Géré par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, le train Clermont-Ferrand-Lyon n’échappe pas à la litanie de critiques récurrentes adressées à la SNCF : inconfort, tarifs élevés, retards, incidents... Nous sommes allés à la rencontre des usagers. Bienvenue à bord du TER de 7h01. Attention au départ.
Plus de deux heures de trajet en train séparent Clermont-Ferrand de Lyon, capitale régionale d'Auvergne-Rhône-Alpes, siège de la direction générale des Trains Express Régionaux. Des douze trains quotidiens qui assurent, dans ce sens, la liaison entre les deux villes, le train de 7h01 est le plus courtisé. Car il est direct. Car il est aussi plus court. Deux avantages pour des usagers loin d’être en panne d’arguments quand il s’agit de pointer du doigt la…« friture sur la ligne ».
La gestion des TER relève de la compétence des régions. A l'occasion des élections régionales nous sommes allés à la rencontre des usagers. Paroles de voyageurs.
Bleu méditerranée et mal de mer
Séduisant dans ses nouveaux habits à l’approche du quai, le train arbore les couleurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes. D’un bleu éclatant comme un ciel de printemps. Las, une fois les portes automatiques franchies, le vernis de ce bleu finit vite par craquer. De l’autre côté du miroir, un sol fatigué regarde un plafond poussiéreux, et les fauteuils semblent avoir organisé un concours de couleurs délavées. De la 2ème classe à la 1ère, les voitures sont, comme on dit sur les marchés aux puces, dans leurs jus. Bien difficile d’ailleurs de mesurer les bénéfices du surcoût de la 1ère. A moins qu’il faille les trouver ailleurs, plus tard, plus loin sur la voie, après quelques kilomètres de tangage houleux sur les rails. La voiture Première classe est adossée à la motrice. Autrement dit, elle est en tête du convoi, donc moins vulnérable aux soubresauts, moins en proie aux secousses, moins versatile. Ici, on naviguerait presque sur des eaux tranquilles, quand derrière, en revanche, gare au mal de mer !
Il y a de l’herbe partout, on ne voit même plus les rails !
Derrière son masque, il pestait déjà sur le quai, quelques minutes plus tôt, avant le départ. Il faut dire qu’il y avait quand même de quoi rire. Sous ses yeux, un premier train venait de partir pour Moulins (Allier) et il était déjà à perte de vue quand la voix de la SNCF, reconnaissable dès la première syllabe, retentit dans les haut-parleurs : « Attention le train n°…à destination de Moulins va partir. Prenez garde à la fermeture automatique des portes ! » Jean-Paul, cheminot à la retraite, voyait rouge dès potron-minet. D’autant que le train pour Lyon, annoncé en voie G ne l’était plus au moment où Jean-Paul et sa femme arrivaient sur le quai préalablement indiqué. La voie avait disparu. Sur les écrans, plus rien, ni la A, ni la B, encore moins la G n’était attribuée à ce train qui menait à Lyon-Perrache. Si bien que quand il finit par arriver au ralenti, plus personne ne savait où ce TER allait tous les conduire. Alors, dans le brouillard beaucoup sont montés à tâtons, en croisant les doigts que ce soit bien le bon. Jean-Paul, le premier. « Pfff…je vois la détérioration des services, c’est terrible. Moi je travaillais sur un train désherbeur, et regardez, là ! Il y a de l’herbe partout, on ne voit même plus les rails, ça peut provoquer des courts-circuits » se désole-t-il. « Il n’y a plus de service client. L’agent de service a disparu. Vous savez ? C’est l’homme avec sa casquette blanche à qui on demandait tout. Il aurait été là ce matin, il aurait chassé tous les doutes. Mais bon, aujourd’hui, c’est le conducteur qui doit toute faire mais c’est bien trop lui demander, il n’a pas que ça à faire ! » Un brin amer, Jean-Paul finit par s’installer dans le sens de la marche avec son épouse, pour un voyage digne du duo comique Chevallier et Laspalès. Ces deux n’avaient rien inventé, quand l’un demandait à l’autre « un train pour Pau ». C’était en 1992. Près de trente ans après, tout est encore là. Car mari et femme partent donc de Clermont-Ferrand pour rejoindre…Agde, dans l’Hérault, en passant par…Lyon donc. Avant eux, y’en a qui ont essayé, ont-ils eu des problèmes ?
Clermont-Lyon : quatre fois plus cher en train qu’en bus
Après tout, le couple aura tout le loisir de faire un brin de causette avec le voisin. Jean-Louis, la quarantaine, maillot cycliste sur le dos, parti pour un tour d’Europe à vélo électrique, rechargé par des panneaux solaires, dont le départ est donné à Lyon, place des Terreaux. Il est originaire de Clermont mais il vit à Toulon (Var). Jean-Louis est venu dire « au revoir » à ses parents. Il ne les reverra que dans deux mois, après les 11 000 kilomètres à travers la Belgique, la Lettonie, la Roumanie, l’Italie et le Portugal. « C’est rare que je prenne le train, car le prix du billet c’est pas donné ! Vous imaginez 200 euros pour rejoindre Clermont depuis Toulon quand en voiture je paie environ 160 euros. Et en plus, à ce prix-là, j’emmène femme et enfants ! » Il est vrai que le calcul est vite fait. L’aller simple entre Clermont et Lyon coûte, lui, 37,10 euros (pour les 26-59 ans, sans réduction). C’est quatre fois le prix d’un aller simple en bus au départ des Salins. « Le bus, j’ai bien essayé mais travailler sur un ordinateur dans un bus, il ne faut pas avoir le mal des transports ». Sylvie s’est installée côté couloir pour tenter de juguler ses haut-le-cœur chroniques.
