"Révoltant", "inacceptable"... Retards à répétition sur le train Paris-Clermont : récit d'un naufrage au long cours

Le train entre Paris et Clermont-Ferrand a encore connu un retard de taille vendredi 19 février 2024 : onze heures pour relier les deux villes avec des voyageurs coincés dans le froid et sans nourriture. Des incidents à répétition. Mais cette fois-ci, cela semble être le retard de trop.

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Quand on la réécoute, près de quatre ans plus tard, c’est une annonce qui donne à sourire. Mais un sourire jaune. C’était le 6 septembre 2019 sur France 3 Auvergne. Guillaume Pépy, le PDG de la SNCF de l’époque, était sûr de lui : "Les retards seront divisés par deux d’ici 2025 et on va y arriver !" L’Etat venait d’annoncer un plan d’investissement de plus de trois milliards d’euros pour la ligne Paris-Clermont notamment.

Sauf que nous voilà en janvier 2024. Le samedi 20 janvier précisément. Et les faits font mal. La SNCF vient de connaître encore un grand fiasco sur la ligne Paris-Clermont. Le train parti de Paris à 18h57 vendredi soir n’a pointé le bout de son nez que vers 6h du matin, le lendemain, en gare de Clermont-Ferrand. Un trajet de plus de 11 heures lors duquel les 700 passagers ont subi le froid, le manque de nourriture et l’absence de WC en fonctionnement. La Croix-Rouge et les pompiers ont même dû intervenir pour aider les voyageurs, que l’on voit dans les vidéos, transis de froid sous des couvertures de survie. L’épopée - la tragédie ? - a fait le bonheur des réseaux sociaux.

Sur X (ex-Twitter), les représentants politiques auvergnats n’ont de cesse de fustiger le naufrage de la ligne.

"Révoltant", s’est indigné Laurent Wauquiez le président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes. "700 passagers de la ligne Clermont-Paris abandonnés à leur sort sans chauffage ni électricité par une nuit glaciale avec, pour seule aide, la venue de la Croix rouge. Je ne me résous pas à ce que l'Auvergne soit traitée comme un territoire de seconde zone. Face à cette situation d’urgence, l’État et la SNCF doivent sortir de l’inertie et de leur incapacité qui sont une honte pour la France".

L’indignation est générale. "C’est inacceptable !!!", a renchéri Yannick Monnet, le député communiste de Moulins dans l’Allier. "Les travaux prévus sur cette ligne Paris/Clermont ne peuvent pas attendre 2 ou 3 ans ! Il y a urgence à les engager maintenant." 

Comment a-t-on pu en arriver là ? "Nous avons eu 30 à 40 ans de non-investissement », se désole Stéphanie Picard, porte-parole du collectif des usagers du train Paris-Clermont. "Aujourd’hui, notre problème, c’est qu’il n’y a plus assez de locomotives en état de fonctionnement pour assurer les huit allers-retours par jour. Un à deux allers-retours par jour ont été supprimés cet automne ! C’est dingue !"

Des locomotives fatiguées avec "des rames mises en service entre 1975 et 1982", explique encore Stéphanie Picard.

Pourtant cela fait longtemps qu’on les annonce, ces nouveaux trains. Des rames "Oxygène", c’est le joli nom qu’on leur a donné. En 2014, Guillaume Pépy prévoyait leur arrivée dans un délai de 24 à 36 mois. C’était donc il y a… 10 ans.

Défilé de ministres

Le 5 octobre 2020, Jean Castex, Premier ministre et Jean-Baptiste Djebbari, son secrétaire d’Etat aux Transports, étaient à Clermont-Ferrand pour signer un pacte ferroviaire avec la Région. L’espoir était fort, les engagements affirmés : "J’ai signé le bon de commande en 2019", annonçait Jean-Baptiste Djebbari sur l'antenne de France 3 Auvergne.  "L’objectif, c’est une mise en production pour les prototypes en 2021 pour une livraison fin 2023." Malheureusement, le Covid, notamment, a eu raison de ce calendrier.

Clément Beaune, successeur de Jean-Baptiste Djebbari, était à son tour à Clermont-Ferrand en octobre 2023. Il a promis "des actes". "Les nouveaux trains existent. Ils sont en test en République tchèque et ils seront produits en France d’ici quelques semaines."

Plan de modernisation

Oui, le dossier avance, c’est indéniable. En plus de la fabrication de nouveaux trains - 12 rames d’ici 2026, des travaux importants ont lieu sur la ligne pour la "régénérer", selon le terme de la SNCF. Un plan de 760 millions d’euros prévoit d’ici 2025 la modernisation des rails, de la signalisation ferroviaire, des aiguillages, des barrières de passages à niveau.

"Mais en fait, ils font ces travaux car ils n’ont plus le choix ! Ils font juste le strict minimum de ce qui doit être fait", s’agace Stéphanie Picard, du collectif des usagers. "Moi, j’appelle cela une rustine ! Car on ne descendra pas en dessous des 3h10 pour faire Clermont-Paris alors qu’en 2008, on mettait 2h58 ! On nous demande de nous satisfaire d’un parcours qui s’allonge de 8 minutes. Mais si à Bordeaux, on leur faisait ça, ce serait la révolution !" 

Le collectif milite pour un Paris-Clermont en 2h30. "On nous a demandé de choisir entre la fiabilité de la ligne et le temps  de parcours. Mais pourquoi ? A personne, on ne demande ça ! Ca devient inacceptable !"

Convocation de la SNCF

Après le désastre de cette nuit largement couvert par les chaines nationales, il y a désormais urgence. "Laurent Wauquiez va convoquer le président de la SNCF pour lui demander quel plan d’urgence il va mettre en place pour les deux ans à venir", annonce Frédéric Aguilera, le vice-président de la Région en charge des Transports, également maire de Vichy, ville desservie par la ligne.

Les élus locaux attendent des solutions à court terme avant même l’arrivée des nouvelles rames. "On ne peut plus traiter les gens comme du bétail, les laisser une nuit complète dans un train sans chauffage ! », s’insurge Frédéric Aguilera. "Cela pénalise notre territoire, notre économie et les usagers."

La Région, par la voix de son vice-président, demande soit du matériel provisoire en bon état de marche, soit la réalisation d’une promesse de la SNCF : "Ils nous ont dit qu’ils allaient mettre en attente des locomotives quand il y aurait des incidents pour aller tirer les trains en panne. Ils devaient les répartir correctement sur la ligne pour éviter qu’il y ait dix heures d’attente."

Dans ce mauvais roman de gare qui éprouve les passagers, le collectif des usagers y voit une consolation : "Nous sommes devenus un sujet national, tous les médias parisiens m’ont appelée", confie Stéphanie Picard. "C’est une victoire pour nous. Ce n’est qu’avec la pression médiatique qu’on y arrivera avec les décideurs !"

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