Quelques jours avant les élections régionales, France 3 Alpes est allé à la rencontre des usagers de la ligne TER Grenoble-Lyon. Le temps d’un aller-retour, nous avons échangé avec des habitués des transports en commun, gérés par la région, mais aussi avec des voyageurs occasionnels.
7h30, l’heure de pointe. La gare de Grenoble est en ébullition mais sur le quai D, les usagers semblent encore endormis. Valise à la main, le nez rivé sur le téléphone ou avec un café à emporter, chacun a sa technique pour sortir de la torpeur matinale.
Après quelques minutes de patience, le train express régional n°17610 à destination de Lyon entre en gare. Le panneau d’affichage n’est pas encore mis à jour, mais les habitués entrent calmement dans le train, à la recherche d’une place. Seuls les voyageurs moins expérimentés errent encore sur le quai.
"C’est bien le train qui va à Saint-André-le-Gaz ?" demande une dame âgée. "Non, c’est pas celui-là, c’est le prochain" répond le contrôleur.
Reconnaissable à sa casquette bordée d’un liseré rouge, l’agent SNCF répète inlassablement les mêmes informations aux usagers occasionnels, perdus à cause du manque d’information sur le panneau d’affichage.
Après quelques minutes, et plusieurs soupirs, il entre dans le train pour faire une annonce au micro. "Mesdames, messieurs, je vous rappelle que ce train est à destination de Lyon. Les voyageurs souhaitant se rendre à Saint-André-le-Gaz sont priés de prendre le prochain train, qui partira de la même voie".
Peine perdue pour le contrôleur, une jeune femme un peu inquiète le sollicite à nouveau. "C’est bien le train qui va à Lyon ? Je n’y comprends rien, je ne prends jamais le train !".
Rassurée par l’agent, la trentenaire brune prénommée Valène prend place dans le train tout en vérifiant une dernière fois son billet. Attendue à Lyon pour un déplacement professionnel, elle veut être sûre de ne pas arriver en retard. "Je me déplace à Lyon deux à trois fois par mois, mais d’habitude, je prends la voiture, confie cette habitante de Claix. Même pour aller au travail à Echirolles, je préfère conduire. On est plus autonome en voiture qu’en train malgré les bouchons".
Pourtant ce matin, Valène a dérogé à ses habitudes. Ingénieure commerciale, elle a promis à une collègue qu’elles feraient le voyage ensemble en train. "Elle habite à Voiron et c’est une grande habituée des transports en commun !" précise-t-elle.
Effectivement à l’arrêt suivant, Carla, 21 ans, nous rejoint au fond de la rame. Contrairement à sa collègue, elle ne se déplace qu’en train, que ce soit pour aller travailler à Echirolles ou pour un déplacement à Lyon. "C’est plus pratique, moins cher et j’évite les bouchons entre Voiron et Grenoble. J’ai même fait exprès de trouver mon logement près de la gare pour pouvoir y aller à pied !" raconte-elle.
Seuls inconvénients : "les horaires d’été" peu adaptés aux travailleurs et les "nombreux retards". "Parfois, je pars à 17h30 du boulot et j’arrive à 21 heures chez moi !" soupire-t-elle.
En chaussettes dans le train
Dans le wagon suivant, Maugan, 32 ans, attire notre attention. Il faut dire que le jeune juriste semble particulièrement à l’aise dans le train. En chaussettes, les pieds calés sur le siège d’en face, il écoute sa musique tranquillement pendant que le paysage isérois défile sous ses yeux.
"J’aime bien le train, c’est reposant. Ça permet de prendre du temps pour soi !" explique le trentenaire. Depuis huit ans, il enchaîne les trajets Grenoble-Bourgoin-Jallieu quatre ou cinq fois par semaine pour se rendre au travail. Alors forcément, il a ses petites habitudes.
"De toute façon, je n’ai pas le choix, je n’ai pas encore mon permis, reconnaît-il. Je suis grenoblois pur souche donc je n’en ai jamais eu besoin et puis, il faut l’admettre, j’avais la flemme de le passer".
A ses pieds, une trottinette électrique repose à côté de sa paire de baskets. "Elle me permet de faire les trajets intermédiaires, c’est pratique".
La Région en charge des transports
Comme Carla et Maugan, 200 000 voyageurs empruntent chaque jour un TER en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est la région, compétente en matière de transports, qui finance et organise les lignes de transport public du territoire. Avec 1500 trains, 600 autocars et 338 gares, elle décide de la fréquence des lignes, du nombre de dessertes et rythme ainsi le quotidien de milliers d’habitants.
Pourtant, peu d’usagers savent que cette compétence revient à la Région. Pour la plupart des voyageurs interrogés dans le train, cette institution semble lointaine et nébuleuse. "Qui est le président de notre région ? Aucune idée !" répond Carla, soutenue par sa collègue Valène qui ignore aussi la réponse. "Ah, c’est Laurent Wauquiez ?" commente Maugan lorsque nous lui donnons la réponse. "Je ne savais même pas qu’il y avait un président de région… Il est de droite lui, non ?".
