Pierre-Michel Llorca, psychiatre : "la société a du mal à assumer la problématique des pathologies psychiatriques"

Professeur de psychiatrie, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand et directeur des soins de la Fondation FondaMental, Pierre-Michel Llorca était l'invité de l'interview du jeudi le 17 octobre. Il nous décrit une psychiatrie en difficulté et une société qui a du mal à assumer ces pathologies.

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Professeur de psychiatrie, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand et directeur des soins de la Fondation FondaMental, Pierre-Michel Llorca était l'invité de l'interview du jeudi le 17 octobre. Auteur avec Marion Leboyer de l'ouvrage Psychiatrie : l'état d'urgence, il nous décrit une psychiatrie en difficulté et une société qui a du mal à assumer ces pathologies.

- Qu'est ce qui ne fonctionne pas ou plus dans la psychiatrie en France ?

La psychiatrie, c'est vraiment comme les hôpitaux mais avec des spécificités. C'est un système qui a montré tout son intérêt pendant de nombreuses années mais qui craque un peu de toutes parts pour de multiples raisons : des aspects de financement, des aspects d'organisation et de répartition ... Et puis en ce qui concerne la psychiatrie, c'est assorti de la difficulté pour la société d'assumer la problématique des pathologies psychiatriques qui sont souvent très stigmatisées et pas suffisamment prises en compte. 
 

Les gens restent toujours très craintifs à l'idée d'expliquer le fait qu'ils puissent souffrir d'une quelconque pathologie psychiatrique

- Est-ce que c'est toujours un sujet tabou, ces troubles mentaux ? 

Il y a beaucoup de mouvements pour essayer de rendre ça moins tabou mais en même temps, on entend systématiquement des confusions autour de la notion de schizophrénie, des confusions autour de la notion de bipolarité. Les gens restent toujours très craintifs à l'idée d'expliquer le fait qu'ils puissent souffrir d'une quelconque pathologie psychiatrique parce que malheureusement, on change de regard quand on sait cela sur eux et ils le redoutent, par exemple, dans le milieu du travail. 

Les patients souffrant de schizophrénie sont au contraire plus vulnérables que les autres

- Un exemple d'idée reçue que vous entendez souvent et qui est totalement fausse ? 

Par exemple, on utilise tout le temps le mot "schizophrénie" : "les hommes politiques sont schizophrènes", "le gouvernement est schizophrène", "c'est une position schizophrène", et on a toujours l'idée que la schizophrénie, c'est une sorte de dédoublement de la personnalité. En fait, c'est une maladie qui n'est pas un dédoublement de la personnalité. Elle se caractérise par exemple par des hallucinations, une difficulté à entrer en contact avec les autres, une difficulté de penser. Mais tout de suite, on imagine que c'est autre chose, que c'est la violence, le risque, l'agressivité, la dangerosité, or, en fait, les patients souffrant de schizophrénie sont au contraire plus vulnérables que les autres. Ils sont plus l'objet d'agressions, de crimes et délits. De manière très très rare, il peut y avoir des actes médico-légaux qui se font par des gens qui ont une pathologie psychiatrique, mais c'est très très rare. C'est toujours dramatique, bien sûr, mais c'est souvent très médiatisé et beaucoup plus rare que tous les gens qui souffrent de cette maladie.

Dans la population française, il y a 10 % des gens qui présenteront au cours de leur vie un épisode dépressif

- D'un côté, vous nous décrivez un manque de moyens et de l'autre, une société qui ne veut pas voir ces malades. Est-ce qu'on a une idée du pourcentage de malades qui ne sont pas pris en charge ? 

C'est difficile car on a un système de soins qui est assez performant en France, mais on a un problème d'identification. Par exemple, on estime que dans la population française, il y a 10 % des gens qui présenteront au cours de leur vie un épisode dépressif, mais on estime que sur ces 10 %,  il n'y en a probablement qu'un quart qui seront vraiment pris en charge. C'est pareil pour les troubles anxieux. L'anxiété c'est une émotion normale mais malheureusement, dans les situations de maladie, ça devient quelque chose d'envahissant et les gens qui ont ces troubles là n'osent pas en parler. Ça leur paraît tellement un signe de faiblesse, de vulnérabilité qu'ils n'en parlent pas. Ça n'est pas identifié, et ça n'est pas traité.

Un coût économique et humain très important

- Quelles conséquences sur la société ? 

Si on raisonne sur un terme purement économique qui est un terme très important à notre époque, on considère qu'il y a une perte de productivité de tous ces talents qui ne peuvent pas s'exprimer parce qu'il y a des maladies. Globalement, si on met d'un côté les coûts directs (ce que ça coûte pour soigner les gens) et si on met d'un autre côté les coûts indirects (les coûts pour la société par rapport à la perte de productivité), on estime que le coût des maladies mentales, c'est un peu plus de 100 milliards par an. Ensuite ça a un coût humain. C'est aussi toutes les familles, tous les aidants qui aident leurs proches atteints de maladies psychiatriques et qui souffrent de cette mise à l'écart, de cette stigmatisation des patients qui ont ces pathologies-là. On a donc d'un côté un coût économique et de l'autre un coût humain qui est très important, difficile à quantifier avec beaucoup de souffrance.

Habiter dans une grande ville, c'est un facteur de risque pour avoir des maladies psychiatriques

- Depuis quelques dizaines d'années, la société change, elle s'accélère. Est-ce que la société du XXIème siècle est une société qui favorise les troubles mentaux ? 

Le trouble mental, c'est souvent une difficulté d'adaptation consécutivement à un stress avec une certaine vulnérabilité. On est dans une société où à la fois, cette accélération nous procure des gains avec tout ce qui nous est offert, tout ce qui nous est possible et d'un autre côté des stress qui sont plus nombreux. Donc forcément, cette accentuation des stress augmente la pression sur les gens vulnérables et augmente le risque de maladie psychiatrique. On ne peut pas regretter les progrès de la société mais on se rend compte que par exemple, un des facteurs de protection, c'est ce qu'on appelle le "support social", les relations sociales. L'urbanicité (c'est comme ça qu'on décrit ça en épidémiologie le fait d'habiter dans une grande ville), c'est un facteur de risque pour avoir des maladies psychiatriques. On a moins de gens qui habitent à la campagne, plus de gens qui habitent dans les grandes villes et quand on habite dans une grande ville, on a plus de risques de tomber malade. Cette société entraîne, contient en elle-même des germes de cette augmentation des troubles. 
 
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