients ont été surveillés aussi bien que possible ».
Le problème de la sécurité des malades
Le praticien s’inquiète pour la sécurité de ses patients : « Quand dans un service de chirurgie, il y a 22 malades pour une seule infirmière, avec plus de la moitié des patients qui ont été opérés la veille, je pense que la sécurité est limite. Mais il ne s’est rien passé de grave et tant mieux mais on ne peut pas garantir qu’il ne se passera rien de grave dans de telles conditions ». Le chirurgien gynécologue évoque des solutions pour améliorer la situation de l’hôpital public : « Il faut embaucher des infirmières, augmenter les places dans les instituts de formation, continuer de revaloriser les salaires. Il faut surtout changer les conditions de travail. Les gens ne veulent plus venir travailler à l’hôpital car ils sont au courant des difficultés. Entre les arrêts de travail, les arrêts de grossesse, les départs à la retraite non remplacés, on se retrouve avec des équipes qui sont en déficit chronique. Les gens craquent. Ils sont rappelés sur leurs vacances, sur leurs week-ends. Les gens qui ont souhaité travailler à 80 %, on leur demande de reprendre à 100 % et parfois ils font même plus. Les gens ont des limites et cela épuise tout le monde ».
Le rôle de la crise sanitaire
Le Pr Michel Canis indique que la crise du COVID est venue dégrader la situation à l’hôpital : « Le COVID est venu assombrir le tableau. Il y a eu un surcroît de travail et une difficulté vis-à-vis des patients non COVID, avec des soins déprogrammés. On fait ce que l’on peut mais on ne peut pas soigner tout le monde à la fois. Le problème de l’hôpital public n’a pas été réglé par le Ségur de la santé. Maintenant, il y a un vrai choix politique à faire, soit on décide de sauver l’hôpital public, soit on considère qu’il faut privatiser encore plus ».
Des médecins "résignés"
Le médecin décrit l’état d’esprit dans lequel sont les professionnels de santé : « Il y a beaucoup de soignants qui sont résignés. Ils se disent que cela ne sert plus à rien de se battre. Ils sont usés, fatigués et désespèrent un peu. Il y en a beaucoup qui s’en vont. On se rend compte que cela ne peut plus continuer comme cela, sinon l’hôpital public est en grand danger ». Le praticien nourrit également d’autres inquiétudes : « L’hôpital public est l’endroit où l’on forme les médecins et les soignants. Si l’instrument de formation de tous les étudiants en médecine se dégrade, à terme c’est peut-être la formation des médecins et des soignants qui sera remise en cause. A long terme, c’est peut-être cela le plus grave ».
Vendredi 14 janvier, le Pr Michel Canis observera donc une minute de silence avec ses confrères au CHU de Clermont-Ferrand. Il conclut : « Quand on parle on ne nous écoute pas. Peut-être que quand on fait silence, on va finir par écouter notre souffrance ». Contactée, la direction du CHU de Clermont-Ferrand n’a pas souhaité s’exprimer.