Quand la science s'intéresse au tabou des menstruations des sportives

Le tabou des menstruations n’est pas encore levé dans le sport féminin.L'adaptation des entraînements selon les phases du cycle menstruel des sportives pourrait pourtant permettre d’optimiser leur bien-être et leurs performances. Une doctorante de l'Université Clermont Auvergne étudie sur le sujet.

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La majorité des femmes sportives est entraînée de la même manière que les hommes. Et c'est un problème. Leur cycle menstruel et la prise d'une contraception hormonale peuvent avoir une influence sur leur performance. Une information importante, qui n'est pourtant pas encore intégrée au sein des clubs. "On parle très peu des menstruations. Personnellement, le 1er et 2e jour du cycle, mes capacités sont diminuées d'environ 50%. Ce n'est pas toujours facile de dire "Je ne suis pas bien à cause de mes règles", il y a encore un tabou autour de ça, même s'il est moins important qu'avant", considère Salomé Perraudin, joueuse à l'ASM Romagnat depuis 9 ans. 

La fatigue peu prise en compte

Lorsqu'elle était plus jeune, la rugbywoman n'osait pas dire qu'elle avait trop mal au ventre pour terminer l'entraînement. "Il y a plusieurs années, la fatigue liée à nos règles n'était pas forcément considérée. On nous disait de serrer les dents. Comme certaines filles ont moins de douleurs que d'autres, on pouvait passer pour quelqu'un qui faisait de la comédie si on se plaignait trop", se souvient Salomé Perraudin, qui estime que le sujet "avait besoin d'être démocratisé". Les prises de parole des athlètes de haut niveau ont contribué à donner de la visibilité à cette problématique. Comme celle de la championne d'athlétisme Rénelle Lamote, en juillet 2023 sur son compte Instagram

Les scientifiques s'intéressent aussi davantage aux liens entre la pratique sportive et les variations hormonales (liées aux différentes phases du cycle menstruel ou à la prise de contraception). C'est le cas de la doctorante Sarah Bagot qui réalise une thèse à ce sujet au sein du laboratoire des Adaptations métaboliques à l’exercice en conditions physiologiques et pathologiques (AME2P) de l'Université Clermont Auvergne. Au total, 35 sportives clermontoises, dont Salomé Perraudin, se sont portées volontaires pour participer à son étude. 

Dans les clubs, les hommes ne comprennent pas toujours comment les règles nous plient en 4. Même s'il l'on en parle de plus en plus, il y a besoin d'avoir davantage d'études et de communication à ce sujet.

Salomé Perraudin

Joueuse à l'ASM Romagnat

Les sportives interrogées par Sarah Bagot ont confirmé l'impact négatif des symptômes liés à leur cycle menstruel : maux de tête, ballonnements, manque d'énergie... "Ces symptômes prémenstruels et menstruels constituent des désagréments physiques et jouent sur l’humeur, ce qui entraîne un manque de motivation et une perte de confiance qui n'aident pas à performer", explique la scientifique.

Le cycle menstruel comparable aux 4 saisons

Pour vulgariser les effets du cycle menstruel, la scientifique le compare aux 4 saisons de la nature. D’abord, la phase menstruelle qui pourrait correspondre à l’hiver. “Le faible taux d'hormones et d’énergie, nous donne envie de blottir dans une couverture et de nous reposer pendant 5 à 7 jours. Au printemps, c’est la phase folliculaire, un regain d’énergie nous envahit. Nous renaissons telles des fleurs au soleil jusqu'au 14e jour du cycle environ durant lequel est déclenchée l’ovulation : nous sommes au top de notre énergie. Enfin, l’automne pointe le bout de son nez, nous ressentons une baisse d’énergie qui peut être accompagnée de symptômes prémenstruels.”

Comprendre ce fonctionnement pourrait permettre aux entraîneurs et aux préparateurs d'améliorer les performances de leurs joueuses. À l'ASM Romagnat, des initiatives prennent cette direction depuis plusieurs mois. Les sportives gênées par leurs règles ont des séances allégées. “Cela fait 2 ou 3 ans qu’on en parle un peu plus avec les coachs. Cette année, le préparateur physique a instauré un questionnaire à remplir 2 fois par semaine qui suit nos cycles et évalue notre état de fatigue. Les entraînements sont adaptés en fonction. Avant, on faisait comme tout le monde, même quand on avait mal. Là, on sent qu'on a le droit de dire que ça ne va pas”, se réjouit Salomé Perraudin. 

Pour les matchs, on prend un anti-inflammatoire et on fait avec. Quand ça arrive et que la feuille de composition est déjà sortie, on y va parce qu'on a envie de jouer et pas de rester sur le côté à cause de nos règles.

Salomé Perraudin

Joueuse à l'ASM Romagnat

 
"Nous réalisons notamment des mesures de dépense d’énergie en fonction du statut hormonal des joueuses pour apporter des éléments de conseils individualisés sur les entraînements et la nutrition” : la thèse de Sarah Bagot met également en lumière l'intérêt de la nutrition pour améliorer le bien-être et la récupération, pouvant avoir des répercussions positives sur la performance des sportives. Bien se reposer et avoir une alimentation adaptée peuvent faire la différence. “Même les sportives de haut niveau ne sont pas forcément suivies par des nutritionnistes ou des diététiciens. On a posé avec elles les bases d'une alimentation équilibrée en les mettant en garde sur certains aliments. Par exemple, consommer du fer et de la vitamine C en période de règles est important. Tout comme l'hydratation, qui est souvent oubliée”, détaille-t-elle.

En parler tôt pour briser les tabous

Les fédérations commencent tout juste à se saisir du sujet. "Il y a encore beaucoup de chemin à faire. D’autres pays sont plus en avance que nous, comme l’Angleterre”, explique Sarah Bagot, qui estime qu’il faudrait sensibiliser les sportives dès le plus jeune âge. “On a constaté que certaines femmes ne connaissaient pas les différentes phases de leur cycle ou de quoi était composée leur contraception. En parler très tôt, c’est une façon de briser les tabous. Il faudrait que les entraîneurs soient formés à ces sujets-là.

La prise en compte du cycle menstruel démarre tout juste dans les clubs de haut niveau qui sont davantage dans une recherche de performance. Dans les plus petits clubs, ce n’est pas le cas, ils ne sont pas dans ce niveau de détails.

Sarah Bagot

Doctorante à l'Université Clermont Auvergne


À terme, le laboratoire AME2P de l'Université Clermont Auvergne souhaiterait développer des produits alimentaires adaptés aux besoins des sportives, en partenariat avec l'entreprise clermontoise NutriFizz. “SportVegest un projet en cours. L’objectif serait de concevoir un produit végétal innovant pour limiter les désagréments liés aux symptômes menstruels”, continue Sarah Bagot, qui a figuré dans les 16 finalistes du concours d'éloquence scientifique "Ma thèse en 180 secondes".

Si les Jeux olympiques de Paris 2024 seront les premiers JO paritaires, les sciences du sport n'en sont pas encore à ce stade. La recherche concernant les femmes est récente. Jusque-là, les projets d'étude concernaient surtout les hommes. “Il n'y a même pas de méthodologie scientifique claire pour étudier les différentes phases du cycle menstruel. Elle nous permettrait pourtant de pouvoir comparer les résultats des différents chercheurs. C'est important d'avoir un maximum de données pour mieux cerner ces enjeux, bien qu’il faille tout de même prendre en considération le caractère individuel de chaque sportive", juge Sarah Bagot.

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