Témoignages. "On va à la catastrophe" : ces retraités inquiets de la montée du RN

Publié le Écrit par Lisa Douard

Sur ces marchés de l'agglomération de Clermont-Ferrand, la percée du RN aux élections européennes est source d’inquiétude chez les retraités que nous avons rencontrés. Ils espèrent un sursaut contre la montée des extrêmes, avant les législatives anticipées du 30 juin.

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Sur la place du marché, les commerçants sont les premiers à écouter les doléances de la population. Ici, on parle des problèmes de santé, de la météo et, en ce moment, surtout des élections. Recroquevillée sous son parapluie trempé, Odile veut bien s’arrêter pour discuter quelques minutes. La vie démocratique du pays est un sujet important pour cette habitante de Chamalières, dans le Puy-de-Dôme. La retraitée est encore abasourdie par l'annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, prononcée par le président de la République, deux jours plus tôt. “Excusez-moi du terme mais, pour moi, Monsieur Macron est un vrai zozo”, lâche-t-elle.

"Que l'on arrête toute cette pagaille"

L'ancienne enseignante n'a jamais manqué une élection. Elle se sent pourtant "complètement dégoûtée par la politique française et internationale". Aux Européennes, le week-end dernier, elle a donné sa voix aux Verts. “Je suis allée au plus pressé : que l’on arrête toute cette pagaille et ce que l’on fait de honteux sur la planète. L’urgence, c’est la survie de l’humanité”, considère celle qui a “toujours voté à gauche”. À Chamalières, ville de 17 000 habitants voisine de Clermont-Ferrand, la liste menée par Jordan Bardella est arrivée troisième avec 18,6 % des voix, derrière “Réveiller l'Europe !” conduite par Raphaël Glucksmann et “Besoin d’Europe” par Valérie Hayer.

Les résultats du Rassemblement national n'ont "rien d'étonnant", selon Odile. "C’était annoncé. Il n’y avait qu’à voir les sondages et les scores des précédentes élections", continue-t-elle, l’air grave. À 80 ans, elle pense à ses trois enfants et huit petits-enfants lorsqu’elle vote. 

Je me fais du souci pour les générations futures. Le climat politique actuel est inquiétant et on ne sait plus à qui faire confiance... Ils sont tous à côté de la plaque.

Odile

80 ans

Jacques est aussi un de ces retraités préoccupés, depuis dimanche soir. Il cherche ses mots pour décrire la situation. "Le résultat des Européennes... On peut dire que cela a été un raz-de-marée. Le Rassemblement national au gouvernement... On va droit à la catastrophe", déplore celui qui se définit comme "un genre de centriste, proche de l'ex-Modem". Le septuagénaire suit de près la campagne des législatives, tout juste lancée. "J'ai vu que Marion Maréchal avait filé tout droit chez le RN. C'est la famille ! Les extrêmes montent, partout, c'est peu rassurant", souffle-t-il. 

Pour Marc (le prénom a été modifié, ndlr), croisé à Chamalières, la dissolution était “indispensable”. “C’était une assemblée à l’ouest, comme l’ensemble de la classe politique. Et le Rassemblement national ne fera pas mieux”, tranche-t-il. Cet ancien cadre Michelin dit "comprendre" les motivations des électeurs du RN. “Les citoyens de notre pays sont arrivés à un tel degré de ras-le-bol et d’insécurité. Ce n’est pas un sentiment, c’est une réalité. Des gens se font agresser et tuer au quotidien”, défend ce fidèle des Républicains, qui se refuse à “voter pour les extrêmes”. 

Les inquiétudes du Puydômois, qui a longtemps vécu à l’étranger, sont exacerbées par les conflits sur le territoire européen. “Je suis né en 1945, j’ai grandi dans la période d’après-guerre. Je suis à deux pas de la mort et quand je vois qu’on en est revenu à ça, je crois que c’est ce qui me rend le plus malade”, confie-t-il. Avant de poursuivre son chemin, Marc ajoute : “Je ne suis pas content du monde que je laisse à mes enfants et petits-enfants. Il est tellement différent de celui que l’on a connu : plus apaisé, où il y avait du travail, où la famille avait de la valeur.” 

