Depuis un mois, les Restos du Cœur ont lancé leur campagne d’hiver. Parmi les nombreux bénévoles qui œuvrent dans la section de Corse-du-Sud de l’association, Yannick s’occupe de la communication et de l’informatique. Après avoir traversé une période difficile, où il s’est retrouvé sans travail, ce quinquagénaire a su remonter la pente. Nous l’avons rencontré.
"À un moment donné, j’étais complètement isolé. Financièrement et socialement, j’étais vraiment au fond…"
À le voir discuter avec le sourire et serrer quelques mains dans ce café de la rive sud du golfe d’Ajaccio où il nous a donné rendez-vous, difficile de s’imaginer que Yannick est passé par une période de sa vie où, de son propre aveu, il a eu "des idées noires".
Âgé de 55 ans, ce graphiste de profession originaire du nord de la France a vu sa vie prendre un tournant auquel "il ne s’attendait pas". C’était il y a quatre ans.
"Je bossais en freelance et j’avais quelques clients sur le continent, tout se passait bien, explique-t-il d’un ton posé. Puis, la crise du Covid est survenue. Là, beaucoup d’entre eux n’ont pas désiré poursuivre leur collaboration, la communication de leurs entreprises n’étant plus à ce moment-là leur priorité. Très vite, je me suis retrouvé sans travail…"
"Gros challenge"
Désocialisation, replis sur soi-même, perte de confiance… Le quinquagénaire arrivé en Corse en 2016 afin de rejoindre sa sœur aînée, installée dans l’île, se retrouve progressivement "au fond du trou" selon ses propres mots.
"J’ai vivoté avec le peu d’Assedic auxquels j’avais droit puis je me suis retrouvé sans ressources, lâche-t-il, le regard dans le vide, voilé par la fumée de sa cigarette. Professionnellement, c’était le néant total. Je n’arrivais plus à joindre les deux bouts. Il fallait que je fasse quelque chose."
On ne vient pas seulement chercher le côté pécuniaire, mais aussi le côté social.
Yannick
Sa situation devient tellement précaire que Yannick finit par se tourner vers les Restos du Cœur. Après avoir longuement hésité.
"Ça a été un gros challenge, précise-t-il. J’ai dû prendre sur moi car je ne me sentais pas non plus légitime à y aller. Je me disais que des gens en avaient davantage besoin que moi et que je n’en étais pas à ce point-là. Pourtant, si…"
Fin 2020, il prend son courage à deux mains et franchit la porte du centre des Restos situé à l'ancien collège des Padule, à Ajaccio. "Là, je me rends compte qu’on ne vient pas seulement y chercher le côté pécuniaire, mais aussi le côté social. Il y a tout un écosystème autour de la structure."
Yannick ne le sait pas encore mais sa venue aux Restos du Cœur va lui offrir d’autres opportunités. Accueilli à l’origine pour avoir accès à l’aide alimentaire, il va peu à peu s’orienter vers le bénévolat.
"Chaque mardi matin, j'allais chercher mon colis. C’est une amie qui travaille aux Salines qui me descendait de Bastelicaccia et me déposait au centre. Mais comme je n’étais pas véhiculé, je devais attendre jusqu’au soir pour qu’elle puisse me récupérer. Comme j'étais disponible toute la journée, je me suis donc proposé pour être bénévole tout en étant "personne accueillie". Je préfère cette expression au terme "bénéficiaire"", précise-t-il.
Remonter la pente
Aux "Restos", dans un premier temps, le quinquagénaire est formé à la distribution de l’aide alimentaire, "comme tout le monde", précise-t-il. Puis, certaines de ses aptitudes sont remarquées par les encadrants.
"Marie-Françoise Carli et Jacqueline Lanfranchi, qui sont les responsables du centre d’Ajaccio, m’ont un peu pris sous leur aile en voyant que j'avais peut-être du potentiel pour faire autre chose. Je leur ai raconté mon parcours de vie, la raison pour laquelle j’étais là. Les Restos sont aussi une aide à l’écoute. Elles m’ont présenté à la référente Corse-du-Sud des ressources bénévoles, puis j’ai commencé à travailler avec elle sur le planning des présences et des absences des bénévoles."
