Une équipe de chercheurs de Clermont-Ferrand a développé une méthode d’imagerie innovante pour suivre la diffusion du sel dans les aliments. Pour les scientifiques, les conclusions de cette étude pourraient nous amener à moins saler nos aliments au quotidien.
La diffusion du sel enfin décryptée ! On doit cette prouesse à une équipe de chercheurs et de doctorants de l’INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) du Centre Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes, basés à Saint-Genès-Champanelle. Après un travail de longue haleine, ils ont réussi à développer une technique d’imagerie innovante pour suivre la diffusion du sel dans les aliments. Sylvie Clerjon, ingénieur de recherche à l’INRAE, explique comment l’équipe a travaillé : « Nous avons mis au point une technique d’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique). Dans notre laboratoire, on a la chance d’avoir trois IRM, avec la même technologie que dans les CHU, mais en plus petite taille. On ne peut pas y étudier des sujets mais des échantillons, et en particulier des aliments. La nouveauté ici est que l’on a développé une méthode IRM qui permet de localiser et de quantifier le sodium dans les aliments, mais également de mesurer son interaction avec les molécules qui forment la matrice de l’aliment ». Les scientifiques se sont alors posé la question « Quand et comment moins saler ses plats tout en préservant le goût ? ». En effet, le sel ingéré en trop grande quantité augmente le risque de maladies cardiovasculaires, c’est pourquoi la diminution du sel dans nos aliments est encore aujourd’hui un enjeu de santé publique.
Une étude dans le cadre domestique
Sylvie Clerjon indique le contexte de l’étude : « Cela permet de voir comment le sodium, c’est-à-dire le sel, est lié aux autres molécules des aliments. Il est important de savoir où est localisé le sel et comment il est lié aux aliments, parce que ce sont ces deux paramètres qui vont moduler la disponibilité du sel en bouche, et donc sa sensodisponibilité, c’est-à-dire sa capacité à nous faire ressentir le goût salé. Or on est dans une démarche de diminuer la quantité de sel ingéré car on en mange toujours trop. On s’intéresse dans cette étude à ce qui se passe dans le cadre domestique, c’est-à-dire à la maison, car les industriels ont déjà travaillé pour essayer de trouver des leviers pour diminuer le sel ». La scientifique souligne : « Nous avons de notre côté développé cette méthode d’IRM pour voir où est le sel et comment il est lié aux aliments. En parallèle, nos collègues de Dijon, au Centre des sciences du goût et de l’alimentation, effectuent des analyses sensorielles sur les mêmes aliments qui ont subi le même protocole de préparation. Cela nous permet de faire le lien entre la localisation du sel, la liaison du sel à la matrice alimentaire et la sensorialité. Notre hypothèse est qu’il faut que le sel soit réparti de façon hétérogène pour être mieux ressenti. Il faut également qu’il soit le moins lié possible à la matrice alimentaire pour être plus facilement libéré en bouche et ainsi ressenti. C’est une hypothèse que nous allons vérifier dans le projet en cours ».
Une technique quantitative
La méthode utilisée par les chercheurs est innovante : « En clinique, il existe déjà des méthodes IRM pour voir le sodium, dans le cerveau, la vessie, les reins, le cartilage …. mais elles ne sont pas adaptées aux aliments. Notre technique se veut quantitative, on peut mesurer une quantité de sodium en un point de l’image, et elle est capable de détecter le sodium très lié qui est propre aux aliments. Enfin, en plus de localiser et quantifier le sel, elle donne son état de liaison à la matrice : elle nous dit dans quelle mesure ce noyau de sodium est libre, ce qui est primordial pour la sensorialité ».
Moins de sel mais avec "la même sensation"
Grâce à cette étude, nous pourrions être amenés à revoir notre consommation de sel. Sylvie Clerjon insiste : « Cette étude va servir à proposer des méthodes de salage domestique pour réduire la quantité de sel tout en conservant le même goût salé. En salant par exemple au dernier moment, à l’assiette, on va avoir un sel qui est réparti de façon plus hétérogène que lors d’un salage avant ou pendant la cuisson. On fait l’hypothèse que dans ces conditions, le sel va également être moins lié aux autres molécules donc plus facilement relargué, c’est cela qu’on va essayer de montrer. On aura alors besoin d’en mettre moins pour avoir la même sensation ».
Une question de santé publique
Les scientifiques ont démontré pour la première fois que coexistent plusieurs populations de sel au sein de certains aliments, chacune interagissant différemment avec l’aliment. Ils ont aussi quantifié la répartition du sel, qui est le plus souvent hétérogène. Ces différentes interactions et répartitions laissent présager de fortes différences en termes de sensation salée. Cette étude a des conséquences en matière de santé publique : « On mange encore beaucoup trop de sel dans les pays industrialisés. C’est l’une des causes des maladies cardiovasculaires. Les derniers rapports rapportent qu’il est recommandé de manger 6 g par jour et par personne. On est plutôt autour de 10 g par jour et par personne dans nos habitudes de consommation. On est largement au-dessus des recommandations, à l’échelle mondiale ou nationale. Grâce à cette étude, on pourrait être amené à moins saler à la maison et à faire baisser ces 10 g par jour et par personne ». L’étude des chercheurs de l’INRAE va se poursuivre. Sylvie Clerjon précise : « Notre cœur de métier est de développer de nouvelles méthodes d’acquisition et de traitement des données avec l’IRM. Pour le sodium et cette particularité d’être quantitatif, ce qu’on a présenté n’est pas encore parfait. Il y a certains moments où le sel est tellement lié aux molécules qui l’entourent qu’on n’arrive pas à le voir en IRM. On doit encore s’améliorer pour voir même le sel qui est très lié ». Le projet est financé par l’ANR (Agence nationale de la recherche). Il s’appelle « Sal&Mieux ».