Des élections méconnues ?
Tous les trois reconnaissent ne pas s’intéresser "du tout" à la politique et ne comptent pas voter lors des élections régionales organisées les 20 et 27 juin prochains. "Entre le boulot et les enfants, je n’ai pas le temps de me renseigner" admet Valène. "Ces élections, ça n’aura pas assez d’impact sur mon quotidien, je n’ai pas envie de prendre du temps pour ça" renchérit Maugan. "Je ne vois pas assez d’infos à ce sujet, regrette Carla. Et je ne compte pas voter si je ne suis pas renseignée avant".
Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit
Quelques rangs plus loin, S et S* partagent la même opinion. Ce couple de quinquagénaire, originaire de Grenoble, préfère garder l’anonymat mais accepte tout de même de répondre à nos questions. "On n’a plus confiance en les politiciens. Et puis ces élections, c’est tellement loin de nos préoccupations ! soupire la femme aux cheveux colorés en violet. Peut-être qu’à la retraite, on aura le temps de s’y intéresser…". "Et encore !", ajoute d’un air désabusé son conjoint, dont l’épaisse barbe grise déborde de sous le masque.
Avant de quitter le train, ils tiennent à me citer une phrase de Coluche : "Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit".
A 77 ans, Annie-France sait déjà pour qui elle va voter. Engoncée dans sa doudoune rouge, cette retraitée voironnaise tue le temps en lisant "Le livre de ma mère" d’Albert Cohen.
Sa carte Senior lui permet de voyager à moindre frais, alors elle part régulièrement en vadrouille pour rendre visite à ses proches. "Surtout, ne dites pas dans votre article où je vais ! C’est une surprise pour mes enfants!" insiste-t-elle. Jugeant la ligne "peu fiable", elle a pris le train tôt pour ne pas rater sa correspondance à Lyon Part-Dieu.
Contrairement à ses camarades de voyage, Annie-France connaît quelques compétences de la Région, comme les transports, la formation ou la gestion des parcs naturels. Pour choisir son candidat, elle s’est basée sur le parti politique. "Une valeur sûre" dit-elle. Malheureusement, notre conversation est écourtée par l’arrivée du train en gare de Lyon Part-Dieu, avec cinq minutes de retard.
Arrivée à Lyon Part-Dieu
Malgré le télétravail, l’endroit est particulièrement animé ce mercredi matin. Les bruits de valises à roulette résonnent dans le hall, entrecoupés des "Excusez-moi" et des "Poussez-vous" à moitié articulés par les voyageurs pressés.
Cette ambiance survoltée tranche avec celle qui règne dans le train qui nous ramène à Grenoble. Il est 9h46 : l’heure de pointe est passée et la majorité des sièges sont vides.
Dans le wagon central, seul le bruit d’un clavier d’ordinateur vient rompre le silence. Concentrée, Anne est en train de corriger la publication d’un thésard qu’elle encadre.
Cette ingénieure aéronautique de 33 ans profite de la flexibilité du télétravail pour avancer sur ses tâches tout se rendant à Bourgoin-Jallieu. D’une main, elle utilise son ordinateur, posé sur ses genoux dans un équilibre précaire. De l’autre, elle tient le guidon de son fidèle vélo.
"Je ne me déplace qu’en train et en vélo car c’est pratique et écologique ! Grâce aux transports en commun, je peux aller partout dans la région. C’est une richesse et ça permet de désenclaver beaucoup d’endroits isolés".
Sensible aux questions environnementales, Anne compte choisir son candidat en fonction de ses ambitions écologiques. "S’il y a un candidat qui veut développer les TER, ça peut être un bon argument pour moi, explique la jeune femme. C’est important de voter car la région, c’est notre quotidien ".
Titulaire d’une carte d’abonnement TER depuis plusieurs années, Anne espère que ce "super maillage ferroviaire" restera entretenu. "Mais j’ai des doutes, surtout quand je vois que des lignes directes comme celle de Lyon-Annecy sont supprimées".
Des trains "pratiques" et "rapides"
Installé à l’étage supérieur, Saïd est bien placé pour apprécier la richesse de l’offre des transports régionaux. "C’est rapide, c’est pratique et ça facilite tellement la vie !" estime cet étudiant de 21 ans, arrivé de Mayotte en septembre. "Chez moi, il n’y a que des bus scolaires. Aucun transport en commun, pas de train ni de cars ! Pour se déplacer, on doit prendre des taxis".
Peu loquace, le jeune homme retourne rapidement à sa vidéo Youtube. De toute façon, les élections régionales, il n’en a "jamais entendu parler".
A 11h08, le train arrive à l’heure en gare de Grenoble. La rame se vide en quelques secondes mais cet arrêt sera de courte durée.
Le train s’apprête déjà à repartir, emportant avec lui un nouveau flot de voyageurs, de valises à roulettes, et de cafés à emporter.