En parallèle, ses nouvelles fonctions lui permettent de sortir progressivement la tête de l’eau. "Socialement, j’étais très isolé et, finalement, en étant un peu plus actif dans la vie de tous les jours, ça m’a permis de me remettre en selle progressivement."
Et d’ajouter : "Grâce à l’association Sport et Santé qui aide les personnes en situation de handicap, que ce soit physique ou mental, j’ai pu reprendre une activité sportive. Pour moi, cette structure m’a aidé socialement et mentalement, car j’étais sans doute en dépression à ce moment-là. En tout cas, le sport m’a sorti de chez moi."
Aujourd’hui, Yannick est "référent de cœur" au centre des Padule. "Je m'occupe du planning des bénévoles. On gère leurs présences, leurs absences, leurs congés."
Depuis quelque temps, il occupe aussi d’autres fonctions, toujours en tant que bénévole : responsable de l’informatique et de la communication de l’association pour la Corse-du-Sud. Un poste qu’il doit à Isabelle Torre, membre du conseil d’administration.
"Il s'occupait d'un logiciel pour recenser tous les bénévoles, les emplois du temps, et cetera, explique celle qui est aussi en charge de l’organisation des manifestations. Comme l’informatique n’avait aucun secret pour lui et qu’il avait aussi des contacts dans les médias et que ça lui plaisait, je lui ai dit “pourquoi tu ne prendrais pas la responsabilité de l’informatique et de la communication ?" Depuis, il a créé note site internet, ainsi que nos comptes sur les réseaux sociaux qu’il gère. C’est vraiment un garçon extraordinaire. En plus de ses compétences, il est toujours à l’écoute. Malgré le fait qu’il bosse désormais ailleurs, il est toujours présent quand on a besoin de lui. Il nous consacre une voire deux demi-journées par semaine."
Car depuis un an demi, Yannick n’est plus une "personne accueillie" aux Restos. Il est salarié dans une société de production audiovisuelle. D’abord employé à tiers-temps, il a récemment signé un CDI à mi-temps.
"Je travaille pour Allindì en tant que graphiste. Je fais tous des visuels pour la plateforme et les réseaux sociaux, ainsi que des prints, des tracts et des affiches."
Pour beaucoup de gens, le parcours de Yannick est un exemple.
Isabelle Torre, membre du conseil d'administration des Restos du Cœur
De son propre aveu, cet emploi, il le doit beaucoup à son passage aux Restos. "Ils m’ont valorisé et m’ont permis de reprendre confiance en moi. Mon patron actuel, je l’ai rencontré au bord d’une piscine. On a commencé à discuter. Et je pense que je n’aurais jamais engagé la conversation si je n’avais pas été réinséré comme ça. En plus de m’apporter l’aide dont j’avais besoin, Les Restos ont été un tremplin pour moi."
"Pour beaucoup de gens, le parcours de Yannick est un exemple, confie Isabelle Torre. On apporte aux personnes accueillies une aide alimentaire mais nous sommes aussi là pour les accompagner, les guider et les conseiller sur un parcours. On ne se substitue pas aux travailleurs sociaux, mais on est là. Depuis 20 ans, on a eu d’autres personnes comme lui et c’est toujours extraordinaire. Yannick, on l’a aussi aidé à bénéficier d’un microcrédit pour acheter son petit véhicule."
Ce véhicule, c'est celui avec lequel il se rend désormais chaque jour sur son lieu de travail. Et une fois par semaine au centre des Padule en tant que bénévole. Comme lorsqu'il s'occupe du concert de la Troupe Corse des Restos qui a récemment permis à l'association de récolter 80 000 euros. Un emploi du temps assez chargé pour le quinquagénaire. Peut-être trop ?
"Mon agenda est effectivement bien rempli, mais il me convient très bien et je préfère ça, répond-il dans un sourire entendu, avant d’avoir une pensée pour toutes les personnes en situation de détresse : "il faut absolument ne pas hésiter à pousser la porte des Restos quand on se retrouve dans une situation comme la mienne. Parce que tous les bénévoles sont là pour nous aider à remonter la pente." Et ça, Yannick est bien placé pour le savoir…