Des magistrats de Rhône-Alpes dénoncent les remises en liberté récentes de personnes détenues dans l'attente d'un jugement, faute de moyens pour les extraire de prison et les conduire au tribunal.
Des magistrats de Rhône-Alpes dénoncent les remises en liberté récentes de personnes détenues dans l'attente d'un jugement, faute de moyens pour les extraire de prison et les conduire au tribunal. "Depuis le début du mois de septembre, on connaît des problèmes et depuis 15 jours, c'est vraiment très compliqué", indique à l'AFP Audrey Quey, procureure à Vienne (Isère), confirmant des informations de nos confrères du Dauphiné Libéré. À l'instar de collègues, elle a reçu plusieurs refus d'extraction de la part de l'Autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires (Arpej), qui relève de l'administration pénitentiaire).
"On atteint un risque de dysfonctionnement majeur, c'est-à-dire de remettre en liberté des gens potentiellement dangereux", ajoute la représentante du parquet. "On bricole; on bidouille en permanence! On nous met en défaut: la justice ne peut pas juger!", s'emporte son homologue d'Annecy, Véronique Denizot. Le transfert des missions d'extractions judiciaires du ministère de l'Intérieur vers celui de la Justice a été décidé en 2010 et mis en oeuvre progressivement, depuis, dans les régions.
En Rhône-Alpes, les ressorts des cours d'appel de Lyon, Grenoble et Chambéry ont basculé dans ce système il y a trois ans. "Ce transfert a été un jeu de dupes. L'Arpej fait son maximum mais avec les moyens qu'elle a !", poursuit Mme Denizot. Le directeur des services pénitentiaires en Auvergne-Rhône-Alpes, Stéphane Scotto, reconnaît dans le Dauphiné Libéré que "la situation n'est absolument pas satisfaisante". Mais "prévisible" car due essentiellement au report d'audiences induit par la crise sanitaire.
"Référent extraction"
Comme de nombreux collègues, ces magistrates appellent gendarmes et policiers pour une aide ponctuelle. "Ça prend un temps faramineux, qui n'est pas consacré aux dossiers", regrette Mme Quey. À Grenoble, un procureur adjoint est même "référent extraction" alors que ce service "devrait rester au niveau du greffe", abonde le procureur Éric Vaillant.Pas plus tard que lundi, sur quatre comparutions immédiates dont une pour des violences conjugales graves, une extraction a été faite par la gendarmerie après "un appel au colonel de l'Isère", une autre par les policiers après un appel à la directrice départementale de la sécurité publique. Mais un cambrioleur récidiviste a dû être relâché faute d'audience. "Et comme il est SDF, il sera difficile de le faire revenir à une convocation", indique le magistrat.
Tout comme deux ressortissants marocains, habitant en Espagne, détenus à Aiton (Savoie) après avoir été arrêtés avec 14 kilogrammes de cannabis dans le tunnel du Fréjus. Ayant refusé de comparaître par visioconférence, ils ont été relâchés lundi, faute de pouvoir être acheminés. "Cela met à mal le travail de tout le monde: des enquêteurs, de la justice!", dénonce Anne Gaches, procureure à Albertville.
Trier les dossiers
Le ressort de Saint-Étienne a connu un cas "très récent", selon son procureur, de même que celui de Valence où un détenu mis en examen pour vol aggravé, qui devait comparaître devant le juge des libertés et de la détention, a été relâché sous contrôle judiciaire.En revanche, le tribunal de Lyon a été épargné jusqu'ici, selon son parquet. "Les difficultés d'extractions sont identiques dans beaucoup de départements", indique Christophe Rode, procureur à Bourg-en-Bresse. "L'Ain ne fait pas exception (...) Seule l'augmentation des effectifs des agents effectuant ces missions de transfert pourra améliorer la situation."
"Je dois faire face à une "bosse" d'activité alors que mes ressources en personnels, déjà courtement dimensionnées en temps ordinaire, ne sont pas extensibles", répond M. Scotto, qui a déjà poussé les agents à leur maximum d'heures supplémentaires. En attendant d'éventuels renforts, certains magistrats préconisent d'imposer la visioconférence pour statuer au moins sur la détention, à défaut de pouvoir juger le fond, et de créer une instance de "priorisation" des dossiers.
Dans les Hautes-Alpes, le tribunal de Gap, qui dépend de la base Arpej d'Aix-en-Provence, se heurte aux mêmes difficultés. Mais "la maison d'arrêt est à 150 mètres du palais. On traite en local avec le commissariat ou la gendarmerie, en bonne intelligence", précise le procureur Florent Crouhy.