Comme si vous étiez dans une brouette !
Entre Clermont-Ferrand et Lyon, elle essaie de bosser même si « ça barouette. Ca barouette, c’est du québécois, ça veut dire comme si vous étiez dans une brouette ». C’est dire le ballotage défavorable. Bref. Toujours est-il que cette collaboratrice scientifique est rattachée à l’Université de Genève en Suisse où elle doit se rendre deux fois par mois. Six ans que ça dure. Lyon n’est donc pour elle qu’une gare de transit, à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Genève et elle ne doit pas se rater entre deux trains car elle n’a que très peu de temps pour rejoindre le suivant. « Je ne vous dis pas, c’est sportif à la Part-Dieu quand j’arrive ! C’est le parcours du combattant pour attraper la correspondance. Le train de Clermont n’a pas intérêt d’être en retard car si certains n’arrivent pas à l’heure promise, en revanche, tous les trains partent bien à l’heure ! en sourit cette native du Québec (Canada). C’est pourquoi d’ailleurs je prends le train de 7h01, car il est plus fiable. L’autre avantage, c’est qu’il est direct, donc je peux aussi dormir si je veux, sans être perturbée par l’ouverture des portes ou les annonces d’arrivée en gare ». Une fois encore, ce Clermont-Lyon a tenu toutes ses promesses, à la minute près. 2h15 pile. Une horloge suisse.
En fin de semaine, les gens voyagent debout dans le sens du retour
C’est le trajet le moins long des douze liaisons quotidiennes sur cet axe ferroviaire. Mais parfois il suffit d’un grain de sable pour que la mécanique déraille. "Les Régions fournissent le matériel roulant (la modernisation des gares, la rénovation des lignes, l’achat de trains modernes, la politique tarifaire relèvent des Régions, ndlr) et cela fait des années que ce matériel mériterait d’être changé si bien que dès qu’une panne survient, elle déclenche des dysfonctionnements en cascade. Une panne en entraîne une autre. Un coup, c’est le passage à niveau, un coup ce sont les portes qui ne s’ouvrent plus, sans parler des colis suspects. Bref, une fois je me souviens, j’ai mis neuf heures pour atteindre Genève". Intarissable, la frontalière suisse par défaut (« parce qu’elle n’a pas trouvé de boulot à Clermont-Ferrand car depuis longtemps déjà on ne remplace plus les départs en retraite ») poursuit : « Quant au retour, il faut bien prévoir son coup. En fin de semaine, les places sont chères. Avec la fusion, la Grande Région a sous-estimé les besoins. En fin de journée, surtout le vendredi, avec le retour des étudiants, les voitures sont saturées, les gens voyagent debout. Il n’y a que deux ou trois voitures quand il en faudrait le double ! Je ne vous parle même pas des personnels administratifs qui eux aussi reviennent sur Clermont tout en poursuivant leur réunion dans le train. On voit bien du coup qu’il y a une polarisation à Grenoble, Lyon, et même St-Etienne. Tout porte à croire que Clermont semble être la grande oubliée de l’affaire ! ». Cette fois encore, Sylvie arrivera bien à 11h 35 h au bord du Lac Léman, après 4h30 de trajet.
Clermont-Ferrand-Agde via Lyon, fin du triangle en novembre 2021 ?
Ballotés, bercés, secoués, ivres du voyage comme la quarantaine d’autres passagers, au moins Jean-Paul et sa femme, eux, n’auront pas à attendre les bords de la méditerranée pour goûter aux vagues. « Après Lyon, on saute dans un train pour Montpellier, puis à Montpellier, on saute dans un autre train pour Agde. 7 heures de trajet, si tout va bien. D’habitude, il y a l’Aubrac entre Clermont et Béziers mais là il n’est même plus proposé par la SNCF, pas de bus de substitution non plus » ne comprend pas l’ancien cheminot, tout en interrogeant sur son portable le site de réservation oui.sncf. Un communiqué de presse daté du 11 mai 2021 indique que "la détérioration de la voie ferrée entre Neussargues (Cantal) et St-Chély-d’Apcher (Lozère) a conduit à l’arrêt des circulations". Des travaux d’urgence sont prévus sur des rails très âgés dès cet été, pour une remise en circulation dès le mois de novembre 2021. L’Etat et les deux régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie débloqueront une enveloppe de près de 12 millions d’euros. Quant à l’autre alternative, le Cévenol, entre Clermont-Ferrand et Nîmes, pas mieux. L’Etat et les deux mêmes régions concernées viennent de lancer une étude pour tenter de relancer cette ligne interrompue car jugée « en mauvais état global » dans le même communiqué.
Jean-Paul et son épouse doivent donc encore s’armer de patience pour tirer droit vers le sud. De tous, le couple est le moins à plaindre, les voyages en train ne lui coûtent rien depuis toujours. C’est déjà ça.
A bien y réfléchir, ce jour-là, qu’ils s’appellent Sylvie, Jean-Paul ou Jean-Louis, les usagers du Clermont-Lyon de 7h01 cheminaient certes cahin-caha vers la plus grande métropole de la région mais pour aller voir ailleurs. Comme si Lyon n’était qu’une porte d’accès vers le lointain, comme si finalement, elle n’était pas tant la ville des Lumières qui rayonnait sur toute la ligne.