C'est un petit village comme on en trouve beaucoup en Auvergne. Tauves, à une heure de route de la grande ville de Clermont-Ferrand, n'a pas été épargné par la poussée du vote RN aux élections. Nous sommes allés à la rencontre de ses habitants minés par un sentiment d'abandon.
La majorité des habitants de Tauves s'accordent à dire qu'il fait "bon vivre" dans ce petit village de 780 âmes aux portes du parc régional des Volcans d’Auvergne. Le jeudi matin, la friperie du Secours catholique est l'un des endroits les plus animés du centre bourg. “Bonjour Simone, toujours aussi belle ! Et vous Madame, c'est pour bientôt, le bébé ?”, lance Andrée aux dames qui entrent dans la boutique. La dynamique bénévole repère d’un œil les habitués et les nouveaux visages. Au milieu des pantalons à 2 euros, les visiteurs viennent partager un café et une part de brioche du boulanger d’à côté. Des conversations pour rompre de l’isolement ou mettre un peu de baume au cœur. “Le climat est morose, je dirais même délétère. Entre la politique nationale et la guerre à deux ou trois heures de chez nous, la situation n’est pas agréable à vivre”, souffle Andrée, coquette retraitée de 81 ans.
Dans le coin, les résultats des élections européennes du 9 juin ont fait du bruit. “Ça m'a scié. Des communes qui étaient socialistes depuis des dizaines d’années ont basculé”, commente une pharmacienne du Mont-Dore, ville thermale à 20 km. “Ce sont les jeunes qui m’ont le plus surpris”, relève Christophe Vergnol, le premier adjoint de la commune. À Tauves, la liste du Rassemblement national est arrivée en tête avec 112 voix (31% des inscrits) en 2024, contre 17,5% en 2019.
Beaucoup de personnes de ma génération ont voté pour le RN. Ces gens en ont marre des gouvernements successifs que nous avons eus et veulent tout faire basculer en mettant un coup de pied dans la fourmilière.
Andrée81 ans
Andrée est “estomaquée" par les dernières nouvelles politiques du pays. “Il faut à tout prix empêcher le RN d’arriver au pouvoir. Pour moi, c’est un parti anti-humains. On devrait tous s’unir et se rassembler contre ce parti qui est un vrai fléau”, s'inquiète celle qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon aux dernières élections présidentielles et vote désormais pour les Insoumis. La retraitée dit ne pas supporter Jordan Bardella “avec ses cheveux bien plaqués et son sourire de commercial”.
Ras-le-bol des politiques
C’est pourtant ce qui a convaincu Théo (le prénom a été modifié, ndlr), 23 ans, de lui donner une voix aux Européennes 2024. “La dernière fois, j’ai voté Macron. Il nous a bien roulés pendant ces deux mandats. On n’a jamais essayé le RN. Bardella est jeune, pourquoi pas lui ?”, s’interroge l'agriculteur, qui vote en pensant avant tout à son pouvoir d'achat. “J’attaque mes journées à 5 heures pour finir à 20 heures. Je gagne 1500 € et j’en ai 600 à payer pour le crédit. La vie est trop chère”, reproche le jeune Puydômois à la tête d'une petite exploitation de 45 vaches laitières dans les environs de Tauves.
Derrière le comptoir de son restaurant, Jean-François est bien placé pour prendre le pouls de la population locale. Le Lion d'or est un bistrot dans son jus, très apprécié des locaux. Rien, ou presque, n’a changé depuis son ouverture en 1964. L’imposant comptoir est bien en place, le lambris marron n'a pas bougé et les photos d’époque ornent toujours les murs. “J'entends toutes les conversations. Les gens semblent contents qu’il y ait un chamboulement avec ces élections. Il y a un ras-le-bol de la politique actuelle. C’est plutôt un vote pour faire le ménage et faire sortir Emmanuel Macron”, relate le gérant de cet établissement familial.
Jean-François a pris la suite de sa mère Marie-Louise en 2014. A 87 ans, l'Auvergnate s'affaire encore en cuisine pour éplucher les pommes de terre de la truffade servie tous les jours au restaurant. La maison fait aussi hôtel et taxi, pour conduire les anciens du village à leurs rendez-vous médicaux lorsque le "bus des Montagnes" ne roule pas jusqu'à Clermont-Ferrand.
Sentiment d'abandon
À une soixantaine de kilomètres de la métropole, soit une heure en voiture, les habitants du Sancy ont souvent le sentiment d’être oubliés. “Quand on vit à la campagne, on se sent délaissé comme si on était dans un trou perdu. On n’a pas la fibre, toutes les administrations sont rassemblées dans les villes. Avant, on avait les impôts dans le village mais ils sont partis. À Saint-Sauves-d’Auvergne, ils ont plus d’habitants que nous mais pas de banque. Même si je ne suis pas pour les extrêmes, je pense que le RN a trouvé les bons mots pour convaincre ses électeurs…”, considère Michèle, la fleuriste de Tauves, directement concernée par la désertification des territoires ruraux.
La commerçante de 64 ans cherche désespérément un repreneur pour partir à la retraite. Elle a bien mis des annonces sur Internet mais ça n’a pas vraiment fonctionné. “Il y a une jeune femme qui était intéressée mais elle a été freinée par la localisation. Elle voulait pouvoir remonter chez ses parents à Paris les week-ends. C'est vrai que d'ici, c'est compliqué", grimace-t-elle, au milieu des compositions florales.