L'espoir d'un sursaut

Au sein de cette jeune génération, le Rassemblement national a gagné en popularité. "Le parti a occupé le champ des réseaux sociaux et de Tiktok, des jeunes ont été captifs”, commente Roger, qui regrette leur abstention. "Cela me désole de voir que la jeunesse ne se déplace pas forcément pour voter alors que c’est son avenir. J'espère qu'il y aura un sursaut, que le peuple saura réagir. Hier soir, il y avait une manifestation place de Jaude, la prise de conscience est un peu tardive", estime le Puydômois. Aux Européennes 2024, plus de 60% des moins de 35 ans n'ont pas voté, contre seulement 29% chez les plus de 70 ans, d'après l'institut de sondages Ipsos. 

Si l’extrême droite arrive en tête des législatives et prend le gouvernement, peut être que cela ferait réagir les Français. Si elle échoue, on risque de la retrouver en 2027.

Roger

77 ans

Au milieu des étals du marché Saint-Pierre, dans le centre historique de Clermont-Ferrand, les préoccupations autour du pouvoir d’achat sont bien présentes. “Moi, je suis du côté… De mon portefeuille !”, répond avec malice Philippe. Dans son cabas, le retraité traîne des cuisses de lapin, des pommes de terre et un peu de fromage. Aujourd’hui, il s’est accordé un tour au marché pour des produits frais mais, souvent, il fait ses emplettes au supermarché. “Je fais plusieurs enseignes pour trouver la moins chère. Tout augmente : le gazole, la nourriture, les vêtements... Même quand ils nous disent que c’est les soldes, on ne voit pas la différence”, peste-t-il. À 66 ans, cet ancien ouvrier de la laiterie de Gerzat est à la retraite depuis 2018. Son départ a été précipité par un accident du travail. 

Je touche 1 200 euros par mois, j’ai une rente de 800 euros tous les trois mois. On ne s’attend pas à des miracles quand on part à la retraite mais quand même... La réalité est compliquée.

Philippe

66 ans

Le retraité vote à toutes les élections, que ce soit pour favoriser un candidat ou pour glisser dans l’urne un bulletin blanc. Il penche pour La France Insoumise, “Mélenchon, mais comme c’est une grande gueule personne n’en veut”, juge-t-il. “Il faut taxer les multinationales et mieux répartir l’argent. Vous savez, nous, les ouvriers connaissons la dureté du travail. On en a bavé toute notre vie pour se retrouver à la retraite avec pas grand-chose”, ajoute le Clermontois, installé dans le quartier populaire Saint-Jacques. 

“Je suis écœurée”

À ses côtés, sa compagne Françoise lorgne avec insistance un jeu à gratter qu’elle tient entre ses mains, impatiente de tenter sa chance. C’est son “petit plaisir” à trois euros pour tenter d’en gagner plusieurs dizaines ou centaines de plus. “On va au casino de Royat pour Noël. On se dit qu’en gagnant de l’argent, on pourra s’acheter un peu plus de nourriture ou partir en voyage. On rêve d’aller à Saint-Barthélémy sur la tombe de Johnny Hallyday”, racontent les deux, en montrant fièrement leurs montres à l’effigie du rockeur. 

Françoise parle peu de politique, elle ne vote plus depuis des années. “Je suis écœurée”, se justifie l’ancienne serveuse de 73 ans qui dit “ne plus s’en sortir au quotidien” avec sa “retraite pas bien élevée”. Philippe attend de connaître le nom des députés qui se lanceront dans la course aux législatives pour faire son choix. Ils ont jusqu'au dimanche 16 juin pour se déclarer. Le premier tour est programmé le 30 juin, le second le 7 juillet. "Je ne sais pas trop ce qui va nous tomber dessus, songe-t-il. Mais le Rassemblement national au gouvernement, j'ai bien peur que ce soit pire qu'actuellement."

Le RN en progression chez les retraités

D'après une enquête de l’institut de sondages Ipsos, la liste du RN a gagné 8 points aux élections européennes 2024 par rapport à 2019 (31,36% contre 23,34%). Elle a notamment progressé chez les moins de 25 ans (15% en 2019 contre 26% en 2024). "La France revient !", conduite par Jordan Bardella, est arrivée en tête dans la quasi-totalité des catégories sociodémographiques. Ce choix a représenté 29% des votes des professions intermédiaires et des titulaires du Bac +2.

Le parti a également “renforcé son socle traditionnel”, indique l’institut, atteignant 40% des voix chez les employés et 54% chez les ouvriers. Près de 29% des retraités interrogés par Ipsos ont soutenu le RN en 2024, contre 22% en 2019.

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