Comme de nombreuses communes rurales, Tauves perd des habitants. Des néo-retraités s’installent mais les jeunes partent pour la ville. Le village est tout de même mieux loti que ses voisins : il a une école, un salon bien-être, une supérette qui livre au domicile des personnes âgées, un espace de coworking pour les télétravailleurs... L’Ehpad a fermé mais une maison de santé pluridisciplinaire a ouvert avec des médecins, des infirmiers, des kinés. "On a de la chance chez nous, on ne parle pas de désert médical. Mais cet équilibre est fragile. Il ne faut pas grand-chose pour que cela bascule… Un départ à la retraite non remplacé, un commerçant qui veut arrêter”, insiste Christophe Vergnol, le Premier adjoint.
La vie associative est riche et vient combler les besoins. Expositions, sport, concert, belote... Le Secours populaire et les Restos du cœur assurent l'aide alimentaire. En plus de sa friperie, le Secours catholique tient une permanence par semaine durant laquelle des habitants viennent spontanément, ou aiguillés par une assistante sociale, demander un coup de pouce. “On a des retraités qui n’ont jamais quitté le territoire et que l’on aide pour le transport. Ici, si tu n’as pas de voiture, tu ne peux rien faire. La semaine dernière, il y a eu une jeune femme victime de violences conjugales à qui l’on a fait un chèque de 50 euros pour le gazole. Elle doit aller jusqu’à Clermont pour les soins”, explique Patty, la responsable de l’antenne de Tauves et de La Bourboule.
Dans nos petits villages, la vie associative est très importante. Elle prend le relais lorsque la mairie n'a pas assez de moyens. Elle contribue à l’intégration des nouveaux habitants et des personnes exclues.
Christophe VergnolPremier adjoint de Tauves
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Immigration et insécurité
Si la plupart des habitants éludent le sujet des élections et des partis soutenus, certains le placent d'emblée dans les conversations. “Moi, je vais vous le dire. C'est Front National. À cause de l’immigration et de l’insécurité”, lâche Daniel, ouvrier à la retraite. Il fait partie du "Club des vieux”, comme il l’appelle : six copains retraités qui se réunissent chaque jeudi matin pour bavarder autour d’un pichet de rosé. “Pour moi, le RN est le seul parti qui peut faire le poids face à Macron”, juge Thierry, ancien comptable de 64 ans, autour de la table.
À côté, Daniel renchérit pour justifier son choix : “On ne sait pas si ça va changer mais ça ne peut pas être pire. La sécurité, c’est une horreur. J’habitais à Gerzat avant, j’ai été cambriolé et j’ai eu les pneus crevés deux fois. Il faudrait faire un peu moins de social et donner plus d’argent à nos pompiers par exemple. La caserne de Tauves risque de fermer parce qu’elle ne trouve pas de volontaires ! Les politiques nationales abandonnent nos petits pays.” Le reste du "club" acquiesce.
Pourtant, les habitants de Tauves ont plutôt l'habitude de laisser les clés sur le contact de la voiture pour aller faire une course que de fermer la porte de leur maison à double tour. “Nous ne sommes pas du tout en insécurité ici. C’est complètement insensé”, s’emporte Julien (le prénom a été changé, ndlr). Le quadragénaire, commerçant sur le marché de Tauves, refuse de préciser son bord politique qu'il soutient pour s'éviter tout débat avec sa clientèle. Il affirme simplement défendre les candidats ayant “une vision d’avenir”. “Aujourd’hui, les votes sont contestataires parce que les gens ne font plus confiance aux partis classiques. Mais les programmes qui sont proposés ne vont pas construire le pays de demain à long terme. Il faut revenir à des choses plus logiques : de la proximité, que les gens se parlent”, juge l'Auvergnat.
À quelques mètres de là sur le marché de Tauves, Benoît est autant exaspéré. "Je comprends le désespoir des gens mais je ne comprends pas le vote fasciste. Il n’apportera que le pire”, déplore l'agriculteur, derrière ses pots de pickles de légumes, sels aux herbes d’Auvergne et bouteilles de jus. Le quinquagénaire ne participe plus aux élections, il donne sa voix à son fils de 26 ans. "Comment voulez-vous que je vote pour le futur, qui concerne surtout mes enfants ? Je suis totalement dépassé par leur génération. Et je crois que les mâles blancs bedonnants qui nous gouvernent ne comprennent rien non plus”, peste-t-il.
La campagne, havre de tranquillité
Le Tauvois est en train de céder la ferme à son fils qui a "plaqué sa situation confortable pour une vie calme et saine”, explique Benoît. Les exploitations agricoles qui trouvent un repreneur sont rares dans le coin. “Elles vont finir à l’abandon. C’est dommage, on a le potentiel pour attirer des habitants. Je pense que dans les années à venir, il y aura des immigrés climatiques qui viendront s’installer car ici, on a de l’eau et tout ce qu’il faut. C’est un havre de tranquillité”, songe Benoît, qui veut rester optimiste quant à l’avenir des territoires ruraux.
Originaire de Bourgogne, Benoît a débarqué dans la région il y a dix ans pour épouser une Auvergnate. Sa mère Andrée, du Secours catholique de Tauves, et son père l'ont rejoint peu de temps après. “Il y a des querelles de clochers, comme partout, mais l’ambiance est bonne, confirme la retraitée. J’ai bien traîné la savate pour venir parce que je quittais mes amis. J’ai encore un peu la Bourgogne dans la tête et dans le cœur mais, je vous assure qu’on se sent bien ici. L'insécurité et le reste n'existent pas. ”